Une nuit, de petites sphères d'origine extraterrestre tombent sur terre. Elles contiennent de petits vers dont le but est de parasiter les humains en prenant possession de leur cerveau. Ces parasites extraterrestres investissent la tête de leur victime pour finir en symbiose totale avec leur hôte, tout en supprimant leur personnalité. Le héros de cette histoire s’appelle Shinichi Izumi. Grâce à un concours de circonstances, le ver n'est pas arrivé jusqu'à son cerveau et est resté bloqué dans sa main droite, avec laquelle il finit par fusionner. Shinichi va donc cohabiter avec Migi, apprendre à relativiser ses conceptions du monde mais aussi combattre d'autres parasites assez violents.
Parasite – de son vrai nom Kiseiju (寄生獣) – est un manga de Hitoshi Iwaaki, trop peu connu dans nos contrées et qui mériterait pourtant sa petite place dans la bibliothèque de chaque amateur de bonne lecture. Publié par Kodansha au début des années 90, ce manga a été diffusé chez nous à partir de 2002 par les éditions Glénat. Avec un total de 10 tomes (8 pour la version deluxe – malheureusement non éditée dans nos contrées francophones), l’auteur nous livre un récit complet et abouti qui marquera les esprits.
L’histoire est bien plus profonde qu’elle n’en a l’air, le plus intéressant étant non pas les divers combats sanglants, mais les points de vue des protagonistes et leurs évolutions. L’auteur nous offre presque une étude sociologique de la société humaine et de ses comportements, le tout soutenu par une question écologique où l’homme n’est plus au sommet de la chaine alimentaire. Différentes tendances de pensée sont représentées et il n’y a pas de ligne de démarcation fixe entre les deux espèces en présence. Au fil du récit, ces dernières vont se retrouver avec de plus en plus de points communs.
La narration s’organise autour du duo que forment Shinichi et Migi, avec en parallèle la situation des autres parasites et leurs diverses tentatives d’immersion dans la société humaine. Au fur et à mesure des contacts entre ces deux pôles du récit, il finit par y avoir une sorte d’enrichissement mutuel qui met en avant la ressemblance-confusion entre humains et parasites plutôt que leurs différences spécifiques. Ce procédé opère réellement à tous les niveaux, j’y reviendrai.
D’un point de vue plus formel, on peut observer une mise en page particulière : le découpage des planches (de nombreuses cases qui détaillent les événements, mais aussi des scènes de vitesse étalées sur toute une page) rend le récit rapide et incisif. Visuellement parlant, le trait de l’auteur peut sembler simpliste et froid. Pourtant, cette impression de rudesse rajoute du poids à l’histoire. De plus, cela rend les scènes gores vraiment sales, provoquant un certain malaise en plus du choc des événements. On pourrait presque sentir l’odeur et le goût métallique du sang. Quant aux visages, ils sont particulièrement expressifs : la férocité, la tristesse et tout un panel d’autres émotions sont rendues avec justesse avec de nombreux gros plans sur les regards de Shinichi, comblant ainsi l’éventuel manque de dynamisme des débuts. Mais parallèlement aux personnages, le trait de l’auteur évolue pour donner une vraie sensation de vitesse et de sauvagerie sur les derniers tomes. Le tout plonge l’histoire dans une atmosphère tendue, stressante et terriblement prenante une fois que l’on s’est fait au rythme et au style.
Si l’on s’attarde un peu sur les personnages, on ne peut que remarquer leur traitement assez réaliste. Shinichi va passer par plusieurs étapes : de jeune garçon banal à féroce adversaire, il va de plus en plus s’isoler et subir une déshumanisation progressive. Sa cohabitation forcée avec sa main droite parasitée, Migi, donne lieu à des dialogues drôles mais aussi à des réflexions intéressantes. Petit à petit, le point de vue de Shinichi sur les parasites va changer et, en même temps, Migi va s’intéresser de plus près au comportement humain. Ce dernier est un parasite curieux de tout avec un sang-froid à toute épreuve.
Autour de ce duo improbable gravitent des personnalités diverses. Du côté des humains, Murano fait office de lien entre Shinichi et son humanité ; elle lui permet de ne pas sombrer totalement face à ce qui l’accable. Les parasites, quant à eux, bien que tous motivés par la survie de leur petite personne, ont plusieurs façons de se comporter pour arriver à leurs fins. Certains optent pour une insertion discrète dans la société, tandis que d’autres restent sauvages et font preuve de violence publiquement, n’hésitant pas à laisser trainer les « restes » de leurs repas à la vue de tous.
L’aspect très gore de certaines scènes fait que ce manga n’est pas à mettre entre toutes les mains ; la violence est autant physique que psychologique. Ceci dit, cette violence crue n’est pas gratuite, elle est nécessaire à l’exposition de la « vérité » que nous propose ce manga et au-delà des hectolitres de sang se trouvent des messages qui prennent aux tripes.
* Au-dessus de la Terre, quelqu'un songeait... "Si la moitié de l'humanité venait à disparaître... combien de forêts pourraient être sauvées ?"
Au-dessus de la Terre, quelqu'un songeait... "Si 99% de la population venait à disparaître, les rejets de pollution diminueraient-ils de 99% ?"
Quelqu'un songeait... "Si l'on protégeait la vie..." *
On pourrait s’attarder sur le thème qui semble le plus tenir à cœur à l’auteur : la question écologique. Les premiers mots de l’histoire (extrait ci-dessus en italique) ainsi que certaines répliques des personnages ne laissent aucune équivoque quant au problème : les humains tuent petit à petit leur planète. Cependant, Parasite n’est pas une œuvre engagée. Le questionnement que l’auteur semble vouloir provoquer se positionne au-delà de la simple éradication des humains comme solution. Il s’agit plutôt d’une série de clés, d’indices qui touchent le lecteur et le poussent à s’interroger, se remettre en question. Les parasites sont dès le début associés à un remède contre le poison que constitue l’humanité. Ils semblent envoyés par une espèce d’instance supérieure dont l’existence ne sera pas vraiment débattue, je pense que ce n’est d’ailleurs pas le sujet. Pour moi, c’est plutôt un dérivé du deus ex machina qui permet l’arrivée soudaine des parasites et l’enclenchement du récit sans s’attarder sur l’origine des parasites car, après tout, c’est encore un autre débat. Une double association s’opère donc : les parasites sont des sauveurs et les humains sont un fléau. Cette idée qui semble être le pilier de l’avancée de l’histoire est pourtant déconstruite en permanence. Les différences entre humains et parasites, qui étaient si tangibles en théorie, se révèlent plus difficile à observer en pratique et à la lumière des divers points de vue. De cette façon, il n’y a pas de bonne ou mauvaise piste de réflexion à suivre. La distinction entre humain et parasite n’est plus si claire et, finalement, on peut se demander s’ils ne se ressemblent pas plus qu’on pourrait le croire de prime abord.
De la bouche même de l’auteur (cf. son message sur la couverture du premier tome), Parasite veut faire ressentir avant de faire réfléchir. C’est un manga qui se lit avec le cœur, les tripes et éventuellement la tête. Je tiens tout particulièrement à cette œuvre. Je l’ai découverte lors de sa parution dans les années 2000, j’étais jeune et innocente ; je sens encore ma joue en feu suite à la claque cuisante que je me suis prise lors de cette lecture. Un coup de cœur qui dure depuis des années.
10 tomes, 10/10.