En débutant la lecture de ce titre, je m’attendais à une petite romance sympathique entre deux jeunes filles niaises. Du coup, la claque que je me suis prise au fur et à mesure que j’avançais n’en fut que plus violente.
Ce manga est un hymne à la friendzone, à l’hypocrisie et aux faux-semblants. Tout le casting m’a d’ailleurs été détestable : de l’instable superficielle et l’obsessionnelle glauque aux deux infâmes étrons. Pourtant les pages défilaient sans même que je m’en rende compte tant j’étais happée par l’histoire. C’est bien écrit, bien dessiné et l’auteure réussit à raconter l’histoire d’une relation malsaine sans tomber pour autant dans le vulgaire, même les scènes de sexe restent très sobres et ne vampirisent pas l’atmosphère en versant dans un voyeurisme inutile.
On pourrait d'ailleurs décrire la structure narrative de l’œuvre comme une « descente aux enfers » pour les différents personnages avec une barrière très fine séparant l’amour de la haine. La finesse de cette barrière étant surtout frappante par l'ambiguïté des sentiments de Minako envers sa meilleure amie, Saki.
Alors qu’au départ, on remarque tout de suite la nature des sentiments inavoués de Minako, qui nous sont présentés sous forme de questions quant à ce que les choses seraient si elle avait été un garçon, on se retrouve très rapidement face à quelque chose de plus complexe quand cette dernière finit par laisser libre court à ses désirs. Alors que le cadre est du vu et revu (Deux amies avec l’une qui nourrit des sentiments amoureux à sens unique pour l’autre), c’est la psychologie des personnages qui fait l’intérêt de l’histoire.
L’ambiance malsaine commence à s’installer dès les premiers chapitres avec une Minako prête à toutes les bassesses pour se sentir « plus proche » de la femme qu’elle aime, quitte à poignarder cette dernière dans le dos et à profondément la blesser. Même qu’elle finit par confondre son sentiment d’obsession et cette souffrance qu’est d’être rejetée avec… le véritable amour. De mon point de vue, ce que ressent Minako n’est pas de l’amour mais de la possessivité. Elle carbure non pas à l’amour mais au désir de faire mal, d’empêcher l’autre de trouver ce bonheur qu’elle refuse de lui accorder.
De l’autre côté, Saki est une jeune femme superficielle incapable de se suffire à elle-même, recherchant toujours la présence d’un homme sous ses draps pour la rassurer et l’aider à se sentir complète. Émotionnellement instable, elle papillonne désespérément entre le très gentil Yukimura et le pourri dont elle se sent plus proche Ken, en ignorant puis en refusant les sentiments de Minako. C’est d’ailleurs la régularité du personnage de Saki qu’est fort intéressante, même si on ne note aucune évolution du personnage (qui cache de plus en plus difficilement sa faiblesse et son besoin d’un « homme » de caractère derrière ses airs d’esprit libre), j’ai beaucoup apprécié qu’elle ne vire pas de bord pour le seul plaisir du lecteur, ne renforçant par sa fidélité à elle-même que la crédibilité du propos et le réalisme du contexte.
Les choix faits par l’une comme par l’autre les conduisant fatidiquement à cette confrontation que les deux semblent éviter tout au long, dans l’espoir vain de maintenir une amitié boiteuse sur les rails. Une amitié qui zigzague entre les non-dits, les mensonges et la tromperie.
Son hypocrisie non-assumée m’a empêchée de ressentir la moindre empathie envers Minako qui « justifie » la cruauté de son comportement par l’amour incompris qu’elle ressent pour Saki.
Les deux jeunes filles étant chacune pathétique à sa manière, j’ai été ravie du sort que leur a réservé l'auteure. Même que la conclusion ne manque pas de justesse et reste dans le ton de l’histoire.
Au final, un Josei assez singulier, que je n’irai pas chaudement recommander comme un incontournable mais qui n’en reste pas moins fort agréable à lire, composé d’un seul tome, la lecture se fait rapidement et on n’a pas l’impression d’avoir perdu son temps quand on le termine, même si j’émets des réserves quant à l’appréciation de la lecture si on n’arrive pas à passer outre l’envie de secouer/baffer les personnages. Le récit est très terre à terre et c’est le genre d’histoire que n’importe qui a pu/pourrait vivre : aimer/être aimé(e) à sens unique, l’incapacité d'aller de l’avant et continuer à reproduire stupidement les mêmes erreurs. Je ne connaissais pas l’auteure d’avant, mais cette première lecture m’intrigue assez pour m’attarder sur ses autres œuvres car elle a un potentiel certain et j’aime le « pessimisme » dont elle fait preuve.