L'internet a été très agité ces derniers temps. Je me doute bien que ceux qui vont lire ces lignes ne sont pas intéressés par ce qui ressemble de loin à de vagues chamailleries, j'éprouve quant à moi un très grand intérêt pour toute cette soudaine vivacité d'expression. Mais la fin d'une série animée japonaise que je suivais depuis presque trois ans est un événement assez significatif pour que je mette mes innombrables onglets d'articles anglophones de côté pour quelques heures, histoire d'improviser quelques lignes à ce sujet. Surtout lorsqu'il est question de Hunter x Hunter.
J'ai commencé à regarder cette série suite aux recommandations (très) insistantes d'un très cher ami du net. Mes souvenirs du manga étaient assez négatifs, j'avais en tête quelque de chose de confus, souvent difficile à suivre pour pas grand chose. La nouvelle adaptation était une occasion de me faire une idée neuve sur le sujet, une série fleuve de ce type ne pouvant de toute façon pas être un mauvais divertissement. Partant sans aucune attente, les premiers épisodes totalement décriés des fans du support d'origine pour leurs choix d'adaptation m'ont fait plutôt bonne impression. Le mélange de naïveté et d'hostilité que dégage chaque recoin de l'univers d'Hunter x Hunter est assez rapidement entraînant. Les enjeux sont flous mais l'impression d'un danger permanent que chaque personnage doit savoir appréhender pour survivre est assez bien rendu pour que chaque épisode nous laisse pas avec un simple goût d'inachevé dans la bouche. Et à vrai dire, ça aurait été largement suffisant pour proposer plus d'une centaine d'épisodes d'aventure. Mais Hunter x Hunter est allé plus loin que ça.
J'aime habituellement beaucoup discuter des séries pendant qu'elles sont diffusées. A quelques rares exceptions près, les discussions se terminent quelques semaines après la diffusion du dernier épisode et les quelques retardataires trouvent rarement d'interlocuteurs. Mais pendant la diffusion de Hunter x Hunter, j'ai préféré au contraire essayer de prendre le plus de recul possible sur les discussions hebdomadaires, afin de pouvoir apprécier l'histoire dans son ensemble. Pendant ces trois ans à parler de tout un tas de sujets aussi divers et variés que le Magical Girl, les robots géants, les labyrinthes forestiers et Samidare, la seule réponse qui me venait à l'esprit quand on me demandait si je regardais quelque chose en ce moment était "Hunter x Hunter". Bref, je ne sais pas si je pourrais résumer à quel point ces 148 épisodes ont étés une expérience unique à mes yeux, je pourrais certainement en faire une critique entière s'il n'y avait pas autant d'autres choses à dire à son sujet.
Il faut bien commencer par dire que Hunter x Hunter est de manière absolument indéniable un shônen dans les règles de l'art. Il est publié dans le Weekly Shônen Jump qui est certainement le magazine de pré-publication le plus shônen de l'existence, plus encore que le Shônen Magazine c'est dire. Si vous ne connaissez rien au manga et que vous avez vaguement entendu parler d'un machin japonais avec des mecs plus ou moins musclés qui se tapent dessus et envoient des boules de feu, ça venait très certainement du Weekly Shônen Jump (sauf Fairy Tail). Et Hunter x Hunter aurait pu aussi se contenter de raconter une histoire avec pleins de gens qui se battent et lancent des boules de feu, mais ça ne sera pas exactement le cas. Il reste cependant important à mes yeux de bien rappeler que nous sommes bien en présence d'une intrigue portée essentiellement sur les confrontations entre différents personnages. C'est une histoire de combats avec un jeune héros qui va apprendre à devenir plus fort et découvrir sur son chemin des antagonistes toujours menaçants, plus dangereux et souvent plus puissants les uns que les autres. Mais une chose est sûre : il le fait comme personne d'autre ne l'a fait jusqu'à présent.
On dépeint souvent le shônen comme un genre très fermé et trop codifié pour être valable. Son succès est toujours considéré comme surévalué alors que ses défauts sont grossis jusqu'à ce qu'ils donnent l'impression de prendre toute la place. Ses thématiques sont généralement ridiculisées et beaucoup le relèguent en tant que sous-genre pour néophyte, facile à mettre en œuvre et encore plus facile à consommer. Je ne vais pas parler ici de la manière dont ces affirmations sont erronées par le fait qu'elles ne couvrent qu'une partie d'une production assez éclectique, et garder le genre tel qu'il est caricaturé : un héros orphelin (ou avec peu d'attaches) au début assez faible mais avec un grand potentiel, part dans une quête pour devenir plus fort grâce au pouvoir de l'amitié et pour casser les figures à des méchants pas beaux avec l'aide complice de l'auteur qui fera en sorte qu'il gagne toujours de manière injuste pour ses adversaire. Hunter x Hunter est des pieds à la tête une histoire de ce type, chacune des moindres thématiques qui a parcouru ce genre se retrouve quelque part, de l'amitié salvatrice de Kirua et Gon à la soif de vengeance de Kurapika et à la sympathie ambiante du second couteau, Léolio. L'énergie spirituelle est ici le nen, et ses propriétés a priori étranges ne sont pas sans rappeler un certain Jojo Bizarre Adventure, série dans laquelle les personnages manifestent leur force combative à travers des entités spectrales aux capacités diverses et parfois très bizarres. Tous ces éléments placent Hunter x Hunter dans une continuité identifiable au premier coup d’œil. Il n'y a jamais tromperie sur la marchandise et finalement peu de chose ne sont pas une variation d'une oeuvre précédente. Prétendre le contraire serait rabaisser ce qu'elle accomplit réellement. C'est-à-dire sublimer son modèle au point où sa qualité en devient absolument irréfutable.
Soyons clairs, il ne s'agit pas du seul titre de qualité à l'heure actuelle et beaucoup d'autres auteurs talentueux méritent largement plus d'estime que ce qu'un public qui se prétend connaisseur leur offre, mais Hunter x Hunter est un cas particulier : c'est l'évolution la plus récente d'un genre fondamental ancré dans la pop-culture japonaise depuis des décennies. Les seuls titres qui pourraient avoir potentiellement fait quelque chose de plus que celui-ci ont en réalité fait quelque chose d'autre. Ce n'est pas la première fois qu'un cas comme ça arrive, l'autre cas le plus couramment cité est celui de Dragon Ball dans les années 80, en proposant un nouveau modèle narratif qui a pris tellement d'ampleur que certain le confondent avec le nekketsu, terme plus propre à la décennie précédente. Le deuxième cas notable est celui de Jojo's Bizarre Adventure, qui a concrétisé l'idée d'affrontements plus indirects, plus intellectuels que physiques au point qu'il pouvait ne plus y avoir strictement de combat à proprement parler. Certains considèrent encore à l'heure actuelle ces deux titres comme absolument indépassables et indépassés. Mais à mes yeux Hunter x Hunter est une nouvelle variation dont il paraît difficile de saisir les conséquences.
Mais si je devais définir une tendance à isoler dans cette série, c'est la manière particulièrement fine dont elle construit son récit. D'un bout à l'autre, la grande majorité des affrontements de la série sont dramatiques. Dans le sens strict du terme, ils sont profondément intégrés dans la structure même du récit et ils racontent autant que n'importe quel dialogue. Il n'est pas juste question de battre tel grand méchant et ses six ou sept sbires rigolos pour passer au grand méchant suivant, chaque antagoniste est là pour une raison qui lui est propre, et son affrontement avec les héros n'est souvent rien de plus qu'une conséquence. Il en résulte une contradiction assez frappante mais très représentative de l'intérêt de la série dans son ensemble : si tous les personnages, voire même le monde entier, prônent un certain sang froid, une capacité a réfléchir correctement dans les pires situation et une valorisation de l'expérience sur l'émotion pure, les affrontements sont d'une brutalité rare, et lorsque deux fortes personnalités se rencontrent il en résulte généralement des scène très marquantes. L'intérêt que l'on peut porter à ces combats (et même ces non-combats) est qu'ils soutiennent le récit, qu'ils ont réellement un sens. Au-delà du fait de voir des personnages aux capacités souvent visuellement très intéressantes, il y a une réelle implication émotionnelle dans ce qui se déroule ce qui est une qualité inestimable pour une bédé de ce genre, surtout que le récit est ici traité de main de maître.
Mais en y regardant de plus près, qu'est-ce qui rend ce titre aussi unique ? Si on devait parler de Hunter x Hunter à n'importe qui, il est très peu probable que la première chose qui lui vienne en tête soit tout le charabia que je viens de déballer. A vrai dire, la première chose dont on entend parler à son propos, c'est sa publication catastrophique. A la base supposé être publié dans un magazine hebdomadaire, l'auteur se voit souvent contraint d'interrompre sa production, ce qui en fait une des publications les plus lentes de sa catégorie, ne manquant pas au passage d’entraîner la frustration de beaucoup de lecteurs qui ont parfois attendu des mois pour connaitre la suite de leur chapitre. Sauf qu'en y regardant de plus près, ce sont les moments où la publication était la plus perturbée, la plus sporadique, que la qualité de l’intrigue à atteint de véritable sommets, proposant des situations qui auraient été à la limite du pensable dans n'importe quel autre contexte tellement elles semblent en inadéquation avec le genre même dans lequel le récit est ancré. Écrire un récit très structuré semaine par semaine est déjà incroyablement compliqué, il faut obéir à pas mal d'impératifs qui vont d'eux-mêmes influencer le récit. On ne peut pas faire n'importe quoi n'importe comment dans un format de ce type et penser aux simples contraintes de format dans un laps de temps aussi réduit qu'une semaine rend très difficile la construction d'un récit réellement fin. Et c'est encore plus vrai lorsqu'on ne sait pas combien de temps on va être publié.
De ce point de vue, Hunter x Hunter a bien de réels successeurs : les séries mensuelles. Étant soumises à beaucoup moins des contraintes sus-citées, il n'est pas étonnant d'y trouver des intrigues plus poussées et mieux construites de manière générale, mais au prix d'une publication plus lente. Même le Jojo's Bizarre Adventure dont j'avais parlé plus haut à échangé son modèle hebdomadaire pour un modèle mensuel qui permet encore mieux de laisser son auteur se laisser aller aux bizarreries qui ont fait sa réputation. Et même de manière générale, beaucoup de succès récents sont également des séries mensuelles. On pense notamment Full Metal Alchemist ou beaucoup plus récemment, à Shingeki no Kyojin.
Le défaut majeur de cette série est quelle est toujours en cours de parution, et comme dit plus haut, c'est une parution très compliquée. Maintenant, les 148 épisodes de cette adaptation forment un tout très satisfaisant. Il y a bien une petite ouverture finale sur un quelque chose d'autre, mais de manière général on est face à un récit complet qui peut parfaitement s'apprécier en tant que tel.
Et au vu de ses qualités, il n'y aurait aucune bonne raison de s'en priver.