Attention, petit bijou ! Eiji Otsuka, mangaka au talent extraordinaire découvert en France avec Leviathan puis MDP Psycho, confirme son art.

Kurosagi Livraison de Cadavres, à première vue, peut sembler une déclinaison un peu (mais pas beaucoup...) plus soft de MDP Psycho. Mêmes graphismes, même narration d'histoires glauques, même si ici c'est saupoudré d'un zest de fantastique.

Or, à mon sens, Kurosagi n'est pas une nouveauté purement commerciale qui prolongerait le succès de MDP Psycho ; il s'agit de l'évolution du travail du maître.

Si MDP Psycho est un concentré de sadisme pur, Kurosagi est plus léger, dans le sens où l'ambiance est quand même plus "joyeuse" ; cela est dû, à mon sens, à l'emploi de personnages jeunes, encore à l'université, et qui débutent là dedans comme un petit boulot. Donc même si les différents épisodes du manga sont tous plus glauques les uns que les autres, les délires et la bonne humeur de ces amis relève un peu l'ambiance, et on passe de l'atmosphère glauque de MDP à plus disons... de l'humour noir ?

Cet adoucissement se retrouve dans le style graphique d'Eiji ; le brio réside toujours dans un traitement noir/blanc hyper contrasté des graphismes, mais avec des touches adoucies éparpillées sur les planches ; avec Kurosagi, Eiji utilise une gamme de gris sombres à clairs qui ajoutent à la narration avec les plus graphiques que cela engendre.

Néanmoins, Kurosagi reste son oeuvre, et si je parle d'adoucissement, cela reste à nuancer ; car ce manga reste un thriller assez envoûtant, où la trame narrative, qui paraît simple au début, se dévoile peu à peu. Il prend le contrepied de MDP, où dès le début, nous étions plongés dans l'opaque. Là, si la situation initiale paraît relativement simple à comprendre, elle se complexifie peu à peu, sans nous perdre, tout doucement, en nous guidant avec maestria.

Je salue de plus l'originalité de l'histoire ; certes des groupes de jeunes adultes avec des pouvoirs paranormaux, ce n'est pas rien, mais le coup de l'extraterrestre par exemple (je n'en dis pas plus =p) il fallait oser.

Le glauque et l'horrible sont toujours présents, surtout dans le traitement visuel assez trash des cadavres. En fait, plus que trash, c'est cru : comme dans MDP, aucun détail n'est caché, ni mis en avant. Les cadavres en deviennent des bouts de décor ou des personnages à part entière, et perdent leur statut de corps morts. C'est à la fois rassurant et dérangeant ; rassurant, car on ne verse pas dans le sadisme teinté de curiosité malsaine (alors que MDP, certaines scènes en ajoutaient sur le sadisme, peut être un poil inutile.... ?), mais dérangeant car ces êtres sont à la fois exposés dans la nudité la plus crue avec des éclairages violents et pourtant sont pleins d'humanité.

Ma vision serait donc que ce manga permet à Eiji Otsuka de prendre le contrepieds de ses précédents travaux ; alors qu'avant, les cadavres n'étaient que des instruments narratifs, ils deviennent ici des personnages centraux. Eiji leur donne la parole au propre en faisant revenir leurs fantômes, et au figuré en humanisant ses créations victimes de sadisme.

Mon coup de coeur réside dans les premières missions du Kurosagi, lorsque les histoires s'enchaînent sans lien apparent. En effet, on peut alors y voir différentes facettes de la société japonaise, qui sont quand même plus réalistes que MDP ; et toutes ces facettes sont traitées par le mangaka avec presque... de la tendresse ?

Bref, je dis oui à ce manga comme continuité du travail du maître ; seuls bémols, c'est cette douceur qu'il y instille par rapport aux autres. Certes, pour moi, personnellement, ça ne me dérange pas. Mais dans l'analyse de l'oeuvre en elle même, j'avoue que ça dessert un peu Kurosagi, qui perd un peu de l'originalité de violence inhumaine présente dans les oeuvres précédentes. Donc je mets 10 au manga, et lui enlève 2 points pour cette raison, même si dans mon estime il mérite largement les 10.