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Makoto Yukimura : un Viking au Manga Building

Publié le 07/02/2010 par El Nounourso dans Chroniques - 8 commentaires

Invité d’honneur au Manga Building, Makoto YUKIMURA est venu tout spécialement du Japon pour participer au festival d’Angoulême cuvée 2010.  Du haut de ses 33 ans, le jeune mangaka jouit déjà d’une belle réputation, y compris en France. Sa première série, Planetes, a fait l’objet d’une adaptation animée. Loin de s’enfermer dans un genre, YUKIMURA a laissé tomber la science-fiction pour se lancer dans une fresque médiévale : Vinland Saga. Actuellement, cinq tomes sont disponibles chez nous (la série devrait en compter environ 25 en tout), ce qui est largement suffisant pour se convaincre du talent de ce dessinateur/scénariste.

Mais revenons à Angoulême. Ceux qui s’attendaient à une « performance graphique » ont du ravaler leur amertume. Plutôt que de passer deux heures à peaufiner un dessin devant son public, YUKIMURA a préféré jouer la carte de la pédagogie et de la discussion en expliquant son métier de mangaka. Une initiative un peu surprenante mais finalement enrichissante. YUKIMURA a ainsi débuté la rencontre avec les étapes de fabrication d’un manga, du storyboard à l’encrage, en s’appuyant sur plusieurs planches de Vinland Saga dont une inédite réalisée pour l’occasion (il dit avoir passé toute la nuit dessus !). Une petite consolation pour les fans déçus de ne pas avoir assisté à une véritable « performance ».

YUKIMURA insiste sur le rôle du responsable éditorial qu’un auteur doit consulter après la phase de storyboard. De part son expérience du manga, ce collaborateur apporte beaucoup au mangaka. C’est ainsi que, de façon très régulière, le binôme discute de points de détails : un morceau de dialogue à modifier, l’expression d’un personnage à renforcer, etc. Afin de mieux expliquer l’utilité du responsable éditorial, YUKIMURA se lance dans une métaphore culinaire. Lui adore les « prunes salées ». Pourtant, il est très probable qu’elles ne soient pas au goût de la majorité des gens présents dans la salle. Et bien c’est pareil avec un manga : un auteur peut être persuadé de tenir une idée géniale mais c’est au responsable éditorial de deviner si elle fonctionnera auprès du public et de choisir de la garder… ou non.

Des lignes et des trames

Avec beaucoup d’application, Makoto YUKIMURA se lance ensuite dans un topo concernant les « lignes de vitesse » typiques de la bande dessinée japonaise. La première fonction de ces lignes est de suggérer un mouvement rapide : un guerrier se ruant par surprise sur un autre ou un carreau d’arbalète projeté à toute allure, par exemple. Non content d’illustrer son propos à l’aide d’images de Vinland Saga, le mangaka explique l’origine graphique de ces fameuses lignes sensées imiter la vitesse. Leur seconde fonction est de mettre en valeur un élément particulier, par exemple un gâteau observé par un personnage (« Akira est un sacré gourmand ! »). YUKIMURA en profite pour présenter la manière dont il réalise ces lignes de vitesse à l’aide d’une simple punaise et d’une équerre.

Le jeune dessinateur poursuit son intervention dans le concret avec un topo sur les trames. Ces morceaux de papier calque autocollants composés d’innombrables points noirs permettent de réaliser des zones plus ou moins grisées, des ombres ou encore des motifs répétitifs. YUKIMURA insiste sur la difficulté de couper et de coller avec précision ces trames. Forcément, c’est un boulot pour les assistants (« je pense que je suis un dessinateur de mangas très paresseux »).  L’auteur de Vinland Saga ajoute que certains dessinateurs font ces trames sur informatique mais que ce n’est pas son truc : « bien que je sois un jeune mangaka, je ne sais absolument pas me débrouiller avec un ordinateur ». Par ailleurs, toutes les onomatopées sont réalisées à part sur des feuilles de papier calque pour faciliter leur ajout a posteriori  dans différentes langues et ainsi faciliter la diffusion à l’étranger.

L’humilité d’un boute-en-train

Visiblement à l’aise devant un auditoire, YUKIMURA ne se gène pas pour glisser quelques vannes généreuses. Il tourne ainsi en dérision son modeste matériel de dessin (chacun de ses instruments coûterait moins de deux euros), son habitude de déléguer les tâches (« tous les détails ennuyeux, je les confie à mes assistants ») et ses compétences en dessin lorsqu’il explique les lignes de vitesse à l’aide de quelques croquis (« on ne dirait pas que je suis un dessinateur professionnel… »). Lorsqu’une personne du public lui demande comment se lance dans une nouvelle œuvre, YUKIMURA évoque trois jours à se prendre la tête devant une page blanche (une situation dramatique qu’il mime avec conviction, provoquant l’hilarité de la salle). Il nuance néanmoins sa prétendue fainéantise en assurant que « ce sont les autres mangakas qui travaillent trop ».

A plusieurs reprises, YUKIMURA se dit chanceux. Chanceux d’avoir été publié très vite sans passer par des « compétitions » internes au sein d’une maison d’édition, du genre à faire stagner des auteurs aux portes de la publication pendant des lustres. Le mangaka pense s’être pointé chez Afternoon au bon moment, quand il y a avait « des trous dans le magazine ». Chanceux d’avoir un rythme de parution relativement peu contraignant (8 tomes de Vinland Saga depuis 2005), ce qui n’aurait pas été possible dans le prestigieux Shônen Jump. Chanceux d’avoir eu du succès au Japon, un pays où personne ne sait ce qu’est un Viking. « Mais les Japonais sont friands de belles épopées… alors c’est passé ».

Grâce aux questions du public, Makoto YUKIMURA revient sur Shin MORIMURA, son maître-mangaka qui lui a tout appris. Ils ont travaillé ensemble sur Kangaeru Inu, une œuvre pour le moment indisponible en français. L’instant suivant, il n’hésite pas à avouer qu’il n’y connait rien en dessin animé et que, de ce fait, il n’a absolument pas participé au développement de la série Planetes (mais il l’a finalement aimée). Il fait « confiance aux spécialistes ». Particulièrement modeste, « [il] n’ose même pas [se] comparer aux dessinateurs français » et décrit sa rencontre avec Moëbius comme une expérience inoubliable. Preuve indéniable de son respect envers les fans français, YUKIMURA a refusé de donner trop de détails sur l’évolution de Thorfinn malgré une demande spécifique d’un des membres du public.

Terminons avec le secret jusqu’ici bien gardé de Makoto YUKIMURA pour réaliser un manga à succès : un beau dessin, des jolies filles et, très importants, des animaux mignons. Futurs mangakas, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

8 commentaires

1 jadraja le 07/02/2010
Je suis particulièrement friand de ce genre d'articles!

Un peu éclaircissement sur un domaine qui reste souvent dans l'ombre (comme les mangakas d'ailleurs, au sens propre...): on place trop souvent les produit sous les feux des projecteurs, mais on ne montre jamais le coté humain de la chose, le travail qu'il y a derrière, les techniques etc...

Merci El Nounourso pour cet article ^^
Bien qu'intéressante, la performance donnait malheureusement la grande impression de s'adresser à un public assez jeune et benêt, je n'ai pas tenu jusqu'au bout :(
3 jadraja le 07/02/2010
Ah, vous y êtes allé a 2 donc, toi et El Nounourso.

J'imagine qu'il a dut "sous-estimer" (en quelque sorte) le public, si tu le dis.
4 El Nounourso le 07/02/2010
On était un petit groupe d'AK sur place en fait.

C'est vrai que certaines choses étaient peut-être évidentes pour un amateur de mangas mais j'ai quand même appris quelques trucs, notamment sur la relation du mangaka avec le responsable éditorial (un prochain article en racontera un peu plus) et sur le travail autour de Vinland Saga.

Après je suis surtout heureux d'avoir pu écouter Yukimura. C'est quelqu'un de vraiment sympathique.
5 jadraja le 07/02/2010
La chance que vous avez!

J'aurai très certainement été volontaire pour participer a ce genre d'évènements si j'étais en France, et pourquoi pas vous aider a la rédaction ou a la photo.

Au passage, j'aime bien la sincerité dans les mots de Yukimura. C'est rassurant de savoir qu'il existe des mangaka "moderés", qui pensent qu'il faudrait parfois modérer le rythme de travail. C'est aussi une bonne surprise de voir qu'un mangaka n'est pas forcement un fort connaisseur en techniques d'imagerie numérique ou d'animation.
Au delà d'une performance graphique quasi inexistante, cette heure et demi nous a permis de rencontrer une personnage étonnement loquace, drôle et sympathique, très différent de Murata et Kawakami qui étaient invités l'année dernière et semblaient nettement plus renfermés.
Je n'aurais pas vu grand chose à Angoulême mais je ne regrette vraiment pas d'avoir vu Yukimura :]
7 Afloplouf le 08/02/2010
Argh, l'année prochaine j'essaierai d'en être. ><

@Citation
Terminons avec le secret jusqu’ici bien gardé de Makoto YUKIMURA pour réaliser un manga à succès : un beau dessin, des jolies filles et, très importants, des animaux mignons. Futurs mangakas, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Et des mecs qui sentent la testostérone aussi...
Ce devait être très enrichissant d'assister à cette conférence, surtout que la personne avait l'air loquace et tenait un discours intéressant.
Je ne connaissais Planetes de part son adaptation animée mais pas son auteur. Je vais regarder ses mangas de plus près dorénavant.

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