Fate Stay Night – Les thèmes de la licence (3/3)

Heroes of Might and Magic

Pas de surprises, la première chose distinguant Fate Stay Night des autres séries du même type est l’excellente idée d’avoir utilisé comme personnages (mêmes principaux) de grandes figures historiques ou mythologiques. S’il est intéressant d’avoir mis ces deux types de personnages sur un pied d’égalité, préciser qui est quoi aurait été une bonne idée, afin de clarifier. Reste que ces figures bien connues ajoutent instantanément un background aux personnages qui en bénéficient et leur donnent aussi, ainsi qu’à la série, un cachet particulier. Voir un duel entre le roi Arthur et Héraclès (Hercules), n’est pas la même chose que de voir le même entre deux personnages inventés pour l’occasion, pas vrai ? Et honnêtement, qui ne s’est jamais demandé qui était le plus fort entre deux héros mythologiques ou historiques, juste pour le fun ?

L’autre avantage de cette idée, outre le fait de pousser les fans ou les intéressés à chercher leurs noms dans une encyclopédie (ou du moins à les taper dans wikipédia)  tout en faisant découvrir de nouveaux héros ou personnages célèbres, est très simple. En effet, ces personnages, du moins pour les plus fameux, qui ne les connaît pas ? Si même les japonais connaissent Héraclès et le roi Arthur, comment un tel univers pourrait-il ne pas parler à des occidentaux qui ont entendu ces légendes pendant leur enfance ou même en classe ? Ainsi, même si ce n’était pas forcément le but au départ, la licence possède de nombreux atouts pour s’exporter facilement et plaire à tous les gens qui voudront bien s’y intéresser.

Maintenant, une question intéressante. Pourquoi les japonais (et les gens de façon générale) apprécient-ils autant des personnages qui n’ont strictement aucun rapport avec l’histoire de leur pays ou leur mythologie ?

La réponse est en fait plus facile qu’il n’y paraît, et réside en grande partie dans cette citation que l’on attribue à John Ronald Reuel Tolkien, le célébrissime auteur du « Seigneur des Anneaux » et de nombreux ouvrages de fantasy, principalement inspirés par les mythologies nordiques et celtiques. « Les mythes nous révèlent ce que les êtres pensants ont en commun, d’une époque à l’autre, d’un continent à l’autre. Seuls les ornements diffèrent. »

En fait, les héros vivent dans l’inconscient collectif, les récits, les mythes et les légendes, les rêves. Ils sont donc immortels et ne sont que des exemples amplifiés de nous-mêmes. Ils sont d’ailleurs le plus souvent représentés sous un visage humain, qu’il soit idéalisé ou mauvais. Pour les personnages historiques célèbres, le rapport est encore plus simple puisqu’ils sont eux-mêmes des humains, après tout. C’est pourquoi, dans un livre intitulé « The Hero With A Thousand Faces » paru en 1949, l’auteur Joseph Campbell démontre que les héros mythologiques sont en fait universels, car  bien qu’apparaissant sous mille aspects différents, leurs histoires se résument à un seul destin : En premier lieu, le départ, qu’il soit causé par l’appel de l’aventure ou par une quête, voire encouragé par des influences surnaturelles. Ensuite: l’initiation, accompagnée d’épreuves et de tentations et souvent récompensée par un don. Et enfin le retour, dans lequel le héros accompli fait bénéficier la communauté du don qu’il est allé conquérir. C’est parce qu’ils sont des archétypes de nous-mêmes que nous nous reconnaissons autant en eux, et ce n’est pas pour rien si Georges Lucas et d’autres auteurs et réalisateurs se sont inspirés du livre de Joseph Campbell pour leurs œuvres.

Pour finir et en revenir à Fate Stay Night, de nombreuses personnes découvrant la série ou une des productions de la licence sont souvent choquées ou surprises de découvrir que les japonais se sont réappropriés des personnages fameux en les modifiant de façon plus ou moins visibles. Personnellement je trouve qu’il est dommage de se focaliser autant sur de simples différences d’interprétation. D’abord pour les raisons expliquées plus haut, mais aussi car après tout, même si les légendes contiennent souvent un fond de vérité, ce qui est à mon avis le plus important est surtout de savoir si elles nous plaisent et pourquoi. Est-il vraiment vital de se soucier de savoir si le roi Arthur était un homme ou une femme, ou s’il est réellement important que la gorgone Méduse ait des serpents à la place des cheveux ? N’est-il pas plus philosophe de voir ces modifications et ces visions différentes de ces héros comme un autre aspect de leur légende, une autre face de la même pièce ? Si les héros et leurs légendes appartiennent à tous, il est à mon avis normal que tout le monde ne voit pas les choses de la même façon.

Resonance of Fate

Autre grand thème de Fate Stay  Night, et cher à un grand nombre de productions japonaises, le Destin. S’il n’y a pas besoin de faire un exposé sur l’universalité d’un tel thème (y a-t-il une seule personne qui ne s’est jamais demandé de quoi son avenir sera fait, ou qui n’a jamais lu un horoscope, même sans y croire ?) ou son succès « romanesque », le «point de vue» de Fate Stay Night s’oppose à de nombreuses applications de ce thème dans les productions japonaises. Dans celles-ci, le destin est souvent vu comme une chose inéluctable, qui détermine la vie des individus à l’avance, que ce soit par le biais d’une prophétie ou la simple fatalité. Voir la plupart des œuvres du studio CLAMP, par exemple.

A l’opposé, dans Fate, les individus sont clairement maîtres de leurs choix, et ce sont ceux-ci qui déterminent leur vie et leur futur, à tout moment. Ainsi, les servants dont l’invocation leur fait profiter d’une « seconde vie » ont souvent pour but de l’utiliser pour réparer les erreurs de leurs vies passées voire de réécrire complètement leur histoire par le biais du vœu que leur confèrera le Saint Graal ou par un autre moyen.

L’exemple le plus parlant est celui d’Archer (EMIYA), le futur possible de Shirou, dans le scénario Unlimited Blade Works. Représentant au départ un Shirou ayant réussi à conserver ses convictions de héros de la justice et de protecteur des faibles jusqu’à sa mort, et invité après celle-ci à la Guilde des Âmes Héroïques (hors du temps), EMIYA/Archer a été par la suite invoqué dans plusieurs guerres du Graal et s’est vu forcé d’accomplir des actes odieux sans pouvoir protéger ou sauver de nombreuses personnes. Révolté par l’inutilité de son idéal, ayant perdu toutes ses illusions et dégoûté par son ancienne naïveté, il va profiter de son invocation dans la cinquième guerre du Graal pour tenter de tuer son ancien « Lui » (Emiya Shirou) et ainsi supprimer dans l’œuf ses futurs échecs et erreurs. Son duel de conviction et d’arme blanche contre Shirou dans Unlimited Blade Works est d’ailleurs un moment d’anthologie.

Medal of Honor

Le dernier grand thème abordé par Fate Stay Night est celui des convictions personnelles, à travers l’évolution du personnage de Shirou, le héros. Celui-ci a en effet  pour rêve de devenir un justicier, protecteur des faibles et sauveur du plus grand nombre de gens possible. Si tous les enfants ont probablement fait le même rêve à côté de celui d’être chevalier, cow-boy ou astronaute, Shirou diffère d’eux principalement par son âge (il est lycéen) et la conviction qu’il met à atteindre son idéal. Il aurait donc pu rester un sympathique (bien qu’agaçant) héros de shonen , aux côté de ceux voulant devenir Hokage ou Seigneur des pirates, si Fate Stay Night avait eu pour simple vocation de ne s’adresser au départ qu’aux enfants.
Or, comme la classification « 18 ans et plus » le laisse clairement voir sur le boîtier du jeu, c’est loin d’être le cas, et pas uniquement à cause des scènes osées présentes dans le jeu.

En effet, l’intérêt principal du jeu original Fate Stay Night réside dans la complémentarité de ses trois scénarios, non seulement car ils dévoilent chacun une partie de son intrigue, mais aussi car ils mettent en scène un Shirou confronté à des épreuves plus difficiles à chaque fois, et dont l’idéal est de plus en plus difficile a réaliser. Ainsi le scénario « Fate » en dehors du Fate (désolé pour le jeu de mot foireux) d’être  « l’introduction » du jeu, représente donc « l’enfance » de Shirou. Une « enfance » ou son idéal lui servira de ligne de conduite afin de vaincre ses ennemis (« les difficultés ») et d’enfin accéder à la victoire qu’il a mérité par sa conduite vertueuse. Bel et bien une enfance en somme.

Il faut noter aussi que c’est à cause de cela que la série « Fate Stay Night »  est souvent prise (et donc pas sans raisons) pour rien de plus qu’un simple shonen au héros naïf et agaçant. En effet, le scénario qu’elle adapte a justement vocation à cela, mais n’a en fait que peu d’intérêt s’il n’est pas confronté au deux autres. Adapter ce scénario était donc selon moi un mauvais calcul de la part du réalisateur YAMAGUCHI Yuji, bien que compréhensible puisqu’il représente aussi « l’introduction » de Fate Stay Night. Pour en revenir au jeu, tout se corse à partir du deuxième scénario, Unlimited Blade Works. En effet c’est dans ce scénario que Shirou va se retrouver confronté à Archer, c’est-à-dire à un « lui-même » ayant constaté l’impossibilité de son idéal et les peines que celui-ci lui causera tôt ou tard s’il s’obstine dans cette voie.

Ce scénario représente donc « l’adolescence » d’un Shirou confronté aux difficultés de son idéal, à mi-chemin entre son succès (Fate) et son échec (Heaven’s Feel). Toutefois, dans celui-là, Shirou réussira tout de même à faire triompher son idéal, en triomphant Archer (et donc en se vainquant lui-même) non par les armes mais bel et bien par la force de ses convictions. « Heaven’s Feel », le dernier scénario, représente donc l’âge adulte, où Shirou va se retrouver face à la dure réalité d’un monde cruel, et d’un dilemme cornélien : abandonner ou non ses convictions et le salut de tous ceux ayant besoin de son aide pour pouvoir sauver Sakura, la femme qu’il aime. Shirou choisira finalement de sauver sa bien aimée et de renier ses idéaux, refusant ainsi son futur de héros: il ne deviendra donc pas Archer à sa mort dans ce scénario. C’est aussi dans ce scénario que Sakura a son rôle le plus actif et le plus important, bien loin de la potiche timide du premier scénario.

« Heaven’s Feel » (évidemment le scénario le plus triste et le plus sanglant, soit dit en passant) referme donc la boucle de Fate Stay Night sur la conclusion que les idéaux de Shirou, malgré tout ce qu’ils lui ont permis de réaliser ne sont pas viables face à la réalité et que toute personne aux rêves démesurés se verra tôt ou tard contrainte de les abandonner afin de se consacrer à ce qui lui tient vraiment à cœur.

Conclusion

C’est ici la fin de ce dossier. Je vous remercie de votre attention et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos diverses critiques et questions dans les commentaires en dessous de cet article. Autre chose: les fans et connaisseurs du studio Type Moon auront sans doute remarqué que malgré le sous-titre « les clés d’un univers », il manque les révélations les plus importantes et les plus fracassantes de la licence dans ce dossier. Je tiens à préciser que c’est un choix volontaire, dans le but d’inciter ceux qui ne connaissaient pas FSN à découvrir par eux-mêmes ces révélations. En somme,  à vous qui avez découvert l’univers de FSN avec cet article, ne croyez pas que je vous ai tout dit ! Le monde de FSN recèle encore de nombreux et incroyables secrets sur lesquels je n’ai fait que soulever un coin du voile… A vous de jouer pour la suite !  Je n’ai dévoilé qu’environ 50% des secrets de l’univers.

Je tiens également à remercier tout le staff d’Anime-Kun pour m’avoir permis de réaliser cet article, toute sa communauté et ses membres sympathiques pour les longues discussions sur le forum en fin de soirée, ainsi que tous les gens m’ayant aidé (directement ou non) pour la rédaction de cet article, et en particulier Kyoshi (mon premier lecteur et mon interlocuteur préféré pour les longues soirées à parler Fate), Shadowxian, (pour m’avoir fait découvrir la série) Tetraktis et Xerto. Pour finir, merci à toute la communauté des fans de Fate Stay Night, et évidemment à Type Moon, pour avoir inventé ce qui est probablement mon univers préféré, et en espérant qu’ils ne s’arrêteront pas à l’adaptation des deux premiers scénarios en anime !

Sources

– Japanbar.net (en français) et leur section très documentée et complète sur Fate Stay Night  que je conseille vivement. Malheureusement, le site est temporairement indisponible.

– Wiki Type-Moon (rien à voir avec wikipédia).Un site en anglais, très souvent mis à jour et  la bible de tout fan de Type Moon et de Fate Stay Night qui se respecte. Un passage obligé si vous vous intéressez à la licence.

– Le site Legend-Moon, très complet également et en français, pour son descriptif des trois scénarios du jeu original.

– Le forum du site Hyjoo et son topic sur la licence Fate en général, dont les 195 pages furent longues à lire. (Merci à Shiroiryu pour sa collaboration indirecte^^)

-Le blog « l’Antre de la Fangirl » pour son article complet sur le film Unlimited Blade Works.  

– Wikipédia

– « Le Commando des Immortels » par Christophe Lambert, éditions Pocket fantasy, pour la citation de Tolkien. Un petit livre fantastique original et bien écrit dont voici le synopsis : enlisé dans la guerre du Pacifique et ses combats en milieu hostile, les américains vont faire appel au peuple le plus apte à combattre dans de telles conditions : Les Elfes, dont la dernière réserve se situe en territoire Nord-Américain. La seule exigence de ceux-ci ? Emmener avec eux un distingué gentlemen spécialiste de l’elfique, un professeur nommé Tolkien…

– « L’Encyclopédie Des Héros du Merveilleux » par Edouard Brasey éditions du Pré au Clerc.

– Le site ComiPress, en anglais, et son interview de Kinoko Nasu, le scénariste et co-créateur de Type-Moon, à lire absolument pour les fans du studio.

– Le site Nautiljon et sa section sur l’anime Fate Stay Night, en français.