Gunnm est une épopée m'accompagne depuis plus de 15 ans déjà... mon petit frère a commencé à acheter les demi volumes qu'on trouvait en kiosque en 97, et c'est depuis une oeuvre que j'ai reparcourue régulièrement tous les 3-4 ans lorsque une mise à jour suffisamment conséquente avait eu le temps d'être publiée en France.
C'est donc après avoir repris les deux séries jusqu'au volume 17 de Last Order que j'ai eu envie de rendre hommage à ce chef d'oeuvre. Faut dire que même si Gunnm a eu du succès en France on a l'impression en lisant les critiques ici ou là que Last Order peine à séduire et c'est frustrant de voir que beaucoup se disent déçu de cette suite pourtant bien plus intéressante à mes yeux que la première série.
Bon ce qui aide aussi j'avoue c'est que je n'ai aucun problème avec l'évolution du style graphique de l'auteur qui semble tant perturber. En suivant la série petit à petit j'imagine qu'on est moins choqué et cela m'a paru complètement naturel. Sur tant d'années il est bien normal que le style du dessinateur évolue, et ça colle parfaitement au parcours de l'héroïne qui gagne petit à petit en conscience.
Cela étant dit, Gunnm c'est avant tout un monde futuriste élaboré au poil de cul, et un scénario de ouf! Et Gunnm sans Last Order, ce ne serait pour moi guère mieux que tous ces mangas/animes où l'on pressent un potentiel énorme et qui nous laissent toujours sur notre faim.
En effet si Gunnm permet d'accrocher facilement grâce à sa jolie protagoniste et sa quête identitaire, sans le développement des enjeux géo-politique de l'univers dans lequel elle évolue, ce ne serait finalement guère plus qu'un shonen un peu gore ou la jolie gentille en quête de puissance se bat contre de gros balèzes toujours plus psychotiques... en insistant bien lourdement sur le pathos du background de ces gros méchants... Zappan et le mangeur de cerveau des premiers tomes sont le genre de passages qui m'ont toujours un peu soulé vous l'aurez compris, mais l'auteur a un projet bien plus ambitieux que cela et le fait comprendre très rapidement. On le voit avec la minutie qu'il apporte à la description du contexte social, aux divers aspects de la vie dans la "décharge": un ghetto rongé par la misère et la violence surplombé par une ville abritant une élite protégée.
Les choses deviennent vraiment intéressantes à partir de la collaboration forcée de Gally avec "l'élite" de Zalem et sa confrontation avec les rebelles du "Barjack" voulant rétablir la justice par la violence.
Encore là on est dans un rapport assez basique et banal dominant/dominé, mais on pressent déjà tout ce que l'auteur a envie de développer: non seulement cette mystérieuse cité de Zalem au sommet d'une décharge chaotique, mais ce qu'il y a au dessus.
Et Last Order ne déçoit vraiment pas sur les perspectives qu'il ouvre au dessus de Zalem.
Car l'univers de Last Order propulse Gunnm vers un chef d’œuvre d'anticipation digne d'Orwell. Tous les thèmes liés à l'avancée technologique et à la "dictature démocratique" qu'il permet sont abordés. Tout est extrapolé en se fondant sur des bases bien réelles de notre société: Dans le système solaire (ou système tout court) que découvre Gally au dessus de Zalem, on retrouve une organisation de type ONU (un "new order", tiens, tiens...) où les colonies planétaires ont remplacé les nations.
On voit que ce "nouvel ordre mondial" n'est pas encore tout à fait au point, comme aujourd'hui, mais malgré leurs différents les grandes puissances intègrent l'alliance appelée ici "l'échelle" . Ils ne règlent leur compte que de manière interposée:
Là c'est la pauvre planète Mars riche en matières premières nécessaires au terraforming qui va faire office de tiers monde, évoquant fortement un continent africain ou un moyen orient ravagé par des guerres tribales... dont les acteurs sont financés par les grandes puissances! Et tiens, comme par hasard, c'est la planète d'où vient notre héroïne!!
Deux grandes puissances se démarquent et essaient de tirer la couverture à eux: Jupiter et Vénus possédant chacune leur spécialité pour une "avancée" vers le "meilleur des mondes": l'une métrise le génie robotique et l'intelligence artificielle, l'autre s'approprie la génétique et dépose des brevets sur le vivant (toute ressemblance avec une firme spécialiste en OGM serait purement fortuite).
Au mileu de tout ça, la pseudo élite de Zalem se révèle être finalement une sorte de classe moyenne elle aussi manipulée par des projets qui la dépassent, et l'on voit se réduire l'écart entre ceux qui pouvaient apparaitre au départ comme les privilégiés du système, et la classe populaire ghettoïsée de la surface. La Terre et sa capitale Jeru apparaissent comme un territoire d'expérimentation visant à élaborer une société parfaite.
Voilà ce qui a mon avis fait vraiment la force de Gunnm, car celà posé les combats de l'héroïne et ses rencontres vont prendre une dimension bien plus intéressante: On se délecte de suivre sa prise de conscience progressive des enjeux dans lesquels l'ont entrainée sa quête personnelle. Et il est jouissif de voir toutes sortes de marginaux haut en couleurs se rallier à sa lutte pour faire tomber petit à petit le masque d'une société qui s'est fourvoyée en voulant parfaire le genre humain:
un cyber-terroriste sur le retour, une guerrière martienne au service d'une monarchie déchue, une vampire (ah ah) qui parcours les ages et permet de connecter le présent avec ce monde futuriste, un maitre Karatéka cyborg ayant atteint l'illumination...
Tous essayant à la fois de conquérir leur liberté et de préserver leur âme ainsi que la dignité des plus faibles face à la folie du système.
Les personnages qui orchestrent ce système ne sont pas moins intéressants, ceux qui n'en ont rien à foutre également: tous sont étudiés avec minutie. Ceux qui dominent, ceux qui souffrent, ceux qui se battent, ceux qui ont abandonné la lutte, ceux qui pètent les plombs. On avait déjà tout ça dans la décharge et en celà je pense que les fans de la première série de Gunnm ne devraient pas être déçus.
Il est vrai que l'on retient facilement de Last Order un tournoi et une série de combats interminables... Il y a certes des longueurs, mais en ayant une vue d'ensemble on remarque mieux la subtilité de l'intrigue distillée partout. Chaque combat révèle un aspect de ce monde et soulève un problème en rapport:
- l'immortalité qui pose le problème de la surpopulation et conduit à éliminer les enfant, l'eugénisme poussé à l’extrême
- la préservation/destruction des traditions vue au travers de l'évolution délirante des arts martiaux avec la désopilante description des multiples écoles de karaté à l'ère spaciale
- l'idée farfelue que l'on puisse créer artificiellement grâce à la science un état d'illumination spirituelle
- l'idée que le développement des nanomachines puisse aboutir à une forme de vie primaire née d'un magma de cellules artificielles
etc...
Autant de thèmes passionnants qui vont compléter d'affiner cet univers où l'orgueil humain dépourvu de morale élémentaire n'a plus de limites.
Certes notre héroïne doit parfois s'effacer un peu trop longtemps pour faire place à tout ces détails, mais l'auteur n'oublie jamais de revenir à son parcours personnel et sa recherche des origines, et arrive à ne pas laisser le lecteur frustré trop longtemps. Il n'hésite pas non plus à ajouter une touche d'humour là où il faut et à se détacher pour parodier son œuvre lorsqu'elle part trop dans les clichés.
Un seul regret à ce sujet: je constate que dans la nouvelle édition française par laquelle j'ai du passer pour les derniers volumes il manque gravement les scènettes finales appelées "scènes refusées" qui lui permettaient vraiment de se lacher!
Bref au stade ou j'en suis on sent qu'on s'approche d'un dénouement mais l'auteur ne semble pas manquer d'idées pour faire durer la série encore quelques années. J'espère que son nouvel éditeur lui laissera la liberté nécessaire... je me verrais bien continuer à lire Gunnm à 70 ans...
Aussi ma note ne sera peut être pas super objective vu la nostalgie et l'affectif qui s'attachent à cette série, mais dans l'univers du manga et de l'anime, je ne vois rien qui se rapproche plus de la perfection dans la construction d'un univers vraiment cohérent, très familier car quand bien ancré dans la réalité et prenant en compte tous les questionnements humains et sociaux qui peuvent nous préoccuper à l'heure actuelle. Ou alors si quelqu'un a des recommandations je suis preneur!