Kia Asamiya a entamé cette nouvelle histoire après avoir travaillé aux Etats-Unis sur la série Batman. Fort de cette expérience, il nous propose ici le fruit de ses réflexions sur les super héros à l'américaine, et transpose tout cela au Japon.
Bien entendu, c'est cette transposition qui fait tout le sel du manga. Dès le départ, le traumatisme du héros est très différent de celui de Batman ou de Spiderman : ces super-héros choisissent la voie de la justice pour que ceux qu'ils aiment ne souffrent plus. Hiro prend le contre-pied : c'est un Hikikomori, phénomène inquiétant qui prend de plus en plus d'importance au Japon, et l'obtention de la combinaison Junk lui permet enfin de réaliser ses fantasmes de vengeance, et en quelques sortes de faire payer la société pour les frustrations qu'il a subi.
Du super-héros, il n'a que les pouvoirs. Sa colère en fait un personnage instable, et le coup de génie du mangaka est de ne pas lisser ce portrait, de le rendre dans tout ce qu'il a de déplaisant. En effet, ce héros est égoïste, buté, il n'a aucun scrupule à accomplir ses désirs, provoquant parfois des morts.
Ce déchaînement de violence est par ailleurs parfaitement placé dans un contexte réaliste, où l'auteur détaille avec soin le comportement des Otakus. Junk est avant tout une passionnante analyse des phénomènes de société au Japon : otaku, hikikomori, mais aussi question des enlèvements, des viols, question sur la sexualité, sur la famille, sur l'avenir improbable d'une génération écrasée par le poids des responsabilités (symbolisées par la combinaison Junk, que Hiro ne sait pas comment employer), tout cela est dans Junk.
Junk signifie "rebut", ce que l'on jette dans une décharge, qui n'est plus utilisable. Autant dire que le nom-même de cette combinaison ne la place pas sous des auspices positifs, d'autant plus qu'apparemment plusieurs personnes y ont accès.
Asamiya s'est mis à ce manga après un petit coup de dépression, et l'on peut bien dire que ce manga lui permet d'exprimer ses craintes de façon splendide : planches épurées, trait précis, ambiance à la fois sombre, aseptisée, et pourtant chargée de violence et d'érotisme jamais gratuit, rien à dire, le mangaka a fait du chemin, et parvient enfin à donner la pleine mesure de son talent en racontant une histoire limpide et brillante.
Asuka est un petit éditeur, récemment racheté, et il n'a pas encore eu l'occasion de faire beaucoup de pub, ce qui est dommage : Junk fait partie des perles de son catalogue, jetez vous dessus, il n'y a que 4 tomes pour l'instant, et l'auteur n'en livre qu'un par an.
EDIT : à présent que la série est terminée, le moment de déchanter est venu : à partir du tome 5 l'histoire devient vraiment sordide, et Asamiya se complaît de nouveau dans les scènes de sexe un peu trop gratuite, tandis que le scénario se désagrège lentement. Le tout culmine dans un tome 7 particulièrement naïf. Cette série, très bien partie, s'achève assez mal, et c'est un grand dommage de voir tout ce potentiel gâché. Asamiya avait prévu d'en faire douze tomes, il s'est arrêté en chemin... Est-ce par manque d'inspiration ?
Quoi qu'il en soit, cette série vaut la peine d'être lue pour ses quatre premiers tomes grandioses.