Noboyuki FUKUMOTO (Akagi, Kaiji) a pour habitude de mettre en scène des stratégies incroyables, des véritables combats de l'esprit. Au premier abord, Saikyô Densetsu Kurosawa semble varier de ce schéma mais au fil de la lecture, on comprend que bien au contraire il est la démonstration la plus éclatante du style de l'auteur. Le héros ne va pas ici affronter autant d'adversaires improbables que charismatiques : il va se battre contre lui-même.
Kurosawa est un homme, célibataire, dans la quarantaine. Il occupe le poste d'ouvrier dans un chantier de construction où il n'exerce aucune responsabilité malgré son expérience. C'est un taiseux qui a une sorte d'aura en négatif. Son seul ami est une pancarte-mannequin. Néanmoins, Kurosawa veut être populaire. Alors qui ni l'argent ni les femmes ni la popularité ne lui ont jamais souris, il veut être aimé, admiré, respecté. Du haut d'une vie que d'aucuns jugeraient gâchée, il n'a abandonné aucun de ses rêves d'enfant. Malheureusement, c'est un vrai chat noir : tout ce qu'il entreprend est mal interprété et l'enferme un peu plus dans l'échec et la solitude.
Mais un jour il va sonner la révolte. Ivre, il jure de se venger de trois ados, des petites frappes qui l'ont brutalisé pour s'amuser et l'ont humilié. Sobre le lendemain, il aurait certainement oublié cette promesse d'ivrogne mais il a échauffé les esprits d'autres gens dans le bar et le voilà piégé. Celui qui a fui va devoir se battre.
Oubliez les combats où le héros se surpasse et fait éclater la roche, ici les combats sont réalistes, tous les coups sont permis, tout ce qui vous tombe sous la main est une arme, et oubliez aussi les duels alors que les autres regardent. Ici on se bat à 10 contre 1 et si on peut sortir une arme alors que l'adversaire est mains nues. Bien sûr dit comme ça, vous craignez une apologie de violence mais il n'en est rien. Kurosawa va rencontrer des faibles comme lui : des jeunes sans diplômes à l'avenir bouché, des SDF (plus encore qu'en France les SDF sont un sujet tabou au Japon), etc. Ils se battent d'abord contre eux-mêmes, contre leur lâcheté, avant de se battre contre les autres.
Et alors la technique du clair-obscur prend tout son sens, dans une ambiance dépressive et avec un héros à la telle joie de vivre qu'il justifierait la prescription de Lexomil à la tonne, Saikyô Densetsu Kurosawa délivre un formidable message d'espoir. Les laissés-pour-compte ont eux aussi droit à leur part de bonheur, et elle se cache parfois juste sous leurs yeux. Mais il faut savoir se démener pour ça, sans faillir, même quand rien ne semble marcher.