Ce one-shot de Shirow (pas Masamune, l'autre) ne semble pas en être réellement un en soi, en ce sens qu'il pose en fait les bases d'une série que le mangaka souhaiterait développer. Autant dire donc que nous n'allons pas jusqu'au bout de l´histoire des quatre personnages qui nous sont présentés ici, mais qu'importe puisque ce volume nous donne réellement l'eau à la bouche.
Quatre protagonistes, quatre chemins de vies. Ainsi chaque chapitre met en scène l'un d'eux et sa façon propre de brûler la chandelle par les deux bouts. Dans leur univers de violence et d'injustice, où la loi du plus fort prévaut sur tout, Haine, Badou, Naoto et Mihai se débattent et luttent pour leur survie. De ce fait, si chaque récit semble indépendant, il existe bel et bien des interactions entre les quatre chiens errants, en particulier autour du bar Buon Viaggio, ce qui pressent une action commune si la série se continue (ce que j'espère).
En tant que seinen, les thèmes traités ici sont assez graves et les motivations tournent sensiblement autour de la vengeance, si ce n'est Badou dont l'histoire présentée ici semble de prime abord plus légère. De ce fait, l'humour est tout de même présent (certaines répliques sont à se tordre de rire), le chapitre « Gun Smoker » de Badou est tout simplement hilarant (le mec qui ne peut se battre que quand il est en manque de nicotine, je me demande où Shirow a été pêché ça). Cependant, la tristesse des destins des autres personnages prend un peu à la gorge et laisse parfois une boule à l'estomac, tant il est dur de les voir se débattre dans la mélasse qu'est leur société. La fin laisse présager une intrigue des plus compliquées, et je gage que nos quatre compagnons ne sont pas au bout de leurs peines.
En bref, niveau scénario ce n'est que du bon, en rappelant que c'est tout de même assez violent.
Pour ce qui est du dessin, le moins que l´on puisse dire est que Shirow sait rendre charismatique ses personnages, mais on échappe pas cependant à certains clichés. Ainsi chacun d´eux à le physique propre à son caractère, Badou le « comique gaffeur » est une grande asperge aux cheveux longs, Naoto aux cheveux et yeux noirs rend tout à fait son rôle de fille forte et mystérieuse, Mihai l´ancien nettoyeur un peu usé à l´aspect bourru mais au grand cœur et enfin Haine le beau gosse au visage d´ange qui cache un lourd secret (au passage, si l´on pouvait m´en offrir un tout pareil pour Noël ça m´arrangerait, il est trop beau). Pas de grande originalité à ce niveau mais qu´importe puisqu´on accroche totalement à leur design, mis en avant par des décors on ne peut plus dépouillés.
En effet, les héros évoluent souvent sur de simples fonds gris ou blancs en intérieur comme extérieur, mais n'allez pas croire que cela est cause de la fainéantise de l'auteur ou de son incompétence, car quand il nous délivre quelques morceaux de murs lézardés ou d´immeubles un peu glauques, ils sont souvent isolés sur une ou deux cases, laissant toujours les protagonistes dans un flou géographique, comme sortis de leur contexte. Pourquoi ? L'interprétation première pourrait être la volonté de l'auteur de ne justement pas placer son histoire dans un lieu défini, même si l'on imagine plus le Japon que les US , mais ça c'est une impression personnelle. De même, nos héros se battent contre leurs ennemis, qui sont de chair et d'os, mais également et de façon moins évidente contre la société qui les a amenés à vivre de cette façon. Le manque de détail dans les décors donnent alors naissance à une autre dimension de lecture, celle d'un ennemi invisible et incorporel qui pourrait les avaler à tout moment.
Précisons tout de même que ceci est une interprétation personnelle qui n'engage que moi, c'est avant tout ce que j'ai ressenti à la vue des planches du mangaka.
Au final, je n'ai pas considéré ce volume comme un simple one-shot, mais bel et bien comme un premier tome présentant les bases d'une série à venir. Seul, il ne servirait pas à grand-chose en fait et j'espère que l´auteur pourra donner vie à son désir de bâtir son œuvre qui présente tous les ingrédients d'un must have.
Un petit bijou de seinen, en espérant une suite et une sortie en France, à lire comme un recueil d'histoires courtes précédant un roman, une délicieuse mise en bouche.