Grands corps musclés, découpes à la main et onomatopées à gogo, c'est l'idée que l'on pourrait se faire de Hokuto no Ken à première vue. Pourtant, loin de la bonne (ou mauvaise, ça dépend du point de vue) blague que nous a servi la version française de l'anime, cette œuvre met en scène une véritable tragédie, portée par la constellation de la Grande Ourse et la force des personnages qui traversent l’histoire.
Le parcours éditorial de cette œuvre s’est développé ces dernières années. Tout d’abord prépubliée de 1983 à 1988 dans le Weekly Shounen Jump, la série compte 245 chapitres pour un total de 27 volumes à l’origine, publiés chez nous aux éditions J’ai Lu de 1999 à 2001. Avec les 25 ans et la remise au goût du jour de Hokuto no Ken, le manga a fini par être réédité aussi en francophonie par les éditions Asuka/Kaze à partir de 2008, avec une compilation en 26 volumes cette fois-ci et une nouvelle traduction. Cette édition étant actuellement terminée, une autre version Deluxe est à présent en cours chez Kaze et comptera 14 tomes. Cela couronne les 30 ans de la série, bébé de Tetsuo Hara (au dessin) et de Buronson (au scénario).
L’histoire est largement inspirée de l’univers de Mad Max tout en se l’appropriant intelligemment. L'explosion d'une bombe atomique a ravagé la majorité de la surface et transformé la terre en désert aride où ce qui reste de l'humanité tente de survivre. Dans cet univers post-apocalyptique, l'eau et la nourriture sont des denrées précieuses même dans les villes, et c'est désormais la loi du plus fort qui règne avec un nombre incalculable de gangs qui s'attaquent aux plus faibles. Un beau jour, un homme qui fait figure de messie salvateur surgit du désert : il s'agit de Kenshiro, successeur de l'école du Hokuto Shinken. Chaque principe se divise en plusieurs branches et plusieurs écoles, mais les techniques de combat se divisent principalement en deux : le Hokuto et le Nanto. Ces deux pôles sont opposés et complémentaires. C’est à partir d’eux que s’entrecroisent les différents fils des destinées et que l’histoire se construit. Plusieurs ennemis apparaissent tout au long du manga, mais celui-ci peut quand même se diviser en deux grandes parties : la première, la plus intéressante à mon avis, est la trame principale et la plus importante au niveau du nombre de chapitres ; la seconde partie met en scène Bat et Lynn adultes et un retour de Ken dans son pays d'origine.
La beauté des sentiments et la soif terrible de justice dans ce monde devenu désertique est parfaitement servie par le trait aux caractéristiques démesurées et bien marquées de Tetsuo Hara. Ce dernier présente au lecteur un style graphique très 80's au charme paradoxal et en constante amélioration. L'exagération des caractéristiques anatomiques sert parfaitement l'ambiance : des hommes extrêmement virils et des femmes somptueusement féminines, des sentiments marqués au burin sur leur face et des méchants très méchants affrontant des gentils très gentils… l’histoire semble baigner dans le manichéisme. Et pourtant, même s’il semble n’y avoir que deux camps auxquels se raccrocher, les motivations des divers personnages ne sont pas transparentes. La résolution apporte bien souvent la mort de celui qu’on pensait être un super-vilain, mais elle apporte aussi une lumière sur ce personnage, l’éclat de l’humanité qu’il restait en lui et qui en réalité a toujours été son leitmotiv.
En effet, ce qui importe vraiment c'est la manière dont sont développés les différents (et ô combien nombreux) personnages, leurs liens et le poids du Destin que chacun porte sur ses épaules. Le contexte est sombre et violent, l’injustice fait sa loi mais un désir de survivre plus fort que tout anime toujours l’humanité. Kenshiro est le sauveur de cette fin de siècle et il porte en lui tous les sentiments de ses amis comme ceux de ses ennemis. De cette tristesse, Ken tire sa force. Son amour pour ses pairs et ses frères fait de lui un guerrier miséricordieux et compatissant. Autour de ce héros exceptionnel s’étale toute une palette de protagonistes aux motivations diverses et aux caractères forts. Qu’ils soient des adultes dans la force de l’âge ou de jeunes enfants, qu’ils soient pauvres, faibles, empereurs ou puissants, qu’ils soient victimes ou tyrans, qu’ils soient hommes ou femmes, tous sont animés par leur volonté inébranlable, leurs principes et par leur amour – car tous, sans exception, ils aiment.
Retour à l'instinct primaire et sauvage de l'être humain, mais aussi à la force de sentiments purs et exacerbés à l'extrême. Hokuto no Ken, c'est Puissant.