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Banana Fish : Retour en enfer

Publié le 10/05/2021 par dans Manga - un commentaire

Banana Fish est un de ces mangas qui rentrent peu dans les cases, c’est le cas de le dire. À la fois inclassable et incontournable, le manga est devenu au fil des ans une référence indispensable du shoujo manga… et du polar en général.

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Voilà trois ans que la série d’animation produite par Mappa et réalisée par la talentueuse Utsumi Hiroko a été diffusée, pour fêter les 40 ans du manga. Trois ans d’attente mais nous avons enfin le droit en France à une réédition en format double après une première édition commercialisée au début des années 2000, qui était introuvable depuis longtemps. Retour sur ce monument du manga pour les chanceux qui ne l’ont pas encore dévoré.

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Action, thriller, polar, torture et drogue. Voici quelques mots qui vous semblent peut-être assez éloignés de l’image que vous pourriez avoir du shoujo manga… et pourtant.

Banana Fish apparaît de nos jours comme un petit ovni éditorial, si bien que l’éditeur lui-même, Panini, a tendance à le reclasser un peu maladroitement parmi les seinen manga dans certaines de ses communications. L’adaptation du manga en 2018 a évidemment permis de faire connaître à une nouvelle génération ce manga, sa narration exigeante, ses planches millimétrées et ses personnages touchants… tant de qualités que la série avait eu du mal à mettre en avant, malgré tout le talent d’Utsumi Hiroko.

Pour ceux qui n’auraient pas vu la série, nous suivons les mésaventures de Ash, un beau blond aux yeux bleus verts dans les États-Unis du milieu des années 1980. Il découvre un jour un homme mourant dont les derniers mots sont « Banana Fish » en lui donnant une adresse… ces mêmes mots que répète son frère revenu traumatisé du Vietnam. Cependant, se cache derrière cette affaire une très sombre réalité.

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Prenons un peu de recul. En réalité, si à nos yeux modernes la classification de Banana Fish comme shoujo manga est étonnante, elle l’est bien moins d’un point de vue historique. Banana Fish a été publié entre 1985 et 1994 dans le Bessatsu Shoujo Comic (devenu Betsucomi aujourd’hui) par Akimi Yoshida, une jeune autrice qui avait débuté à la fin des années 1970, dans les traces des grandes figures du Groupe de l’an 24. Pour rappel, le Groupe de l’an 24 est ce collectif informel qui regroupe la jeune génération de mangaka au féminin et qui a réinventé le shoujo manga au tournant de 1968, notamment par l’invention du shounen-ai (manga tournant autour de l’amour ou de l’attirance entre deux garçons).

Banana Fish est en ce sens un produit de son époque. Il traduit tout à fait la dynamique qui traversait l’industrie du shoujo manga depuis une quinzaine d’années et qui introduit des thèmes durs, crus et actuels. Jusqu’alors, on comptait deux grandes directions pour le shoujo moderne : d’une part les grands récits familiaux dans un cadre historico-européen fantasmé (La Rose de Versailles ou Kaze to Ki no Uta par exemple) et les premiers pas de la science fiction dans le shoujo manga (Marginal ou They Were Eleven ont fait de Moto Hagio l’une des autrices les plus respectées de science-fiction à l’époque). Et comme beaucoup de shoujo mangas de cette époque, Banana Fish introduit des éléments de shounen-ai.

On comprend généralement assez mal ce que le shounen-ai a pu apporter au manga, principalement parce qu’on le regarde d’un œil trop actuel et trop habitué à ses formes modernes, comme le yaoi. Initialement, le shounen-ai était envisagé comme un moyen subversif et universel d’aborder certaines thématiques du manga moderne, comme les difficultés familiales, le traumatisme, le genre ou le sexe. À ce titre on a souvent remarqué que dans le shounen-ai de cette époque, ce sont davantage des personnages « sans genre ni sexe » que de véritables garçons. Dans Banana Fish, ce sont bien de « véritables garçons »… mais l’approche de l’homosexualité, qui traverse en pointillé le manga sans jamais en être l’élément principal, est encore emprunte des codes instaurés par le Groupe de l’an 24.

Les années 1980 marquent un tournant dans cette approche avec l’apparition d’œuvres qui explorent l’homosexualité en tant que véritable thème, et non plus comme support. Banana Fish est peut-être l’un des mangas les plus représentatifs de ce tournant, puisque l’homosexualité des personnages est encore un prétexte à du développement psychologique, mais adopte en même temps un réalisme froid qui ancre dans l’époque actuelle le récit. Car oui, l’époque où l’intrigue se déroule est contemporaine de l’époque de parution. Ce détail veut beaucoup dire, car jusqu’ici, le shoujo manga était quasi exclusivement perdu dans un passé ou un avenir inatteignables. Banana Fish ne parle plus seulement de thèmes actuels, il parle d’actualité, il parle du monde, il parle de son époque.

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Cette particularité est en réalité bien plus importante que toute trace de baiser furtif ou de romance dans la série. Certes, la réputation du manga a été en partie construite sur sa dimension shounen-ai, mais en ce sens, l’adaptation est plutôt fidèle : il ne se passe pas grand-chose de ce côté-là. Banana Fish n’est pas un yaoi, c’est un polar haletant, on parle de flingues, de torture, de mort et le scénario n’a évidemment pas le temps pour les amourettes ou les scènes de lit. Ce n’est pas le sujet et il serait dommage de passer à côté d’une des plus belles œuvres des années 1980 en croyant tomber sur un produit pour fujoshi.

Le trait d’Akimi Yoshida retranscrit très bien cette modernité réaliste, si bien que le manga ressemble davantage à une bande dessinée franco-belge en noir et blanc qu’à un manga. Là où le shoujo manga de la décennie précédent s’était appliqué à faire éclater les cadres et multipliant les effets expressionnistes, Banana Fish impose un retour à la mesure, avec une mise en page froide, rigoureuse qui met en valeur un dessin à la concision déroutante.

L’approche est presque minimaliste, elle est sans fioritures et sans apprêt, mais pas sans style. Les influences de Banana Fish sont cinématographiques et ça se voit, jusque dans ce qui s’apparente presque à de petits « tics de cadrage » où les personnages apparaissent sur plusieurs plans et en oblique.

La composition efficace met en avant un scénario qui frôle la perfection et qui sait surtout jongler avec habileté entre développement des personnages et intrigue globale. Si le rythme du récit vous avait déçu dans l’adaptation animée, n’ayez pas peur, car c’est bel et bien la solidité de sa narration qui a valu la réputation du manga, narration qui avait été ébranlée dans l’anime notamment par le choix étrange de replacer l’intrigue dans le monde actuel, alors qu’il s’agissait précisément d’un manga profondément ancré dans son époque, les années 1980.

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Cette réédition arrive sur le tard mais au moins, Panini a appris des erreurs de la première édition et a fait les choses correctement. Le manga se présente désormais dans un format double et a bénéficié d’une traduction réajustée. Le papier jaune, qui avait fait la risée de la première édition, n’est évidemment plus au rendez-vous. Dans l’ensemble, le travail d’édition réalisé est plutôt attentif et permet enfin de découvrir l’œuvre dans de bonnes conditions.

Certes, ce n’est pas la formidable édition en quatre coffrets dont a pu profiter le Japon à l’occasion de la sortie de la série animée. Néanmoins, cette réédition française est indéniablement l’occasion idéale pour celles et ceux qui n’ont jamais touché à cet incontournable du manga, de découvrir son intrigue rigoureuse, véritable plongée réaliste dans les tréfonds les plus vils de ce qui ressemble décidément à l’enfer sur Terre.

Les deux premiers volumes doubles ont paru le 21 avril 2021 aux éditions Panini au prix éditeur de 16€00. Le troisième volume est prévu pour le 2 juin 2021.

Un commentaire

Cet article tombe bien, je suis pile poil en train de sélectionner des musiques de l’OST de la série Banana Fish. C’est assez marrant comme circonstance. Sinon, j’étais déjà convaincu de lire le manga mais tu enfonces bien le clou :) Cela-dit… je ne ferais pas parti de la première vague des acheteurs x) Malgré tout, je suis très intéressé et un jour je le lirai. En espérant qu’il ne soit pas de nouveau introuvable à ce moment-là. Merci pour l’article !

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