Hosoda reprend du poil de la Bête
C’est dans les locaux du Musée Gaumont à Neuilly, tout près de Paris, que le staff d’Anime-Kun fut convié ce lundi 23 novembre à une projection exceptionnelle de la version française du film Le Garçon et la Bête, réalisé par Mamoru Hosoda. En réalité, le caractère exceptionnel de l’évènement était tempéré par le fait que le film avait déjà été projeté au cours d’une programmation spéciale au Grand Rex le samedi précédent. M. Hosoda était d’ailleurs annoncé pour présenter son film lors de ces deux avant-premières, mais les récents évènements parisiens l’en auront empêché.
Lundi soir ce fut donc devant un parterre d’invités triés sur le volet (et gâtés en petits fours) que Gaumont a projeté le long-métrage. Le distributeur français joue en effet gros, puisqu’il a acquis les droits du film à l’international. Un risque mesuré étant donné la popularité grandissante de Hosoda, mais qui reste inhabituel à l’heure où la plupart des films d’animation japonais sont distribués par des éditeurs modestes et spécialisés, tels qu’Eurozoom qui avait apporté en France les précédents films du réalisateur.
Le Garçon et la Bête est déjà le sixième long-métrage réalisé par Hosoda, si l’on compte le fameux film Digimon qui propulsa sa carrière au point que le studio Ghibli lui-même lui proposa un poste important – qu’il finira par refuser. Au cours des années 2000, le réalisateur se sera bâti une filmographie solide avec entre autres La Traversée du Temps et Summer Wars, tous deux produits au sein du studio Madhouse. Sa carrière franchit une étape au tournant des années 2010 lorsqu’il fonde sa propre structure, le studio Chizu, toute dédiée à ses projets. C’est ce studio qui produira le très réussi Les Enfants Loups en 2012, et qui nous revient cette année avec ce film encore inédit en France.
L’histoire raconte le parcours de Ren, un enfant qui fugue de chez lui après un tragique évènement familial. Esseulé et perdu, il finit par atteindre un monde parallèle, le Jûtengai, où vivent les Bêtes, des monstres-animaux anthropomorphes. Ces Bêtes plus ou moins féroces vivent sous l’autorité d’un Seigneur qui a seul le pouvoir de se réincarner en divinité. Mais avant cela le Seigneur doit désigner un successeur qui se démarquera par sa force et sa noblesse d’esprit. Kumatetsu est un des prétendants au titre ; mais cette Bête ressemblant à un ours mal léché n’a rien du courageux chevalier idéal. Taciturne, impoli et obtus, il ne parvient même pas à se trouver un disciple à qui il apprendrait ses techniques. L’arrivée de Ren dans le Jûtengai, et la rencontre entre le garçon et la Bête vont permettre aux deux personnages d’avancer sur le chemin de l’empathie.
On retrouve dans le récit les thèmes de prédilections de Hosoda, en particulier la famille et les différentes manières dans lesquelles les relations peuvent s’y incarner. Au cours du récit Ren est ainsi confronté à plusieurs modèles de familles ; certaines qui semblent heureuses au premier plan mais qui en réalité ne permettent pas l’épanouissement de l’individu, tandis que d’autres apparaissent bancales mais donnent naissance à des liens très forts qui résistent aux épreuves du temps. La narration reprend d’ailleurs la notion de temporalité, puisque Ren est un garçonnet au début de l’histoire et termine le film en tant que jeune homme qui finit par trouver sa place dans le monde, à l’instar de Ame et Yuki dans Les Enfants Loups.
Les autres emprunts du film ne sont pas directement issus du propre cinéma de Hosoda, mais de ses aînés. Ainsi la première scène où Ren découvre le Jûtengai fait immanquablement penser à la scène similaire du Voyage de Chihiro, comme si après toutes ces années Hosoda n’avait toujours pas digéré de ne pas avoir pu prendre la succession de Miyazaki. La comparaison s’arrête toutefois là, les deux films se situant à des niveaux complètement différents en termes de force évocatrice et de qualité formelle. Le Garçon et la Bête s’avère ainsi particulièrement gourmand en CG, notamment durant les très nombreuses scènes de foule urbaine, ainsi que durant le climax à la direction artistique franchement douteuse.
Sorti au Japon en juillet dernier, Le Garçon et la Bête (de son titre original Bakemono no Ko) obtint un résultat commercial très convaincant dans son pays d’origine ; là-bas le film est d’ores et déjà le plus gros succès au box-office de son réalisateur, ce qui traduit sa montée en puissance dans le cœur du public. Pour notre part, et en dehors de ses collaborations sur des franchises telles que One Piece, nous n’avons jamais été de grands fans du travail de Mamoru Hosoda ; et ce nouveau film ne nous a pas spécialement fait changer d’avis. On regrette toujours cet excès de bons sentiments et cette esthétique superflat désincarnée, surtout par rapport aux Enfants Loups qui était formellement très abouti et traitait de ses thèmes avec plus d’audace et de maîtrise.
Sans doute dans l’idée d’éviter une confrontation avec Star Wars, les Disney-Pixar et autres gros films de fin d’année, Gaumont aura décidé de repousser la sortie du Garçon et la Bête au 13 janvier 2016. En contrepartie, le film sera associé à une exposition gratuite au Carreau du Temple à Paris, explicitement ciblée vers le jeune public. Tout est donc prévu pour que le nouveau Hosoda rencontre en France le succès qu’il mérite.
Sacrilège & Deluxe
9 commentaires
Hum, ça confirme mon impression sur Hosoda. Ses films restent plutôt voire très bons et gagnent même en rythme ou en stricte qualité technique (j’aime assez son design flat), mais je trouve qu’ils ont perdus en personnalité. A « faire du Ghibli », ça devient certes grand public mais justement trop classique. La Traversée du Temps était porteur d’autres promesses, une nouveauté.
Ah, le dernier Mamoru Hosoda, celui-là il faudra absolument que j’aille le voir. Pour moi c’est un digne successeur à Miyazaki, et chacun de ses 4 films m’a vraiment plu. Bien sûr il reste toujours des points perfectibles, mais on ne va pas cracher dans la soupe non plus. :)
Je comprend Aflo’ vu que moi même j’attends de retrouver Hosoda dans quelque chose de plus singulier et pourquoi pas le voir faire des grands écarts d’une oeuvre à une autre. Cela même si c’est moins grand public et moins vendeur. Enfin il a le temps d’alterner et de varier sa filmographie, d’autant plus que je pense qu’il en a le talent et les capacités. Après j’espère juste qu’il en aura l’opportunité et le desir. En attendant je vais me savourer son nouveau né, Bakemono no Ko (il me tarde ! ). Sinon, merci pour ce retour qui fait envie, on sent que c’était cool chez Gaumont et que vous y avez passé un bon moment avec ce film. ;)
Good job, continuez comme ca !
« (et gâtés en petits fours) »
Comment on fait pour intégrer la rédaction ?
Super article, puisse la gloire d’AK prospérer dans les avants-premières parisiennes à venir.
En tant que membre de l’Elite Five tu doit pouvoir t’arranger avec la mafia AKunienne imo
Amen !
Merci à vous deux pour la restitution, j’attendais ce retour après ce qui a été dit sur le forum. Je serais au RDV le 13 janvier.
» On regrette toujours cet excès de bons sentiments et cette esthétique superflat désincarnée, surtout par rapport aux Enfants Loups qui était formellement très abouti et traitait de ses thèmes avec plus d’audace et de maîtrise. »
« Tout est donc prévu pour que le nouveau Hosoda rencontre en France le succès qu’il mérite. »
Euh…Je suis censé déduire quoi, là? Qu’ils ont tout fait pour que ce soit un flop commercial?
(…)au point que le studio Ghibli lui-même lui proposa un poste important – qu’il finira par refuser. »
Si ma mémoire ne me fait pas défaut, j’avais lu au contraire qu’il était chef de projet sur « Le Château Ambulant » auquel il aura consacré une partie de son temps mais que suite à des désaccords artistiques avec Ghibli (et notamment l’influence permanente de Miyazaki), il aurait finalement jeté l’éponge de la réalisation du métrage et a donc été remercié d’un commun accord avec le studio. Les deux parties n’auraient pas non plus souhaité que ce sujet ait un écho trop important dans la presse.
binyam : C’est la première version qui a circulé, on aime tellement voir Miyazaki comme le vieux réac insupportable.
J’ai vu passer il n’y a pas longtemps une interview du bonhomme où il présentait ses défauts d’organisation. Ça a été une époque formatrice pour lui, même si sur le coup c’était un échec.