Voilà un classique du manga en or massif, qui a fait les beaux jours de Glénat à l'époque où Dragon Ball et Gunnm se disputaient encore le haut du pavé.
Chef-d'oeuvre de Kenichi Sonoda, Gunsmith Cats met en avant sa passion pour trois aspects dont l'un d'entre eux au moins parlera forcément aux uns ou aux autres : des grosses bagnoles, des flingues et des filles. Avec ces ingrédients, il y a bien évidemment fort à parier qu'un mangaka moyen nous ponde une bouse sans nom, ce qui n'est ici brillamment pas le cas.
L'histoire est tout sauf un prétexte, et les personnages sont très bien ancrés dans le réel, le mangaka prenant soin de dépeindre pour nous une Amérique fantasmée des plus convaincantes, où les voitures modifiées font la course sur les autoroutes désertes. Rien à voir cependant avec Fast and Furious, car ici il y a un scénario fouillé avec des personnages complexes, d'autant plus crédibles qu'ils ne sont pas nécessairement présents à chaque épisode, mais apparaissent toujours pour de solides raisons : l'inspecteur Roy ou le conducteur Bean, excellents, sont utilisés avec parcimonie par le mangaka, et cela dynamise une ambiance où les jeunes filles ont la part belle.
Et ces jeunes filles, Sonoda les aime plutôt vénéneuses, fortement sensuelles, avec, la plupart du temps, des tendances lesbiennes à dominante SM. Cet aspect érotique est à la fois un défaut et une qualité. Un défaut parce que tout de même, le dessinateur force un peu le trait et très souvent les méchantes -très réussies malgré tout- sont psychotiques au dernier degré, et d'une violence sans nom avec leurs partenaires sexuelles (à croire que toute lesbienne est sado-masochiste).
Malgré ce trait un peu gros, il faut pourtant noter que cet aspect ne sert pas à développer du ecchi sirupeux (à part une ou deus planches avec Minnie Mey, avouons-le) ou du hentai graveleux, loin de là. Généralement, et en dépis de quelques écarts, ces rapports fortement sexués servent bien l'intrigue, et donnent au récit toute sa tension, à couper au couteau. Les "méchants", dans Gunsmith Cats, entretiennent tous un rapport très fort avec Rallye, et très souvent la traque que nous présente Sonoda se double d'un chassé-croisé psychologique très bien mené, où les enjeux ne sont pas uniquement l'arrestation ou la fuite d'un ou d'une criminel(le). A chaque fois, une tension érotique est clairement palpable, et Sonoda est ici très fort, malgré sa tendance quelque peu sulfureuse à associer criminalité et sexualité débridée (les femmes sont des lesbiennes SM, les hommes des pervers violents). Mais bon, pour une fois, c'est pas mal quand même.
Dans cette lancée narrative bourrée d'hormones, le mangaka en vient par ailleurs à évoquer d'autres questions, auxquelles il ne donne pas de réponse (Gunsmith Cats est avant tout un manga d'action, on n'est pas dans une étude sociologique) : prostitution, détournement de mineurs, harcèlement, enlèvement... l'ambiance est on ne peut plus floue, et certains y verront un défaut, d'autres trouveront que cela renforce considérablement ce manga, qui malgré des apparences manichéennes exacerbées, maintient beaucoup d'ambiguïtés. Pour ma part, je trouve cela excellent, et n'oublions pas qu'il s'agit d'une pure fiction, où tout est à interpréter comme un fantasme. Au pire, on peut voir en Gunsmith Cats un reflet psychanalytique de l'esprit de Sonoda...
Que dire d'autre, si ce n'est qu'avec un dessin splendide (voitures et armes à feu photoréalistes), des personnages excellents (un tandem Minnie-Rallye très complémentaire, et explosif), un scénario fouillé et une ambiance survoltée, Gunsmith Cats est un manga indispensable, un classique... disponible dans une nouvelle édition qui lui fait enfin honneur.