Chaque année les auteurs ne cessent de le répéter : le marché du manga est saturé et il devient difficile d'avoir ne serait-ce qu'une vue d'ensemble des sorties mensuelles. Conséquence logique ou simple absence de curiosité de notre part, il est de fait assez habituel de perdre de vue un titre qui avait néanmoins initialement retenu notre attention.
Malheureusement, certaines oeuvres semblent attirer la malchance plus qu'elles ne l'auraient souhaité. A titre d'exemple le mois de mars 2012 a vu la parution de 187 nouveaux volumes, dont les deux premiers Billy Bat. Il n'y a donc rien de très surprenant à ce que L'Affaire Sugaya, un one-shot qui plus est, soit sorti dans l'anonymat le plus total. Le titre a pourtant quelques arguments assez intéressants, dont notamment le fait de mêler personnages réels et faits divers liés à une actualité encore toute fraiche, chose que le Japon tend d'ordinaire à éviter.
Les premières pages sont assez explicites quant à l'orientation que prendra l'histoire. Il ne s'agit aucunement d'une intrigue puisque Toshikazu Sugaya, victime d'une erreur judiciaire dans une affaire de meurtres en série, est relâchée après avoir passé 17 ans en prison. La personne à l'origine de sa libération est le journaliste Kiyoshi Shimizu, ce dernier travaille pour une chaine de télévision qui avait lancé un an plus tôt une série d'émissions avec pour thèmes principaux l'injustice et l'arnaque. L'essentiel du récit met en scène cette année et des poussières le journaliste et son équipe triée sur le volet ; chacun des membres étant là pour une compétence bien particulière (caméraman, chauffeur, etc). Le désormais ancien détenu n'apparaît d'ailleurs que très peu - voire pas du tout la majorité du temps - comme une postface lui est entièrement dédiée.
Si l'idée initiale reste tout à fait intéressante et finalement plutôt agréable à parcourir, il reste malgré tout très difficile de se libérer de certains défauts plutôt encombrants. Tout comme La Fin du Monde, Avant le Lever du Jour de Inio Asano, le titre aurait mérité d'être édité dans un format plus grand comme la plupart des scènes explicatives sont purement et simplement ratées. L'un des points décisifs de la contre-enquête que mène notre journaliste est de prouver qu'il était impossible pour l'accusé de se rentre d'un point A à un point B dans un délai imparti. Dans l'absolu le problème est, plus que la narration elle-même, un problème de mise en page comme la spatialisation des scènes est souvent incompréhensible. Se représenter une simple distance devient ardu et très rapidement l'on peine à saisir ce que l'on nous expose comme une évidence. Il est bien plus question de deviner une chose que de la constater et ne laisse d'autre choix au lecteur que celui de faire aveuglement confiance aux personnages. Dommage pour une histoire, vraie qui plus est, dont tout l'intérêt se trouve justement dans sa démonstration.
Autre obstacle à toute compréhension exhaustive de cette affaire, est l'absence totale d'explication et de (re)mise en contexte. Il m'aura fallu lire un article en ligne pour apprendre que le taux de condamnation atteint les 99% au Japon pour "seulement" 70% en France. D'une part cette statistique n'est pas donnée, et est par ricochet non expliquée puisque un autre article (on se demande d'ailleurs bien à quoi peut servir la postface dans ces cas-là...) m'a permis d'apprendre l'existence de ce que les japonais appellent Daiyō kangoku. Grossièrement, il s'agit d'un texte de loi permettant à la police de prolonger une garde à vue sur plusieurs semaines dans des locaux spécialisés ; ce qui, vous l'aurez compris, explique le nombre d'aveux obtenus ainsi que les chiffres sus-cités.
Difficile donc d'être certain de comment aborder L'Affaire Sugaya. Simple produit dérivé un peu malsain ? ou réelle volonté d'alarmer l'opinion publique ? Dans tous les cas, le titre reste très instructif et mérite que l'on s'y attarde. On y apprend notamment comment a évolué notre compréhension de l'ADN ces dernières décennies ainsi, bien que très brièvement, que la manière dont fonctionne la police nippone. Reste néanmoins l'importance de se documenter en parallèle afin d'apprécier l'œuvre à sa juste valeur, ce que la postface et le récit ne font malheureusement que partiellement.