Après avoir regarder des adaptations (Metropolis, Hi no Tori), je me suis dit qu'il serait peut-être temps que je lise mon premier Tezuka, sorte de passage obligé. C'est quand même le Père voire le Dieu du Manga, dit-on. Mon choix s'est porté un peu par hasard sur L'histoire des 3 Adolf, il faut bien commencer quelque part. Je ne cache que le fourbe qui se cache en moi avait aiguisé ses couteaux et ses critiques acerbes. Nécessairement, quand ça touche à une icône, et d'autant plus quand on touche aussi sensible que la Seconde Guerre Mondiale, on s'attend à une idéalisation de la part des autres, de la gentillesse et des défauts gommés devant ce que peut incarner l'auteur. Je me préparais à frapper sournoisement mais le combat s'est fait à la loyal. Tezuka m'a mis KO.
On ne peut plus parler de gifle mais bien d'un uppercut dans le bide. Vous savez, cette sensation bizarre dans le ventre que d'une part vous tournez la dernière page d'un grand, d'un très grand bouquin et que d'autre part il va vous hanter, longtemps.
Ça partait pourtant moyennement, le fil rouge me semblait un peu capilo-tracté mais en fait la trame principale est accessoire. Certes, Tezuka montre son talent pour construire une intrigue et ses rebondissements mais l'intérêt est ailleurs. Dans les personnages Kamil et Kaufmann et leurs relations particulières, dans le combat de Sohei pour son frère, dans les femmes. Le mangaka dit en préface qu'il aurait préféré mieux travaillés ses personnages féminins mais nombre d'auteurs pourraient en prendre de la graine. Elles sont mères, sœurs, amantes. Le réalisme des scènes de sexe, subtiles mais explicites m'a surpris quand je compare aux productions actuelles puritaines.
Le plus grand crédit qu'on peut accorder à Osamu Tezuka est d'avoir su écrire une œuvre non manichéenne. Certains nazis ne sont bien sûr pas des modèles de sainteté mais les scènes de bombardements au Japon, les plus réussies du manga, font parler le vécu de l'auteur enfant à l'époque et rappelle que les alliés non plus n'étaient pas de simples libérateurs sur leurs chevaux blancs. Le seul message sans équivoque qu'on peut retenir est la laideur de la guerre.
Le totalitarisme n'est pas seulement l'œuvre de quelques uns, cruels, il est surtout le résultat de l'inaction de tous, la masse qui abrutit l'individu et de la propagande. C'est remarquable avec les enfants à l'esprit influençable. Les trajectoires des deux Adolf est à sens sans équivoque et douloureuse pour le lecteur qui les a vu jeunes et innocents puis ravagés par la dure réalité du monde. Tezuka n'épargne rien, n'excuse rien mais il essaye de nous donner, en toute neutralité, les clés de compréhension sur la folie de la guerre. Et il ne nous assomme pas à coup de grandes phrases creuses : il se tient en retrait et nous apprend au détour d'une bulle que le "méchant" est un père de famille et que le "gentil" n'est pas forcément plus tolérant que le SS.
Bravo et merci pour cette leçon magistrale.
PS : Carton rouge à l'éditeur Tonkam qui, s'il a agrémenté sa réédition deluxe (en tout cas par le prix) avec une belle couverture et des notes explicatives détaillées sur cette période de l'Histoire pour replacer le manga dans son contexte, a inversé le sens de lecture pour le mettre à l'occidental avec la technique du miroir. Du coup le salut nazi est au bras gauche. Transformation scandaleuse pour une œuvre de cette ampleur.