Elin, La Charmeuse de bêtes : poésie, drame et bestioles
Peut-être aviez-vous eu la chance de lire, il y a quelques années de cela, les très bons romans d’UEHASHI Nahoko, sortis chez Milan ? Lorsque le premier tome a paru en 2009, il s’agissait de la seconde série de cette collection particulière, qui se concentrait sur la fantasy japonaise, et qui adoptait le format manga pour l’occasion. Juste après les 12 Royaumes, c’est dire. Et si la commercialisation est arrêtée en France, la série a continué à prospérer au Japon, jusqu’à la naissance d’un manga qui arrive à son tour chez nous.
Elin, La Charmeuse de bêtes, ou simplement La Charmeuse de bêtes pour le roman, raconte l’histoire d’une jeune fille au destin tragique. Celle-ci vit tranquillement avec sa mère dans un village, où sa mère possède un rôle important : elle doit s’occuper des Tôdas, de gigantesques créatures aquatiques dont les hommes se servent pour combattre. Mais une nuit, tous les Tôdas sous sa responsabilité meurent. La mère d’Elin, désignée coupable, est exécutée. Sa mort semble cependant dissimuler un secret ancestral.
Il existe beaucoup d’adaptations, de beaucoup d’œuvres brillantes ; et la plupart sont mauvaises. L’adaptation de TAKEMONO Itô ne brille pas spécifiquement par son dessin. Si quelques planches sont remarquables, le trait, certes fluide, reste assez classique et la composition est très scolaire.
Mais ce qui fait tout l’intérêt de ce manga, c’est l’intelligence avec laquelle l’autrice aménage l’histoire. Le manga n’est pas un équivalent du roman, une simple transposition : c’est une relecture, qui possède ses propres codes et ses propres buts.
Là où le roman est très calme, presque lent, très intimiste dans son approche, le manga se découvre des élans épiques permis par une narration efficace et pertinente. Les ajouts ou les retraits sont tous fortement motivés, montrent l’implication de la mangaka dans le récit.
Aussi, l’histoire qu’adapte le manga assure déjà sa qualité. Si en France la série n’a pas eu beaucoup de retentissement, elle en a eu assez au Japon pour s’imposer ; et non sans raisons. Le destin de la jeune Elin est aussi poignant que poétique, et son aventure est une véritable fable contemporaine, sur les enjeux de la guerre et de l’humanité. On peut compter sur TAKEMONO Itô pour ne pas faillir à cette mission, en admiratrice avouée de l’œuvre originale. L’histoire avait d’ailleurs déjà donné naissance à une très bonne série, dont les choix stylistiques sont quasiment opposés à ceux du manga, mais non moins riches.
Ce qui fait néanmoins tout l’intérêt de cette histoire, c’est que l’autrice originale a placé la relation homme-animal au centre de son propos. Mais loin de tomber dans un discours animaliste primaire et foncièrement inintéressant, elle explore les possibilités d’interdépendances entre l’homme et l’animal avec une justesse étonnante pour un ouvrage de ce genre. En effet, les hommes possèdent une technique pour dompter les féroces Tôdas : ils utilisent un sifflet muet qui semble immédiatement les paralyser. Ce rapport de force est au cœur du propos de l’histoire, mais il n’engage pas seulement le statut de l’animal, il engage aussi le statut de l’humain, et avec son statut sa survie.
Achevée en onze tomes, l’adaptation en manga s’annonce déjà comme une valeur sûre pour ceux qui voudraient découvrir autrement cette œuvre. En dépit du caractère très traditionnel de l’adaptation, au moins formellement, certains détails révèlent l’attachement tout particulier de la mangaka à cette histoire : le soin apporté à l’apparence du bestiaire, aux paysages, et à quelques pages, mystérieuses et sublimes, en fin de tome. En espérant surtout que Milan en profite pour rééditer la version originale…
Le premier volume du manga a paru le 23 janvier 2019 aux éditions Pika au prix éditeur de 8,05€.
2 commentaires
Merci Minuit d’avoir braqué les projecteurs sur cette histoire. J’ai beaucoup aimé l’anime et je me le refais régulièrement. Je passerais probablement le pas d’acheter le manga !
Eeeeeh y a un manga ! De même que Kilddra. Merci beaucoup pour la découverte.