Les Lamentations de l’Agneau
Synopsis, introduction, présentation des personnages
Synopsis
Prisonnier de la malédiction de son sang, la famille Takashiro a toujours vécu dans l’ombre et s’est progressivement effacée. En effet, ses membres sont presque tous atteint d’une maladie orpheline méconnue: ils ressentent régulièrement le besoin de boire du sang humain. Traumatisés et honteux, les membres de la famille ont toujours vécu ensemble et ne se mélangeaient guère aux autres.
Les Lamentations de l’Agneau retrace l’histoire de Kazuna Takashiro, élevé par son oncle et sa tante, qui va progressivement plonger corps et âmes dans l’histoire et dans les souffrances de sa famille.
Introduction
« Je voulais créer une histoire totalement sombre et désespérée, un aller simple vers la destruction ». Kei Toume est resté fidèle à son idée de départ, les Lamentations de l’Agneau mène bien vers le chaos. Sept tomes, dont six qui lui permettent d’arriver à l’apothéose, au paroxysme émotionnel de son oeuvre. Il n’est pas futile de savoir que 6 années se sont écoulées entre le premier tome et le dernier. Kei Toume a pris son temps, a réfléchie, a appris à maîtriser son style, ses personnages, à créer une ambiance unique, nous faisant doucement sombrer dans les méandres d’une famille maudite, dans un secret que nous n’aurions jamais dû découvrir…
Je ne peux pas m’empêcher de commencer par le scénario. Ce scénario si délicat, si raffiné, mais pourtant terrible. Rares sont les auteurs qui parviennent à captiver les lecteurs de cette façon, et rares sont ceux qui parviennent à retranscrire violemment les sentiments des protagonistes. Cette vigueur, cette force dans les sentiments, on la doit en partie à sont état au moment de la création du manga.
« A l’époque, sans savoir pourquoi, j’étais malheureuse et je souhaitais souvent la fin du monde ainsi que la mort de tous. » – Kei Toume.
Le désespoir dont elle était victime est presque palpable dans le manga, notamment à travers le personnage de Chizuna.
Présentation des personnages
« Nous ne sommes pas des loups qui nous dissimulons au sein d’un troupeau, nous sommes des agneaux nés avec des crocs. » – Chizuna Takashiro
Chizuna Takashiro est le personnage central de la série. Sans en être le personnage principal, elle est celle qui est la cause de tout, et qui jusqu’au bout sera l’élément qui permettra au lecteur de tout comprendre. Jeune fille absolument sublime, sa beauté n’a d’égal que son désespoir. En effet, Chizuna est de constitution faible, et ne pourra pas vivre longtemps. Le fait de savoir que ses jours lui sont comptés crée en elle une sorte de fatalisme permanent. Tout ce qui lui arrive a une raison, tout ces évènements ne sont que les parties d’un gigantesque et dramatique épilogue. Cette épilogue lui permettra d’enterrer avec elle sa lignée : le sang des Takashiro.
Forte à première vue, nous découvrons, page après page, que la haine et le chagrin la hantent, qu’elle souffre silencieusement, seule face à la mort. D’une étonnante maturité pour son âge, elle effraie les adultes et fascine ses camarades de classe. Ils ne seront pas les seuls à être attirés par cette lycéenne énigmatique, son frère, Kazuna, le sera aussi.
« Depuis l’instant où Chizuna m’a donné son sang, j’avais peut-être pressenti ce dénouement… » – Kazuna Takashiro
Les Lamentations de l’Agneau relatent avant tout l’histoire de Kazuna Takashiro. Personnage principal de l’histoire, nous le suivrons des premières aux dernières pages, nous observerons son évolution, nous découvrirons son sang ainsi ceux qui le composent. A l’image du lecteur, il ne sait rien et apprend progressivement ses origines et la terrible malédiction qui pèse sur sa famille, et va doucement sombrer dans un univers de peur, de souffrance et de haine : l’univers des Takashiro, l’univers de Chizuna.
Littéralement fasciné par sa soeur, si digne, si forte et si fragile à la fois, il va lentement s’insérer dans ce monde, et chaque volume marquera une étape qu’il aura franchi, un palier de souffrance qu’il aura atteint.
Kazuna met en valeur sa famille et tout ce qui l’entoure, car il est le lien qui permet de la comparer à la réalité. Issue de la famille de son oncle et de sa tante, il vivait heureux dans cet environnement stable. Le changement de lieu, et le début de sa vie en la compagnie de sa soeur aînée marqueront le passage du rêve au cauchemar, de la joie au désespoir. C’est dans ce monde cruel que Kei Toume nous entraine.
« Je le sauverai avec mon sang, j’ai toujours été prête à le faire. » – Yô Yaegashi
Yô Yaegashi est le personnage le plus difficile à justifier et à comprendre de l’oeuvre. A la fois spectatrice et actrice, en partie embarqué dans la torpeur du sang Takashiro mais toujours reliée à la réalité, elle oscille entre espoir et désespoir en permanence. Jusqu’à la fin, elle sera fidèle à ses sentiments envers Kazuna, et fera tout pour empêcher l’inévitable, tout pour sauver celui qu’elle aime. En lisant les interviews de Kei Toume, on comprend rapidement que Yaegashi est sa représentation dans l’univers des Lamentations de l’Agneau. Elle a créé un personnage à la fois timide et déterminée, passionnée d’art, patiente et dotée d’une persévérance hors norme tout en faisant preuve d’une humilité déroutante dans son rapport avec le monde. Ce personnage, c’est elle. Yô sera toujours en opposition à Chizuna, et leur rivalité, bien qu’elle ne soit jamais clairement explicitée, demeurera flagrante tout le long du manga.
« Son existence a jeté un voile sombre sur ma vie ; je n’ai jamais rien obtenu enretour, mais j’ai choisi cette vie. » – Minase
Si Yô reste en permanence à cheval entre le monde tel que nous le connaissons et l’univers chaotique des Takashiro, Minase a dès son plus jeune âge pénétré cette famille maudite. Chargé de surveiller et d’occuper Chizuna alors qu’elle n’avait que trois ans, il va éprouver un amour passionnel envers elle, proche du fanatisme. Victime des charmes de la jeune femme, il lui vouera son existence et deviendra médecin avec pour seul but de la protéger, de prolonger son existence. Rongé par cet amour viscéral, Minase ne se remettra jamais des traumatismes qui lui a imposé la famille Takashiro. A l’image de Chizuna, il est lui aussi sombre et énigmatique, parle peu mais observe en silence le déroulement d’une histoire qu’il sait tragique bien avant son épilogue. Il éprouvera jusqu’au bout une sincère admiration pour le père de Kazuna, même si d’un autre côté il ne pourra s’empêcher de lui en vouloir pour avoir monopoliser l’amour de celle qu’il aime. Minase restera l’un des personnages principaux les plus discrets de la série et il est difficile de réellement cerner le personnage. Ce qui est sûr, c’est qu’il est lui aussi une victime de la famille des Takashiro.
« J’ai peur de Chizuna…A travers elle, j’ai l’impression de voir Momoko m’accuser, de ne pas être digne d’une mère… » – Natsuko Eda
Mariée à Shin depuis de nombreuses années, elle est la tante de Kazuna qui était chargée de son éducation. Digne mère de famille, elle a toujours tout fait pour vivre éloignée des Takashiro, effrayée par le désespoir permanent dans lequel cette famille vivait. Personnage moins important que ceux précédemment cités, elle bénéficie d’une place privilégiée dans le coeur de Kazuna. Elle est la mère qu’il n’a jamais eue, et lui a proposé une vie parfaite, dans une famille saine et équilibrée. Les pages traitant de Natsuko sont douloureuses ; cette femme, irradiant Kazuna d’amour tout en faisant attention à ne pas trop en faire, cherchant à faire de cet enfant quelqu’un d’heureux, va se faire rejeter et ne pourra rien faire d’autre que de contempler la descente aux enfers de celui qui aurait pu être son fils. Jamais elle ne s’abaissera à pleurer sur son sort, mais la souffrance dont elle est victime étouffe le lecteur. Indirectement, elle et son époux seront aussi victime de cette sombre famille.
Critique scénaristique, critique visuelle, conclusion
Critique scénaristique
« Avec l’âge, j’ai mûri tout en conservant un caractère sombre contre lequel je ne peux rien. J’ai modifié la fin désespéré que j’avais prévue pour y laisser un peu d’espoir. » – Kei Toume
Six années entre la première idée générale de la série et son épilogue ; en parcourant les tomes, l’évolution de la mangaka est plus que flagrante. C’est d’ailleurs l’un des éléments les plus intéressants dans sa façon de procéder : elle apprend progressivement à connaître les différents protagonistes. Tous possèdent un style et une façon de penser qui leurs sont propres, et tous évoluent différemment. Il n’y a que Chizuna et Minase qui n’évoluent pas d’un fil tout au long des Lamentations de l’Agneau. Une fois de plus, on trouve l’explication dans les interviews de l’auteur, où elle affirme sa fascination pour le personnage de Chizuna. Tout l’univers qui tourne autour de la jeune femme était déjà clair pour elle dès les premières planches.
Tout comme les personnages, l’ambiance va s’affirmer progressivement au fil de l’histoire, au point d’étouffer le lecteur. Les premiers tomes auront pour but de nous faire perdre pied, d’établie de fausses bases pour ensuite les détruire et nous entraîner dans le monde si spécial des Takashiro. La sensation de désespoir totale et sans limite absorbe le lecteur, le fascine. Cet univers, si sombre et si triste nous attire inlassablement, et il est impossible de résister à l’envie d’y plonger, de remonter au fondement de cette souffrance que l’on perçoit un peu plus à chaque tome. Ainsi, la sensation de crescendo dans la force scénaristique des Lamentations de l’Agneau se ressent clairement. Tout commence calmement, l’auteur prend le temps d’insérer ses personnages, de nous informer sur le contexte, de se familiariser avec les rapports qui les lient les uns aux autres, puis nous emmène avec une délicatesse inégalée vers un dénouement tragique. Ainsi, on se sent réellement lié à l’histoire et à ses protagonistes lorsque l’on entame les premières pages du septième tome ; nous sommes prêts.
Il me semble inévitable d’aborder le style si particulier de Kei Toume. En effet, la jeune mangaka a un talent indéniable pour charmer le lecteur, pour créer de fabuleuses atmosphères, de merveilleux textes et pour insérer dans ses histoires une poésie enchanteresse qui nous fascine. Ce qui la différencie de beaucoup de mangakas, c’est le temps qu’elle met à concrétiser ses projets. Ce temps est rentabilisé par une réflexion profonde sur chaque planche, chaque dialogue. Les mots employés par les personnages sont mûrement réfléchis, et d’une force incontestable. Cette force provient du fait que la mangaka n’aime ni les monologues, ni les tirades, et donc qu’elle favorise la force des mots aux longues explications atténuant la puissance scénaristique des oeuvres. Dans un contexte comme celui des Lamentations de l’Agneau, la sensation de destruction, de plongeon dans les abîmes de la souffrance n’en est que renforcée. Les dialogues sont forts et frappent le lecteur de plein fouet.
Critique visuelle
Cette poésie, cette finesse dans le traitement de l’histoire est également flagrante lorsque l’on observe les dessins de Kei Toume. Tout comme le lecteur perçoit la réflexion qui se cache derrière chaque dialogue, il est indéniable que chaque dessin a été accepté après avoir été jugé comme convenant parfaitement à l’ambiance recherchée, à la personnalité du personnage et à la sensation qu’il est censé suscité. Ainsi, il émane une réelle poésie des personnages comme Yaegashi ou Chizuna, une poésie avec toujours cette douleur omniprésente, qui nous envahie et nous touche profondément. La force des planches de la mangaka, mêlée à celle de mots qu’elle choisit lui permet, en seulement quelques pages d’instaurer un climat qui agresse le lecteur, au point de parfois le mettre mal à l’aise.
Si l’aspect poétique de son oeuvre est resté inchangé des premières pages aux dernières, son style s’est confirmé progressivement. On aperçoit dans les premiers tomes des dessins un peu plus floues que d’autres, certains ayant même l’air de brouillons faits à la va-vite. Ces petites erreurs vont disparaître totalement au fur et à mesure. Les couvertures en couleurs des tomes deviennent splendides à partir du tome six, ainsi que la plupart des planches composant les mangas. L’auteur impose son style, sa force et son originalité, nous séduit avec douceur et nous entraîne calmement dans son monde, où la sérénité et la souffrance cohabitent et se superposent.
Conclusion
Kei Toume nous bouleverse avec les Lamentations de l’Agneau. Devenue maître dans le registre fantastique, elle joue avec nos émotions comme elle se joue de nos perceptions. Elle brise nos espoirs tout en maintenant un suspense insoutenable et permanent qui nous force à « vivre » son histoire. Le réalisme des comportements nous permet de plonger encore plus profondément dans son univers, fait de douleurs incurables et de regrets donnant à la vie des protagonistes un goût de punition.
Elle hypnotise le lecteur par sa maîtrise du rythme. Rien n’est déplacé, rien n’est à retirer ; tout s’apprécie et se dévore avec passion. Une descente aux enfers qui s’ancre dans nos esprits comme une référence du genre, un séjour de sept tomes dans le monde des Takashiro, un monde maudit dans lequel donner la vie, c’est condamner à mort.
3 commentaires
Pour info, le manga à été adapté en OAV il y a peu (en années). Très sombre et très court, bien moins agréable à regarder.
Concernant l'aspect fanboy, ouais, c'est sûr, mais j'ai écris ça il y a longtemps. Désolé si c'est gênant.