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Carnets de production – Bakuten, épisode #1

Publié le 03/05/2021 par dans Anime - 7 commentaires
Dans ces carnets de production, nous revenons sur des détails intrigants à propos de certains épisodes des séries en cours de diffusion sous un angle à la fois technique et pédagogique. L’article révèle le contenu du premier épisode de la série Bakuten. Il n’est cependant pas nécessaire d’avoir vu l’épisode pour la lecture de l’article.
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Bakuten!! est depuis ses origines un drôle de projet. Cela aurait pu être une énième série de sport masculin, comme il en sort désormais à un rythme industriel depuis le succès de Free! en 2014, surtout en provenance d’un studio de second plan comme l’est le studio Zexcs. Seulement, en animation comme partout, les heureuses surprises ont leur place et Bakuten s’annonce immanquablement comme l’une des séries les plus intéressantes de la saison.

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Dès l’origine, il faut souligner comme Bakuten!! sert un dessein inhabituel. L’anime est commandé par la case noitanimA, qui fut autrefois un gage de qualité à travers ses projets originaux et ambitieux. Même si le label n’a plus le prestige qu’on lui a accordé autrefois, il se met ici au service de la commémoration du triste dixième anniversaire du tremblement de terre destructeur qui avait frappé le Japon en 2011. Bakuten!! apparaît dans le cadre d’un projet intitulé « Zutto Ōen Project 2011 + 10… » lancé par Fuji TV, et qui servira à la production de deux autres projets, des films d’animation quant à eux.

Iwanuma est une ville côtière moyenne, en partie orientée vers l'industrie

Iwanuma est une ville côtière moyenne, en partie orientée vers l’industrie

À travers Bakuten!! l’objectif est double : il faut rendre hommage d’une part et ouvrir un avenir d’autre part à ces régions meurtries. Projet à la fois curatif, publicitaire et solennel, Bakuten!! se devait d’adopter un ton particulier, s’ancrer plus profondément dans le réel. Pour cela, l’équipe a choisi Iwanuma, dans la préfecture de Miyagi. Dans cette seule ville, le tremblement de terre et le tsunami qui s’en est suivi ont entraîné la mort de près de 200 personnes. Et dès lors on remarquera un fait important : les lieux, dépeints pourtant avec fidélité, laissent à l’écart la côte, comme si cette ouverture vers l’océan, ouverture si meurtrière, était encore une plaie trop vive, trop présente pour que l’on ose la regarder de front.

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Cette charge émotionnelle puissante ne nous apparaît pas clairement à nous, occidentaux qui avons vécu de loin, à l’abri derrière nos écrans de télévision, la catastrophe. Pourtant, c’est bien elle qui ressort dans les premiers commentaires sur Bakuten, comme en témoigne ce tweet adressé à Kouta Fumiaki, l’un des piliers de l’équipe créative :

 

Je suis ému par la beauté des scènes et par le fait que vous ayez recréé le lieu réel à partir des photos. Je ne peux pas m’arrêter de pleurer.

>>> Réponse de Kouta Fumiaki : Merci beaucoup. Je suis sûr que le réalisateur, qui a fait un grand travail de repérage, sera heureux de l’apprendre.

Cette anecdote peut sembler presque ridicule, mais à travers elle, on peut mieux comprendre l’engagement particulier d’une équipe, les choix créatifs et leur impact puissant. Ce goût du réalisme, un réalisme dur, c’est-à-dire avec les pieds sur terre, ancré jusqu’au bout dans le réel : voilà ce que j’aimerais vous montrer dans ce premier épisode ; et vous montrer aussi, dans le même temps, comment tout l’engagement créatif de l’équipe se condense avec cohérence autour de ce même objectif.

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Pour mener à bien ce projet, chez noitanimA on a pensé à une équipe déjà connue. Vous vous souvenez peut-être de Fune o Amu, cette drôle de série qui parlait de dictionnaires. Derrière cette série, produite chez Zexcs justement, il y avait d’une part le producteur Shintaku Kiyoshi (新宅潔) et d’autre part le réalisateur Kuroyanagi Toshimasa. C’est d’ailleurs Shintaku Kiyoshi qui est allé présenter la série à la radio locale en mars dernier. Ensemble, ils ont déjà travaillé sur une poignée de projets et forment assurément un noyau soudé avec une direction forte, orientée pleinement vers le réalisme.

Ce noyau dur est rejoint par le jeune Nagaya Seishirou qui débute à la réalisation sur cette série. Ce dernier entretient en réalité des liens étroits avec Zexcs où il a accompli l’essentiel de sa formation. Après deux ans en tant qu’intervalliste (personne chargée de dessiner les images les moins importantes mais nécessaires pour assurer un mouvement fluide), c’est finalement Zexcs qui lui avait donné sa chance en tant que « Jeune animateur-clé » en 2013. Depuis, il a participé à un bon nombre de projets du studio et a gravi les échelons.

Mais si sa participation pour la première fois au poste de réalisateur est importante, c’est parce qu’elle est profondément significative d’un autre axe fort du projet : Bakuten!! est fondamentalement pensé comme un environnement de formation.

Il faut évoquer enfin de quoi parle la série, c’est-à-dire de gymnastique rythmique masculine. D’un point de vue externe, cela signifie un sport assez inhabituel, potentiellement spectaculaire. D’un point de vue de l’animation, cela signifie un défi immense : car même parmi les meilleurs animateurs, peu sont finalement habitués à ce type de mouvement, fort de nombreuses rotations qui doivent à la fois paraître impressionnantes et justes. Défi technique donc, qui s’additionne d’un défi technologique chapeauté par deux animateurs hors-pair et bien connus des amateurs d’animation : d’une part Kouta Fumiaki, connu pour avoir relevé tous les défis que représentaient les idées de stand les plus folles d’Araki dans les adaptations récentes de JoJo ; d’autre part Yamashita Shingo, jeune animateur de la webgen (il s’agit du nom que l’on donne à la jeune génération d’animateurs qui ont débuté sur Internet et qui favorisent les environnements numériques) connu pour son amour du mouvement et dont le style inhabituel lui avait valu, notamment pour ses plans sur Naruto, l’admiration de certains et la haine d’autres.


Kouta Fumiaki possède un style d’animation très reconnaissable

 

Ensemble, ils sont en charge des scènes de compétition qui ont recours à des technologies hybrides, entre animation assistée par ordinateur et dessin traditionnel.

Dès lors, on peut dégager trois mots d’ordre, qui définissent ce premier épisode de Bakuten!! : réalisme, formation, défi technologique. C’est sous ces différents aspects que je compte mettre en lumière cet épisode.

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Je vous propose de plonger la tête la première dans cet épisode. Pour rappel, vous pouvez aller le regarder gratuitement sur Crunchyroll, qui est en charge de la diffusion de la série en France. Il n’est cependant pas nécessaire d’avoir vu l’épisode pour la lecture de l’article.

L’épisode s’ouvre sur une séquence animée par Kouta Fumiaki, la seule qu’il signe dans cet épisode. Sous sa simplicité apparente, on trouve surtout les marques de ce qui définit pour moitié l’identité visuelle de la série. En réalité, on va voir qu’il forme avec un autre animateur, Matsumoto Shougo, un couple de contraires. Là où Matsumoto Shougo représente une approche réaliste, terre-à-terre de l’animation, Kouta Fumiaki, fort de sa très grande expertise dans les effets visuels, crée un pendant surréaliste, onirique, qui sert d’emphase au récit comme on utiliserait un coup de surligneur.

Penchons-nous un petit peu plus sur ces premiers plans. J’ai sélectionné la fin de la séquence dont il s’est chargé, qui me semble le segment le plus intéressant. J’ai également ralenti le tout à 2 images par seconde pour permettre de mieux observer ce qu’il s’y joue.

Dans cette séquence donc, le héros, Futaba, assiste pour la première fois à une compétition de gymnastique rythmique. L’enjeu de ces plans est de montrer l’émotion que ressent Futaba. Pour cela, l’anime choisit de sortir de la réalité pour aller vers l’onirique.

Cela passe par plusieurs éléments ajoutés les uns aux autres. D’une part, la lumière vire à un bleu étrange, qui évoque autant le ciel (avec les plumes) que l’eau (avec les ondes, et vous voyez où est passé l’océan absent du cadre de l’anime). Si on peut comprendre d’abord qu’il s’agit d’un changement d’ambiance lié au spectacle et à la mise en scène de la compétition, il n’en est rien en réalité. En effet, cette même séquence est rediffusée plus tard dans l’épisode sous une forme légèrement différente. L’un des changements les plus visibles est l’absence de cette lumière bleue. Après coup, on apprend donc au spectateur qu’il s’agit d’une lumière irréelle (extradiégétique comme on dit, c’est-à-dire qui ne fait pas partie de l’histoire).

Viennent ensuite les plumes et les courants d’air qui graduellement emmènent le héros vers une sorte de réalité alternative. Pour cette séquence, on retrouve en fait une combinaison d’effets traditionnels (les plumes) et d’effets de post-production numérique (les effets de flou et de brouillage qu’on appelle aussi « smears » en animation, et qui sont utilisés pour mettre en avant la vitesse ou la violence d’un mouvement). La mise en scène est très simple et repose en réalité principalement sur cet effet de zoom progressif : d’abord la caméra s’éloigne pour embrasser la majesté de la scène, avant de se rapprocher des yeux de Futaba pour souligner l’émotion suscitée par la scène.

Enfin, c’est une séquence idéale pour souligner combien l’animation repose sur l’illusion, ou la capacité des images à tromper notre esprit. Toute l’animation traditionnelle de cette séquence est animée en « 2s ». Cela signifie qu’en réalité, seule une image sur deux change, sur les 24 images que compte chaque seconde. On parle par exemple de « 1s » quand toutes les images changent, ou de « 3s » lorsqu’une image sur trois change. En animation japonaise, le « 2s » représente le cas le plus courant mais il faut savoir qu’au sein même d’une séquence, il est possible de trouver à la fois du 1s, du 2s et du 3s (et parfois même plus, dans de très rares cas).

Les variations de vitesse d’image sont utilisés pour créer des impacts ou du dynamisme. Par exemple, lorsqu’un coup puissant est porté, un animateur pourra décider d’avoir une image, l’image de l’impact, en 3s pour renforcer l’effet avec ce qu’on pourrait appeler un petit « arrêt sur image ». En l’occurrence, ce n’est pas du tout un paramètre sur lequel Bakuten!! joue, puisque la série va davantage essayer de mettre en avant la fluidité et la régularité des mouvements. On pourrait alors animer en 1s pour obtenir le mouvement le plus fluide possible… mais cela voudrait dire dessiner deux fois plus d’images qu’en 2s. En l’occurrence, l’équipe créative a fait un autre choix, probablement plus judicieux : ils ont triché.

Bakuten!! vire parfois à l’onirisme pour mettre en valeur des émotions puissantes

Regardez le plan où les plumes s’envolent. Vous remarquez qu’il y a deux sortes de plumes : les plumes au premier plan, qui sont les plus foncées, sont assez détaillées et clairement en 2s. Elles ont bénéficié du soin d’un animateur. Cependant… à l’arrière-plan il y a des plumes plus claires qui sont beaucoup moins détaillées et qui changent à chaque image : elles sont donc en 1s et leur mouvement a été laissé à la charge d’un ordinateur. C’est leur présence qui donne une impression de fluidité supplémentaire à vitesse réelle. D’où l’illusion d’optique.

Cette séquence n’est pas extraordinaire en soi, mais elle expose très bien les objectifs et les manières de faire de la série. Dans son approche réaliste, elle favorise un mouvement continu, sans saccade. Elle adopte donc du 2s, assez courant, qui permet de limiter les dessins à produire, mais joue jusqu’au bout la carte de la régularité. D’un autre côté, elle trouve des astuces, ici et là, pour donner l’impression d’une très grande fluidité et retranscrire un mouvement réaliste. De plus, cette séquence définit d’un point de vue de l’identité beaucoup d’autres séquences dans la série, qui sont des séquences oniriques, toujours portées par ce même bleu profond (et exceptionnellement quelques touches rosées ou violacées).

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Avançons à la séquence suivante pour découvrir l’autre versant de la série, son versant le plus réaliste, avec une séquence animée par Matsumoto Shougo. Ici, nous allons nous concentrer sur d’autres techniques mises en place dans l’épisode et particulièrement sur les concepts de storyboard et de layout.

Un storyboard est une suite d’images, souvent peu travaillées, qui doit montrer l’action ou le mouvement d’une séquence. Généralement, chaque plan sur le storyboard est accompagné d’annotations du storyboarder ou du réalisateur, qu’il s’agisse du réalisateur de toute la série ou du réalisateur spécialement responsable de l’épisode (appelé directeur d’épisode).

Le layout quant à lui n’a pas pour vocation de montrer le mouvement, mais plutôt la répartition des éléments dans le cadre de l’image. Il s’agit généralement d’un dessin bien plus détaillé, qui sert de base à la fois pour les animateurs et pour les responsables des arrière-plans. On ne le réalise pas systématiquement en amont.

Kuroyanagi Toshimasa, qui est donc un des réalisateurs de la série, et qui a personnellement réalisé et storyboardé le premier épisode, a partagé sur Twitter un extrait de son storyboard. Il s’agit précisément du plan que je voudrais examiner en votre compagnie, et animé par Matsumoto Shougo. N’hésitez pas à cliquer sur les images pour les observer en meilleure définition.

Comme vous pouvez le remarquer, les images sont tout de même relativement détaillées. Pourtant, dans son tweet, il précise bel et bien qu’il s’agit d’un storyboard. En réalité, cela ressemble à une forme un petit peu hybride, permise notamment par le format numérique, qui montre avant tout que la composition de chaque plan est au cœur de leurs préoccupations.

Pour comparaison, voici d’ailleurs des visuels des storyboards du second épisode, cette fois-ci dans un style moins numérique et conçus par Nagaya Seishirou.

Ce storyboard est beaucoup plus proche de ce qui se fait d’habitude pour des séries télévisées

Remarquez comme l’emphase est légèrement différente : les couleurs ont plus d’importance, le mouvement également. La composition des plans est toujours très présente, mais nous ne remarquons plus cette même emphase sur le layout, c’est-à-dire la répartition de l’espace à l’écran. Et en effet, le second épisode est bien moins travaillé à ce niveau-là. Ses forces sont ailleurs.

Il s’agit désormais de voir au sein même de l’épisode ce que signifie cette conscience plus grande du storyboard en tant que layout. Pour cela, je vais vous accompagner dans cette séquence animée par Matsumoto Shougo. Il est donc temps de regarder ce à quoi elle ressemble.

Comme vous le voyez, il s’agit d’une séquence introductive dont le premier rôle est un rôle d’exposition. En clair : elle veut planter le décor. C’est aussi cela qui explique cet air de layout, qui est particulièrement visible sur certains plans, comme celui où plusieurs balles sont au sol : l’image finale reproduit la composition du storyboard dans les moindres détails. Mais cette scène marque aussi un tournant pour le personnage principal, même si le spectateur ne le sait pas encore à cet instant. En effet, le personnage principal était joueur de base-ball, et va donc se réorienter vers la gymnastique rythmique.

Pour mieux mettre en évidence la manière dont la séquence animée utilise le storyboard original, j’ai monté pour vous une petite vidéo qui permet de mieux apprécier la comparaison. La vidéo est également légèrement ralentie pour vous permettre de mieux observer.

Vous avez peut-être noté qu’à certains moments, la séquence prenait des libertés avec ce qui est dessiné ou suggéré sur le storyboard. Si vous avez bien regardé, il y a même un plan entier qui a été supprimé. C’est tout à fait normal et naturel. Cette situation s’explique soit par de potentiels changements voulus par le réalisateur ou le storyboarder une fois le storyboard dessiné, soit par une marge de liberté laissée à l’animateur. Ici, c’est probablement davantage cette seconde option qui est la bonne. Néanmoins, ce n’est pas ce point qui va nous occuper.

Nous parlions à l’instant de layout et vous avez déjà peut-être remarqué comment certains plans s’organisent autour de plusieurs actions. Pour des raisons de budget et de temps, en animation japonaise pour la télévision, il est généralement entendu qu’un plan vaut pour une seule action. Le reste, tout autour, ne bouge pas ou seulement de manière très succincte : cela appartient au décor. Ici, cette règle économique n’est pas toujours respectée et ce alors même qu’il s’agit d’une scène tout à fait banale. Si vous n’avez pas repéré ces actions supplémentaires, qui ont lieu souvent à la marge de la zone centrale de l’écran, ce n’est pas grave. Prenez simplement le temps de regarder de nouveau l’extrait en prêtant bien attention à ces détails.

C’est bon ? Vous avez vu comment régulièrement c’est l’ensemble du plan qui se met en mouvement ? Maintenant, prêtez attention à la cohérence des actions. C’est un terme qui me paraît des plus adaptés pour décrire comment, dans ces plans, une action en entraîne une autre. La balle envoyée en dehors du terrain mène à la fois le joueur à se précipiter, le petit garçon à vouloir ramasser la balle, et les deux jeunes filles à se réjouir de la victoire. Les actions sont donc intriquées les unes dans les autres.

Les mouvements des acteurs sont intriqués si bien que l’image gagne en densité et en réalisme

De même, le départ brusque du personnage principal se prépare alors qu’on voit son ami ranger ses affaires et le reste du groupe partir, puis il surprend le couple qui se trouve au premier plan. Finalement, le personnage principal prend le temps de saluer des personnages hors champ. Tous ces mouvements contribuent à donner une illusion de vie, non seulement par leur nature même de mouvement, mais aussi parce qu’ils instaurent un réseau d’actions cohérentes qui font sens au sein d’une groupe humain.

Cette idée de groupe humain, de communauté au sein de laquelle une action entraîne une ou plusieurs réactions, au sein de laquelle il règne donc cette forme d’interdépendance, participe peut-être plus que tout à l’objectif de réalisme. Bien entendu, cela va de pair avec deux autres traits forts de la série : d’une part l’idée de l’hommage qui reste aux racines du projet, et d’autre part l’idée d’équipe qui est indéniablement mise en avant à travers le sport choisi, et qui l’est d’autant plus qu’il s’agit du principal enjeu narratif de la série : ils doivent constituer une équipe à six.

D’un point de vue symbolique, bien entendu, cette scène marque le passage du base-ball à la gymnastique rythmique, d’une ère à une autre. C’est bien entendu le rôle de ce plan où se croisent l’oiseau, qui représente la gymnastique (souvenez-vous des plumes de la première séquence !), et la balle. Le salut final du personnage prend alors un tout autre sens.

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Maintenant que nous avons découvert les deux grandes directions de l’animation, d’une part l’onirisme et d’autre part le réalisme, j’aimerais consacrer un bref instant à la séquence suivante. Vous êtes désormais plus coutumiers de certaines stratégies adoptées par la série. Cette séquence qui suit partage beaucoup d’aspects avec la séquence que nous venons d’observer, dans son réalisme notamment, aussi il ne me semble pas utile de détailler ce que désormais vous êtes capables de distinguer vous-mêmes. Néanmoins, j’aimerais mettre en lumière une utilisation supplémentaire du layout, qui met en avant la profondeur, c’est-à-dire la distinction entre premier et second plan.

Sans doute êtes-vous déjà au fait de cette distinction que l’on fait entre les différents plans. Si jamais cette notion vous est inconnue, voici pour la définition : ce qu’on appelle les différents plans d’une image, ce sont les différentes « couches » successives. Tout derrière, nous avons l’arrière-plan. Tout devant, nous avons le premier plan. La couche qui est juste derrière le premier plan est appelée second plan, la couche suivante encore troisième plan, etc. Au minimum, une image comporte un plan. Attention cependant : lorsque l’on parle d’un plan dans une scène, on parle d’une suite d’image qui partage la même « caméra », c’est-à-dire le même point de vue. L’anglais fait la distinction (cut pour le plan dans le temps, foreground/background pour les « couches » de l’image) mais le français utilise malencontreusement le même terme.

Beaucoup de plans dans l’épisode sont construits en de très nombreuses couches par rapport à ce qui se fait habituellement

Désormais, j’aimerais que vous regardiez la séquence qui suit, animée par Mutou Miki (武藤幹), en faisant attention aux différents plans.

Alors ? Avez-vous remarqué que le personnage principal n’est jamais sur le même plan que l’équipe de gymnastique rythmique qu’il veut rejoindre ? Pour l’instant, un fossé les sépare. La mise en scène met clairement en avant ce mur invisible entre eux en répartissant les personnages sur des plans différents qui ne se croisent jamais. Voilà une remarque qui, à mon sens, vient tout à fait compléter ce que je soulignais dans la séquence précédente. Kuroyanagi Toshimasa est un réalisateur qui aime les effets de contraste, il envisage souvent les choses par différence, que ce soit sur le plan purement visuel, dans la narration, ou comme ici, dans la composition des plans. L’effet de contraste se trouve en l’occurrence d’ailleurs exacerbé comme la série n’arrête pas de faire interagir les figurants entre eux.

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Pour la première fois, nous faisons un bond dans l’épisode. Je vous emmène vers un autre univers, une sorte d’anime dans l’anime qui se cache au cœur de cet épisode. Nous allons enfin parler de la gymnastique rythmique en elle-même. Nous reviendrons un petit peu plus tard à ce que l’on appelle le character acting, qui correspond à ce que nous avons étudié jusqu’ici, mais désormais nous allons faire une pause pour s’attacher à la représentation de la gymnastique rythmique, en mettant en avant à la fois les choix créatifs, techniques et humains qui se cachent derrière ces scènes.

Revenons à nos crédits. S’ils sont rarement tout à fait représentatif de ce qui peut se jouer derrière une production (surtout que certains producteurs suppriment allègrement certains crédits pour des raisons souvent fantaisistes), ils peuvent tout de même nous donner des indications précieuses. C’est ici le cas pour Bakuten!! qui signale qu’en réalité, la scène de compétition a été réalisée par une équipe distincte par rapport au reste de l’épisode. En effet, on retrouve une hiérarchie totalement séparée, avec son réalisateur, son directeur de l’animation, son storyboarder, etc. En ce sens, il s’agit donc véritablement d’un anime dans l’anime.

Ce choix n’est pas du tout anodin, et il est encore moins courant. Il répond, à vrai dire, surtout à un défi technique. Il s’agissait en effet de rendre intéressant et palpitant ces moments particuliers, qui se distinguent du train-train quotidien des entraînements. Pour cela, il fallait assurément aller plus loin dans la mise en scène, à la fois en mettant en avant des mouvements complexes, et à la fois en proposant une vue plus immersive, qui ne soit pas la vue du spectateur, mais le ressenti même du sportif. La solution créative adoptée repose sur des mouvements de caméra très complexes associés à un sens élevé du timing. Mais devant la difficulté d’une telle séquence, l’équipe a décidé de mettre en place une stratégie hybride, qui repose abondamment sur la 3D.

Pour cela, la série a fait confiance à un duo étonnant composé de Kouta Fumiaki, responsable de la réalisation de ces séquences, et de Yamashita Shingo, en charge du storyboard. Le choix de Kouta Fumiaki n’est pas si étonnant : comme nous l’avons montré, il est un animateur d’expérience, spécialisé dans les effets visuels. Son expertise ici est moins technologique que créative : son rôle consiste à donner une direction propre à ces scènes de compétitions, afin qu’elles tranchent avec le quotidien.

Yamashita Shingo, qui a vraisemblablement été convaincu de participer au projet par Shintaku Kiyoshi, le producteur, est en revanche connu de longue date pour son intérêt envers les nouvelles technologies. Lui-même est un fervent défenseur des techniques d’animation modernes, on sait notamment qu’il travaille essentiellement sur Flash et n’a presque jamais touché au dessin traditionnel, avec papier et crayon. À ce titre, comme il le rappelle assez souvent, il n’est pas très bon dessinateur. Ce qu’il sait faire, c’est du mouvement. Et c’est exactement ce dont on avait besoin ici.

En réalité, ces particularités font de lui un animateur tout à fait exceptionnel et cet avantage du numérique lui a permis une productivité hors pair. C’est notamment grâce à elles qu’il a pu réaliser les séquences de haute volée qu’on lui connaît. Il est cependant de plus en plus en retrait par rapport au monde de l’animation ces dernières années et cherche depuis longtemps à quitter le poste d’animateur-clé pour s’intéresser au storyboard ou à la réalisation. Il avait notamment la responsabilité de Pokémon Wings, cette série de courts métrages publicitaires sortie l’année dernière. On y voyait déjà tout ce qu’une approche numérique pouvait créer, visuellement, dans une telle production, avec des décors en 3D qui bénéficiaient d’une intégration impeccable. On comprend mieux alors pourquoi il était probablement la personne idéale pour travailler sur un tel projet et avec une telle approche. Il représente en un sens le pont entre deux générations, deux technologies, deux mondes différents : d’un côté celui de l’animation traditionnelle, avec ses contraintes et son côté organique, d’un autre celui de l’animation assistée par ordinateur, avec son potentiel, mais aussi son immaturité et sa rigidité technique.

Le rôle qui a été assigné à Yamashita Shingo est assez étrange, il le décrit d’ailleurs lui-même avec une sorte d’amusement.

 

Bakuten est enfin diffusé ! Je suis en charge du storyboard pour les parties de compétition. On appelle cela « storyboarding », mais en réalité, c’est du « travail de caméra en 3D »… ou quelque chose du genre. C’est un nouveau travail pas comme les autres. M. Kouta et de nombreuses autres personnes ont travaillé dessus, et c’est d’excellente qualité. Jetez-y un coup d’œil.

La réussite de cette séquence a beaucoup à voir avec la maîtrise de cette « caméra en 3D ». C’est elle qui permet de basculer d’un monde à l’autre, tantôt avec des mouvements et des plans comme seule la 3D peut en produire, tantôt en revenant à de l’animation traditionnelle pour ancrer de nouveau la performance dans une réalité. La tentative n’est bien entendu pas exempte de défauts, mais à mon avis, elle réussit à produire l’effet escompté en prenant en compte toutes les contraintes du projet.

Pour parvenir à ce résultat, on distingue quatre types de plans. D’abord, nous avons certains plans qui sont produits en pure 3D. Ensuite, nous avons des plans qui ont d’abord été produits en pure 3D puis qui ont été retouchés, c’est-à-dire partiellement redessinés. Nous avons également certains plans qui ont été produits en rotoscopie, à savoir en animation traditionnelle à partir d’un modèle obtenu grâce à la 3D. Enfin, nous avons certains plans en pure animation traditionnelle.

En réalité, il y a très peu de plans en pure 3D : la plupart a été au moins en partie redessinée ou corrigée. Cela passe notamment par une simplification des tracés. Yamashita Shingo s’est d’ailleurs exprimé à ce sujet.

 

Je pensais jusqu’ici qu’affiner et corriger une base 3D manuellement était une perte de temps et un travail fastidieux, mais au fur et à mesure que j’avançais dans mon travail, j’ai commencé à prendre conscience du fait que c’était étonnamment pertinent et la méthode la plus efficace…

Bien entendu, le travail sur la 3D dans cet extrait ne va pas assez loin, probablement pour des questions de budget. Le mouvement général est extrêmement pertinent, avec une attention très grande au dynamisme, mais les expressions, les regards et les cheveux restent bien trop rigides pour faire illusion. C’est aussi cela qui a motivé l’introduction de plusieurs plans plus proches (jusqu’au gros plan, par exemple sur cette pointe de pied) et, par là, justifie le recours complémentaire à l’animation traditionnelle.

La séquence fait un usage très intelligent des gros plans, en animation traditionnelle

Lorsque Yamashita Shingo parlait, dans son tweet, d’efficacité, il mettait probablement le mot le plus juste sur cette manière d’envisager l’animation pour ces scènes de compétition. Il s’agit d’être efficace, d’aller à l’essentiel. L’animation 3D n’est plus alors un choix seulement technique mais bel et bien un choix créatif, et raisonnable. Ici, l’animation 3D n’envisage pas, jamais, de remplacer l’animation traditionnelle : elle est plutôt là pour l’appuyer et lui donner un contexte spatial, le tout dans un environnement de production sous haute pression qui est celui de la production d’une série télévisée, malgré certaines spécificités de Bakuten que j’aurai l’occasion d’aborder dans cet article.

Au niveau de l’animation traditionnelle de la séquence, c’est surtout Matsumoto Shougo qui fait le gros du travail. Il est épaulé par quatre animateurs débutants mais c’est bel et bien lui qui est en charge des séquences. Il est crédité à ce titre en tant que directeur de l’action et directeur de l’animation, ce qui est un petit peu étrange étant donné que son rôle a plus été celui d’un lead animateur clé.

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En tout cas, le rôle que joue Matsumoto Shougo sur cet épisode est absolument capital. Même en dehors de la scène de compétition, où il est effectivement crédité comme directeur de l’animation, il a une présence telle que c’est bien lui qui insuffle toute la dynamique nécessaire à l’animation, à la fois sur les séquences de gymnastique rythmique et sur les séquences de vie quotidienne. S’il fallait encore le prouver, on peut souligner qu’il est également derrière l’une des plus belles séquences du générique de l’anime.

Revenons d’ailleurs à ces séquences de vie quotidienne. Elles mettent en avant un certain type d’animation que l’on appelle character acting. Cependant, il s’agit d’un terme très large et peut désigner autant l’expression d’émotions que la représentation d’actions simples. Dans cet épisode, il n’est pas vraiment question d’émotions, mais plutôt d’actions du quotidien, ce qui peut sembler banal mais révèle en réalité toute l’originalité du projet.

Lorsque l’on pense à l’animation japonaise, celle qui fait plaisir aux yeux, on a souvent une chose en tête : les combats. On aime quand ça bouge, quand le mouvement est emphatique, quand il y a de l’action et les combats sont généralement ce qui répond le plus directement à ce cahier des charges. Ce n’est bien entendu pas la seule source de ce qu’on appelle sakugas, mais il s’agit indéniablement de la source majoritaire. À côté de ça, les séries sportives mettent à leur tour en avant des scènes d’action comparables, avec une culture un petit peu différente, mais des codes qui très souvent s’en rapprochent.

Finalement, les actions quotidiennes et réalistes sont très minoritaires dans ce paysage. Bien entendu, elles sont beaucoup moins spectaculaires. Et dans une industrie profondément façonnée par Kanada, c’est-à-dire par l’extravagance des poses, le charisme et le spectaculaire sans limites, il est vrai qu’une approche plus terre-à-terre jure un petit peu. Il y a des conséquences assez étonnantes à cela, notamment le fait que beaucoup d’animateurs sont capables de produire des plans très spectaculaires où les personnages sautent dans tous les sens à rythme quasi-industriel, mais seraient en grande difficulté s’il fallait animer en gros plan un personnage en train de faire un lacet. L’un n’est pas spécifiquement plus difficile que l’autre, ce n’est pas une question de niveau trop faible des animateurs ou de quoi que ce soit de cet ordre : c’est une question d’habitude. Lorsque l’on a fait trente fois l’animation d’un coup de poing, on commence à maîtriser le sujet, on devient spécialiste. Et autant il y a dans l’industrie énormément de spécialistes en matière de combat, pas mal de spécialistes en effets visuels, quelques spécialistes quand il s’agit d’émotions… autant il y en a incroyablement peu lorsqu’il s’agit de produire une animation réaliste et terre-à-terre.

D’ordinaire, dans la production d’une série, lorsque l’on se trouve face à quelque chose de difficile à faire, on fait justement appel à un spécialiste qui sera capable de prendre en charge la difficulté. C’est exactement ce qu’ils ont fait avec Yamashita Shingo pour le storyboarding en 3D. Il se trouve malheureusement que les spécialistes pour ce genre d’animation réaliste ne courent pas les rues. Encore moins lorsqu’il s’agit de travailler pour une série télévisée, alors que c’est un type d’animateurs qui a souvent des postes bien plus confortables du côté de la production de film, et où les standards de production plus élevés font que l’on a davantage besoin d’eux. Rajoutons à cela qu’il s’agit d’un studio mineur aux commandes et on comprend que la série ait du mal à être attractive pour cette frange très particulière d’animateurs.

Pour un projet comme Bakuten, réussir à attirer des personnalités aussi demandées dans l’industrie que Yamashita Shingo ou Kouta Fumiaki tient déjà presque du miracle. Mais ils n’avaient pas vraiment d’arguments pour attirer des pointures en character acting réaliste, qui sont ou bien hébergées avec des studios spécifiques, comme Kyoto Animation, ou bien confortablement éloignées des plannings déraisonnables des séries télévisées et engagées sur la production d’un film (ou mieux encore, de courts métrages promotionnels).

Or, ce goût pour le détail réaliste, pour le vivant, on l’a vu dans la première scène avec ce match de baseball, est l’une des directions fortes que veut soutenir la série. Heureusement, Zexcs a un petit peu d’expérience dans cette direction, notamment avec Aku no Hana et sa rotoscopie très remarquée. La solution choisie est certes très différente cette fois (tout le monde ne s’appelle pas Nagahama Hiroshi pour défendre un parti-pris aussi saugrenu) puisque la série a simplement fait le choix de sacrifier un certain nombre de séquences sportives pour se concentrer sur ces séquences réalistes. Oui, oui. Vous avez bien lu : la série a choisi sciemment de sacrifier des scènes d’action au profit de scènes quotidiennes et banales. Voilà aussi à quoi servait le recours à la 3D : à laisser la place, le temps, les compétences pour autre chose que de l’action pure et dure. Et à ce petit jeu, la série fait un merveilleux travail d’équilibrage et de répartition de ses forces.

Zexcs n’en est pas à son coup d’essai en matière de réalisme après Aku no Hana
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Il est temps maintenant de parler enfin un petit peu du réalisateur, Kuroyanagi Toshimasa. On connaît bien son penchant pour le réalisme, pour une certaine approche du réalisme. La représentation crue et sans concession de la réalité, ce n’est pas son rayon. Il ne donne pas dans l’analytique. Ce qu’il a représenté depuis une dizaine d’années chez Zexcs, c’est une voie réaliste mais sensible. C’est ce que l’on voyait déjà poindre sur ses premières tentatives, ambitieuses mais fondamentalement ratées, comme Shounen Hollywood. Les raisons de ces échecs sont multiples mais viennent d’abord de la difficulté intrinsèque à ce type de production réaliste, à la fois moins attrayantes pour le grand public, et plus difficiles à mettre en œuvre, surtout sans le soutien d’un mastodonte de l’industrie.

Shounen Hollywood n’avait pas su aller jusqu’au bout de son parti-pris mais a posé les bases du réalisme de Kuroyanagi Toshimasa

Son approche du réalisme passe avant tout par le concept de densité. C’est réel, parce qu’il y a l’épaisseur du réel, parce que c’est dense comme le réel. Il n’est pas dans la recherche d’une précision chirurgicale mais il superpose les couches d’action pour donner l’impression que l’image est un ensemble, est un monde. Cela va bien sûr jusque dans le choix de direction d’animation, avec une très grande attention portée aux extrémités du corps. D’ordinaire, l’animation japonaise favorise beaucoup les mouvements très amples : le bras entier bouge, la jambe entière bouge. Le gros plan sur le pied dont je parlais tout à l’heure est très révélateur de cette attention qui fait un pas de côté par rapport à ce qu’offre d’ordinaire la production. On trouve aussi beaucoup de travail assez minutieux sur les mains, comme dans ces plans où les personnages mangent, plient des choses ou nouent une cravate, comme dans ces séquences animées par Fujiki Nana, une animatrice très prometteuse qui n’a été repérée que très récemment, grâce à ces séquences spécifiquement.

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J’ai, au tout début de cet article, mis en avant le cadre très particulier dans lequel était produit cet anime, c’est-à-dire cette commémoration du séisme de 2011. Ce cadre très particulier a donné à la série quelque chose de précieux et rare dans l’industrie : du temps. La préproduction du projet a commencé en effet autour de 2016, très en amont par rapport à la moyenne (qui se situe à peu près autour de deux ans pour des projets originaux, souvent bien moins pour les adaptations). Bien entendu, cela ne signifie absolument pas que cela fait quasiment cinq ans qu’ils travaillent à l’animation, mais cela signifie surtout qu’il y a eu énormément de planification, de préparation, d’anticipation pour la production effective de l’animation, qui s’effectue quant à elle dans des circonstances tout à fait banales : sur le tas, quand bien même une poignée d’épisodes est grossièrement achevée depuis quelques mois.

Cette planification a bien entendu permis de peaufiner grandement la mise en scène, d’étudier avec précision ce qui allait pouvoir être animé, ce qui n’allait pas pouvoir l’être, et finalement de définir des priorités. C’est peut-être très étonnant, mais ce luxe de prendre un peu de recul et de simplement définir raisonnablement des priorités, c’est quelque chose que beaucoup de séries n’ont pas le loisir de faire. Il est très révélateur de savoir que Kuroyanagi Toshimasa, qui ne voulait pas de 3D au départ dans sa série, a fini par faire cette concession spécialement pour laisser de la marge pour toutes les autres scènes. Nous sommes ici face à une production qui part sur des bases étonnamment saines et raisonnables, là où des séries ambitieuses récentes comme SK8 ou Wonder Egg Priority sont passées à quelques centimètres du naufrage (et encore, Wonder Egg Priority a salement pris l’eau). Cela ne signifie en aucun cas que nous passeront à côté de la catastrophe (après tout, Shounen Hollywood s’était effondré en plein milieu de série) mais on peut penser, avec une telle planification et un réalisateur plus enclin aux concessions que ce qu’il a pu être par le passé, que la série va dans la bonne direction.

SK8 et Wonder Egg Priority ont chacun manqué de chavirer la saison dernière

Ce temps pris en amont a permis une démarche assez intrigante, qui tient presque du documentaire. On sait que les réalisateurs sont allés faire du repérage photographique sur place, à Iwanuma, et ont mené par ailleurs des recherches assez poussées sur la gymnastique rythmique masculine. En effet, l’équipe de gymnastique rythmique du lycée Aomori Yamada est créditée en tant que superviseur sur ce premier épisode : ils ont servi de référence et ont pu également orienter et corriger les créateurs de la série que ce soit en matière d’explications techniques ou de réalisme des mouvements. De même, un gymnaste de l’université Kokushikan à Tokyo a participé à l’épisode. Il a été interrogé par l’équipe créative sur le genre de discussions qu’il avait avec ses coéquipiers, par exemple juste avant une compétition. Il est très inhabituel d’avoir un tel travail de terrain en amont de la production d’une série et ce goût du détail a probablement beaucoup à voir avec la réussite de la série.

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Reste une problématique : Bakuten n’a pas pu aligner comme les mastodontes de l’industrie des dizaines d’animateurs exceptionnels. En réalité, si l’on regarde d’un peu plus près, on se rend compte qu’il y a dans ce premier épisode Matsumoto Shougo qui tient le rôle de la locomotive, et derrière lui un grand nombre d’animateurs peu connus voire débutants. Et pour être tout à fait exact, je devrais peut-être parler d’animatrices, puisque 10 des 14 animateurs-clé de l’épisode sont des femmes, fait suffisamment exceptionnel pour être souligné dans une industrie masculine pour son écrasante majorité.

Comme il s’agissait d’un projet très particulier et un peu plus confortable que les autres, le studio Zexcs a fait quelque chose d’assez exceptionnel : il a tendu les mains à de jeunes animateurs. D’ordinaire, un animateur commence sa carrière en tant qu’intervalliste, c’est-à-dire qu’il complète le travail d’animateurs plus expérimentés. Ensuite, dans la plupart des cas, il trouve pour la première fois un poste d’animateur clé, un vrai, dans une série fleuve de seconde zone, où il y a besoin de main d’œuvre et où la cadence industrielle ainsi que l’organisation impressionnante permettent de gérer plus facilement des animateurs débutants et d’amortir un peu les erreurs.

Vous savez désormais à quoi sert la production de Precure depuis toutes ces années

C’est au passage ce pourquoi la Toei ou tous ces animes un peu moyens pour enfants (vous savez, Bakugan, Yokai Watch, Pokemon, Beyblade ou YuGiOh) servent énormément dans l’industrie. C’est tout simplement la porte d’entrée d’énormément d’animateurs débutants, que les autres studios, les studios « sérieux », n’ont absolument ni le temps ni l’envie de former. Ceci dit, les choses changent un petit peu. Nous sommes depuis pas mal d’années maintenant dans une période de crise pour l’industrie (on le répète assez j’espère pour que l’information commence à faire son chemin dans les consciences), où on a d’un côté une augmentation complètement folle de la cadence de production (coucou Mappa) et de l’autre côté une raréfaction des animateurs, avec de moins en moins de jeunes qui se lancent dans le métier, effrayés à juste titre par les conditions de travail et qui n’ont plus envie de supporter la dictature des anciens (oui, je parle notamment de Hayao Miyazaki et d’Akiyuki Shinbo, chacun responsables de l’effondrement de leurs studios respectifs).

Twitter s’est transformé en une décennie en terrain de chasse pour des assistants de production en panique qui doivent recruter à tour de bras et à coup de DM (ce n’est pas une blague) de quoi éviter la catastrophe, et qui vont maintenant jusqu’à aller pêcher des étudiants étrangers en animation. Étudiants étrangers qui font leurs premiers pas en animation clé additionnelle chez Mappa ou CloverWorks, comme on ferait quelques heures pour dépanner après les cours dans le café du coin. Cette situation n’est pas rare, elle n’est pas exceptionnelle : elle est régulière, et certaines productions comme Wonder Egg Priority ont littéralement été sauvées par cette main d’œuvre… tandis que d’autres studios, comme Mappa, ont même pris le parti d’y faire appel à tout bout de champ, la nouvelle saison de Zombie Land Saga en est la preuve avec un planning par terre dès les premiers épisodes et des conditions de production scandaleuses.

Certains gros studios, comme Trigger, KyoAni, Bones ou Wit, font des efforts particuliers pour relancer la machine et décident de former, avec des stratégies différentes, des animateurs plus ou moins débutants. Sauf que Zexcs n’a absolument pas les capacités d’un des studios que je viens de mentionner. C’est une petite structure, avec un staff fixe assez réduit et qui n’a pas les reins assez solides pour former qui que ce soit… sauf dans ces conditions un peu particulières. On se retrouve avec une drôle de situation où Bakuten s’est transformé en plan de formation à taille réelle, comme s’ils avaient sauté sur l’occasion et en effet : il s’agit d’une opportunité de former de nouveaux talents pour son compte. Par là, je ne veux pas dire que Zexcs va employer ces jeunes animateurs comme on emploie quelqu’un à la fin de son stage, puisque Zexcs n’en a pas les moyens. Néanmoins, ces jeunes animateurs vont vraisemblablement se retrouver freelance dans quelques années et on sait bien que l’animation japonaise fonctionne par réseau. On se connaît donc je t’invite à venir travailler avec moi. C’est comme ça que des productions aussi monstrueusement déséquilibrées et gangrenées que Jujutsu Kaisen ont pu tenir, en l’occurrence grâce au réseau gigantesque de Park Seong-Hu, son réalisateur. C’est donc en quelque sorte un investissement à long-terme.

Le staff de Bakuten, qui sait pour le coup parfaitement comment l’industrie marche maintenant, ne se prive pas de faire la publicité publiquement sur Twitter des animateurs qu’ils forment à travers la série. D’une manière générale, les animateurs et différents responsables sont extraordinairement bavards sur les réseaux sociaux, ce qui s’explique bien sûr par le fait qu’il s’agisse d’une série originale avec une implication grande des différents acteurs, mais également par le fait qu’il s’agisse d’une petite équipe assez fixe et soudée par rapport à la plupart des séries où les animateurs sont généralement juste de passage pour une séquence.

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Bakuten!! est un projet passionnant à suivre. Il ne réinvente rien, il n’innove pas vraiment dans ce qu’il raconte ou dans ses personnages mais il transpire le travail bien fait. Son approche de l’animation, qui tend vers le réalisme, en fait un petit ovni à son échelle dans le paysage télévisuel contemporain. J’espère avoir pu vous guider agréablement à travers ce premier épisode et avoir pu vous montrer quelques détails qui font que Bakuten réussit très, très bien ce qu’il essaie de faire.

La série est prévue pour 12 épisodes et est diffusée tous les jeudis depuis le 9 avril 2021 sur Crunchyroll.

Un épisode diffusé récemment vous a semblé particulièrement intrigant ou digne d’intérêt ? Et il mériterait un article pour revenir un peu sur sa production ? N’hésitez pas à m’envoyer un message privé.
Crédits partiels de l’épisode

Réalisation Nagaya Seishirou (長屋誠志郎)
Kuroyanagi Toshimasa (黒柳トシマサ)
Composition de la série Nemoto Toshizou (根元歳三)
Directeur de l’animation en chef Shibata Yuka (柴田由香)
Nakanishi Aya (中西彩)
Character design Shibata Yuka (柴田由香)
Storyboard (絵コンテ) Kuroyanagi Toshimasa (黒柳トシマサ)
Directeur d’épisode (演出) Kuroyanagi Toshimasa (黒柳トシマサ)
Directeur de l’animation (作画監督) Shibata Yuka (柴田由香)
Supervision de l’action (アクション監修) Kouta Fumiaki (光田史亮)
Animation clé (原画) Matsumoto Shougo (松本翔吾)
Hosoma Naru (細間菜瑠)
Takagi Harumi (高木晴美)
Ina Yukimitsu (伊奈透光)
Fujiki Nana (藤木奈々)
Mutou Miki (武藤幹)
Chiba Mitsuru (千葉充)
Kouta Fumiaki (光田史亮)
Hamanaka Tomoko (濱中朋子)
Kinoshita Yui (木下由衣)
Satou Megumi (佐藤恵)
Yatsu Miyako (谷津美弥子)
Chibayama Natsue (千葉山夏恵)
Sugimoto Tomoko (杉本智子)

7 commentaires

Bon article très didactique qui m’a appris 2 ou 3 trucs sur les techniques d’animation. Ça fait plaisir au passage de voir quelques explications sur les layout ou la « character animation » qui pourrait intéresser/initier du monde sur le sujet.

Un article vraiment très intéressant !
Est-ce que c’est la première fois que tu écris ou bien on peut également te lire ailleurs ? Et tu aurais un compte twitter pour te suivre ?

@Api Content que l’article t’ait plu! J’ai écrit par le passé sur un blog qui est désormais hors ligne. Je n’ai pas prévu actuellement d’écrire ailleurs que sur AK.

Tu peux me suivre sur le compte @cha_ataigne, qui est mon compte dédié à l’animation. J’y suis pas encore très actif mais ça viendra. ;)

L’intention est bonne, la forme efficace, RDV d’une formule en devenir?

@Jinrho La suite est déjà prévue, même si forcément, ça prend un peu de temps à écrire. ;)

Très bon article que je viens enfin de finir le lire ! J’espère que tu continueras longtemps à partager ta vision, tes connaissances et tes expériences de l’animation japonaise !

@Kael J’espère aussi, que ce soit sur le forum, sur le webzine ou sur Twitter. :)

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