Shamo est un manga assez particulier. D'une part pour l'antihéros qu'il met en scène mais aussi pour les messages que fait passer l'auteur à travers son histoire. D'ailleurs la série passera d'un duo à un auteur unique à partir du tome 25. Cela est dû à un manque d'implication reproché par le dessinateur Akio Tanaka au scénariste Izo Hashimoto, ce conflit ira jusqu'au procès et Tanaka continuera en solo par la suite.
L'histoire est donc celle de Ryo Narushima, lycéen issue d'une famille aisée qui un beau jour pète un câble et assassine sauvagement ses parents. D'une vie banale mais qui l'oppresse, Ryo va passer à la maison de correction avec son lot d'intimidations, de coups, de vols, de viols. Un changement d'univers radical mais malgré tout ça, le jeune Ryo ne m'inspire aucune sympathie : tuer ses parents par rapport à une éducation oppressante me parait extrême, trop extrême. Mais j'y reviendrais plus tard car je pense que l'auteur a conscience qu'il a fait de son antihéros un homme cruel et prêt à tout pour survivre. Et quand je vous dis tout, c'est vraiment tout. Voler, tuer, violer, se prostituer... Ryo a jeté son honneur pour survivre. Il s'est volontairement propulsé dans un monde qui ne lui fera pas de cadeau avec des fréquentations toutes aussi déplorables que son environnement. Shamo est un gros concentré de tout ce qu'il y a de plus négatif dans la vie urbaine : pauvreté, opportunisme, apparence symbole de la réussite. Si le monde entier est régie par le business, on a droit à son aspect le plus sombre peu importe l'échelle sociale. Mais Ryo sera aussi confrontée à l'image qu'il renvoi, celle du fameux "shonen A". Le garçon qui a assassiné ses parents sans que le grand public en connaisse la raison.
Et lorsque l'on est confronté à de telles épreuves, savoir se défendre devient indispensable et le karaté se pose comme un moyen idéal. J'ai trouvé l'apprentissage de Narushima très intéressant car nous voyons un gamin perdu qui n'arrive pas à s'y retrouver mentalement trouver un moyen de se construire une certaine confiance à défaut de s'estimer. De plus cet aspect n'est pas négligé : les mouvements sont précis, le dessin s'améliore de plus en plus et les combats sont rythmés. C'est d'autant plus appréciable que sur le plan du développement pur et dur des personnages ne serait-ce qu'au niveau de leur mentalité il y a du boulot. Si il y a déjà des éléments pour faire du parcours de Narushima un parcours atypique et profond, le karaté se pose finalement comme véritable point de départ de ce que deviendra le personnage, un vrai coq de combat.
Forcément le titre du manga n'est pas anodin. Narushima progresse logiquement et rencontre de nouveaux personnages, tous plus forts les uns que les autres, parmi eux Naoto Sugawara. Un personnage qui de par ce qu'il représente a une importance capitale par rapport au message du scénario. Outre son rival, la série s'enfonce un peu plus dans les arts martiaux permettant de varier les styles de combat et d'offrir un spectacle plus intéressant. Et le spectacle n'est pas que pour nous, lecteurs, il est aussi pour une bonne partie des personnages secondaires, plus que secondaire même. Shamo est avant tout une critique de la société spectacle, cette société qui vit dans l'instant présent, qui veut s'enflammer, qui laisser libre cours à ses instincts sans se demander le pourquoi du comment. La société de consommation sous son pire aspect. Ca se manifeste évidemment avec Ryo, le rejeté de la société, le paria avec une vie minable mais le personnage en lui-même ne donne pas l'impression d'en souffrir constamment. Il assume pleinement ses sales coups, il assume sa volonté de survivre peu importe la manière. Toute l'ironie est là. Une société qui ne vit que par le résultat ou le sensationnel (popularité, étalage de richesses, spectacle sous forme d'abrutissement des arts martiaux) s'est mise à détester un jeune homme qui suit les mêmes principes. Narushima est donc un vrai paradoxe : hors-norme de par ses actions, dans la norme de par sa philosophie de vie. Il prend pleinement part à ce jeu macabre qui consiste à faire la danse du ventre pour les plus riches et à alimenter un système où l'inégalité est une fatalité. Les tournois de karaté ou dans le sens plus large d'arts martiaux transforment les stades en véritable gallodromes où les coq de combats divertissent d'autres animaux ayant la même forme physique mais submergés par leurs instincts primitifs. Tout ça ne serait pas intéressant si Narushima ne croisait pas sur son chemin des personnages aux principes biens différents, cela ne faisant qu'accentuer le contraste entre la noblesse, une rareté dans le manga et la superficialité de plein d'autres personnages.
Le paradoxe s'élargit alors à l'univers du manga : "trop" de réalisme devient du fatalisme. A ce moment là ça n'est plus vraiment une vision réaliste du monde qu'ont les personnages, mais une vision qui les pousse à agir de la manière la plus sale possible pour assurer ses arrières. Un environnement étouffant parfois écarté par les entrainements de Ryo avec un vrai changement de décor nous permettant d'admirer le trait d'Akio Tanaka. Comme je le disais plus haut, j'ai apprécié le fait que les arts martiaux ne soient pas seulement un prétexte pour engager les combats et justifier l'image dépeinte de la société. C'est une vraie partie du manga, toute aussi développée. Si au fil de l'histoire le type d'arts martiaux varie et ne se cantonne pas au karaté, c'est aussi une bonne occasion pour l'antihéros de service d'élargir ses horizons et de peaufiner son art. Evolution de ce côté mais le fil conducteur est toujours le même : survivre, gagner de l'argent, se faciliter la vie si possible. Pas de temps mort, outre Ryo la tension autour des autres personnages est constante et ils ne s'arrêtent jamais. Un personnage seulement semble plus détendu que les autres (vous le découvrirez en lisant le manga évidemment) et pour le coup il est pour moi le gros point noir du manga. Je trouve qu'il n'a eu aucune utilité, il prend trop de place et son développement est exagéré. A un moment j'ai tout simplement trouvé que l'auteur abusait de l'aura de ce personnage, ça devenait de la surinterprétation et j'ai fini par le trouver ennuyeux. Et malheureusement ce personnage a un certain poids dans le manga comme je le disais. Cependant la dernière partie du manga initiera un retour aux fondamentaux qui me convient parfaitement.
Pour finir, Shamo est une très bonne série pour ma part. Elle aurait pu être géniale si il n'y avait pas eu un arc que j'ai trouvé à la limite du catastrophique. Dans l'ensemble les personnages sont bien gérés, surtout Ryo Narushima, son évolution est atypique et lourde de sens également. Quant aux autres, sans en dire trop, chacun joue son rôle et contribue au message véhiculé par le manga, notamment Naoto Sugawara. Un message sur la société de consommation particulièrement intéressant car outre son contenu, la forme est très réussie avec de superbes dessins et un symbolisme presque parfait.