Kintama’ – La reconquête du phallus

L’homme s’est posé en rival du Dieu créateur en inventant la machine, cet objet fait de boulons, de rouages, de péchés et d’orgueil. Il porte depuis un lourd châtiment sous forme de questions obsédantes : cette machine qui le fascine, à laquelle il prête sa propre image, prendra-t-elle un jour sa place, voudra-t-elle à son tour surpasser son créateur ? Au Moyen-âge, la crainte des objets mécaniques, dont les miracles préfiguraient une sorte de magie, étaient de ce fait associée à celle du diable. Grande était la hantise des hommes d’autrefois de retrouver ces êtres d’un autre monde dans le lit de leurs épouses. Femmes qui en réalité rêvaient d’incubes et de phallus, insolentes songeries symbolisant leurs désirs les plus intimes. Et si l’homme arrachait à ce diable qui l’obsède le membre viril sur lequel repose toute sa grandeur et son autorité ?

Plus sérieusement, parlons bien, parlons testicules. Parlons… Kintama ! Souvenez-vous du printemps dernier : Gintoki nous balançait un bon gros troll à la figure en annonçant le prochain arc avant d’enchaîner sur une minable récapitulation avec toutes les excuses du casting. Une semaine après, un petit dinosaure doré prenait la place de notre frimousse argentée à l’écran. Cette pauvre feignasse de Gintoki devait alors nous lâcher l’espace de six mois. Bien mal lui en a pris comme il s’aperçoit à son retour qu’une autre tête dorée siège sur le balcon des yorozuya, entourée de Shinpachi et Kagura. Cet homme lui a volé la vedette dans le petit univers qu’il chérissait tant. L’imposture a pris une dimension insoupçonnée : Sakata Kintoki a corrompu la mémoire de tout son entourage. Tout le monde pense alors que le héros de la ville est un galant gentleman, sympathique et charismatique, toujours à l’écoute de la veuve et de l’orphelin. Qui songerait un seul instant que Sakata Gintoki, ce grossier personnage, bouffeur de lait à la fraise et lecteur du Jump de surcroît soit le héros de notre série ? Gintoki lui-même finit par en douter en voyant que les 60 DVD sortis jusqu’alors présentent un bellâtre blondinet à la tête des yorozuya. Les sites officiels de la série ont changé d’intitulé : on y lit un fabuleux «金魂´» en toutes lettres dorées. Pareil sur les affiches promotionnelles, les bandes annonces et les programmes TV : « Kintama’ » partout. Notre pauvre Gintoki se voit même effacé des génériques, des photos souvenirs de sa gloire passée !

Imaginez le calvaire de notre héros en voyant que le petit monde qu’il s’était créé vient de s’écrouler autour de lui. Il n’est plus qu’un madao sans nom, un rebut de l’humanité alors qu’il restait auparavant un déchet utile. Gintoki a perdu tous ses repaires, allant jusqu’à s’imaginer l’impensable : et si c’était lui l’imposteur ? N’est-ce pas lui qui patauge au milieu de ses propres illusions, tel un stalker qui se projetterait dans le personnage qu’il admire ? Nous spectateurs avons-nous été trompés tout au long des 252 épisodes précédents par un héros à la manque qui aura même eu le toupet de nous abandonner durant deux saisons ? L’or a plus de valeur que l’argent. Ou serait-ce un argent sali dans son âme ? Kintoki est vainqueur aux points tandis que dans le coin opposé son adversaire sur le ring s’assied sur la chaise. Abîmé corps et esprit par un autre lui-même, Gintoki retire ses gants. Il est épuisé, il n’a plus sa place nulle part. Il se consume. Ni or ni argent, il n’est plus que cendres blanches. Si la caméra se rapprochait du personnage, le spectateur découvrirait un sourire d’une éloquence rare : celui du battant qui aura accompli sa destinée au gré de ses convictions, celui d’un homme qui a croqué sa vie à pleines dents. Car la flamme se consume d’autant plus vite qu’elle est ardente.

Mais Gintoki n’a pas été oublié par tout le monde. La lumière blanche qui le sort des ordures n’est autre que Sadaharu, sa boule de poils favorite. Plus théâtrale encore, plus craquante que jamais, l’entrée en scène de la belle Tama, pour tendre au pauvre Gintoki un parapluie salvateur au milieu de tant de misères. S’ensuivent les prises de vues les plus épiques de la série. Du bon gros sakuga dégoulinant de passion et de violence, un moment d’anthologie qui voit Gintoki reprendre son sabre de bois pour graver sur le mur le titre de l’épisode. La bête s’est réveillée, plus hurlante que jamais, totalement libérée après avoir touché le fin fond de la déchéance. Il suffit de voir la prestance de ses observateurs pour mesurer la solennité de l’instant. Gintoki vient de retrouver sa fierté de mâle et de marquer son territoire du bout de son épée.

Au sein de la nouvelle team des yorozuya version 2012, Gintoki s’apprête à reconquérir le trône. La campagne s’annonce rude mais on sent chez ses anciens camarades une certaine insatisfaction. Comme s’il manquait un petit quelque chose à leur côté, une tête ébouriffée qui vienne pimenter leur quotidien. Le souvenir de Gintoki est trop puissant pour empêcher quelques brèches dans leur mémoire. Grace à sa mémoire d’androïde, Tama sait que Kintoki n’est qu’un ersatz raté de son maître et le lui fait comprendre au péril de sa mécanique. S’ensuit une nouvelle scène d’une brutalité inouïe. La force d’or n’aurait pas dû réveiller le démon d’argent enfoui au fond de Gintoki. D’un geste sauvage mais précis, ce dernier lui arrache ses boulons testiculaires et son écrou viril. Toute forme de censure et de cérémonie écartée, Kintoki se fait castrer par une bête au regard globuleux ! Tandis que la plate chevelure s’écroulait de douleur, le spectateur jouissait de partout devant un spectacle aussi épique et démentiel.

Avant de reprendre ses lettres d’argent, Gintoki doit encore déjouer le plan machiavélique de son double diabolique qui semble bien décidé à éradiquer le souvenir de 60 DVD de larmes et de sang. Mais notre héros échoue et alors que Gintama prend fin de manière impromptue, une nouvelle série est diffusée : Mantama ! Une sorte de drama dont Kintoki est le principal protagoniste. Dans une ville où tous les hommes ont perdu leur fierté de mâle à cause d’un bâtiment à la forme plutôt suggestive, lui seul peut encore exhiber son boulon phallique à tête d’écrou devant la gente féminine. Il est à la recherche de Tokiko, une amie d’enfance morte après qu’il lui ait promis de la revoir une fois réincarnée. Kintoki peut donc apprécier la douceur du quotidien d’un héros entouré d’un harem de donzelles en chaleur. Avant que ce petit bonheur éphémère ne lui soit arraché à son tour. Gintoki en profite en effet pour reprendre le témoin. Même s’il ne peut s’empêcher de l’éclater dans sa main !

Les illusions de Kintoki prennent fin à l’instant même où son rival lui brise son « épée », ce phallus qui est sa raison d’être dans l’univers de Mantama. Et quelle douleur plus cruelle que de voir l’être chéri détruire ses joujoux ? Vindicatif castrateur, Gintoki a reconquis sa bannière d’argent devant une foule d’admirateurs en délire. Il mérite à nouveau sa place sur le balcon des yorozuya et dans le générique (même si le bouffon se fait savater plutôt qu’embrasser).

Car au fond, c’est lui qui a la plus grosse.