Cher lecteur. Dure tâche pour ma part que de succéder à la merveilleuse critique qui précède celle-ci. Tâche d'autant plus ardu que je m'apprête à traiter d'un anime qui, je pense que nous pouvons le dire, est devenu l'un des animes phares de la saison d'été 2014. Je ne puis cacher qu'à la vue du sentiment général d'euphorie, je me suis mis moi-même à attendre cette adaptation, adaptation d'un manga fort populaire, et ce notamment dans nos vertes contrées. Il faut dire qu'un public féminin survitaminé s'est littéralement éveillé à l'annonce de cette sortie, et pour tout dire, je considère comme humain d'être attiré par ce qui est applaudi à l'unanimité. Néanmoins, la surpopularité du support original m'a fait redouter nombre de scénario. Je craignais en effet un énième anime à succès. Pas que j'ai quelque chose de particulier contre les animes adaptés d'un support rencontrant un certain succès, mais il faut dire que ce sont généralement ceux qui ont le don tout particulier de décevoir.
Je m'installais alors dans mon canapé, un samedi matin pour tout dire, après une longue - et éprouvante - semaine de travail. À ce moment précis, j'avoue que mon intérêt quant à la série relevait bien davantage de la curiosité que de l'impatience pure, mais quelque part j'éprouvais alors un certain besoin de visionner ce premier épisode. Je lançai l'enregistrement, mon chat étant venu se coucher à mes côtés. Je retrouve alors, avec un certain plaisir qui tendrait même parfois de l'exaltation, ces jeux de couleurs qui m'avaient tant intrigués auparavant. Ayant pris connaissance des débuts du manga, j'avoue avoir ressenti une déception passagère alors que je réalisais que le chapitre d'introduction ne ferait pas partie de l'adaptation. Néanmoins, cette fugitive contrariété ne m'empêcha pas d'apprécier, certes non pas à sa juste valeur, ce qui serait prétentieux, mais de tout mon être ces premières vingt-cinq minutes de douceur.
"L'instant n'a de place qu'étroite entre l'espoir et le regret et c'est la place de la vie."
Marcel JOUHANDEAU, Algèbre des valeurs morales
La jeune Futaba, personnage principal de l'histoire plus qu'héroïne, par ailleurs, apparaît bien vite au spectateur. Peut-être même un peu trop vite pour tout vous dire. Je pense que mon chat était d'accord avec moi. Car on ne peut que s'attacher à des personnes aussi droites et innocentes. Et mon chat en sais quelque chose. Cette Futaba, j'aurais voulu la découvrir, la découvrir de moi-même du moins. Pouvoir la cerner avec mes mots, avec mon ressenti. Sans que l'on m'impose dès les premières scènes ce que je devais en penser. Mais pour autant, je sais bien que cette ficelle était bien nécessaire. Je sais que le temps était compté. Je me doute bien des raisons, mais il s'agira ici d'un second plaisir bafoué. En quelques minutes. Mais pourquoi diable suis-je alors resté sagement devant mon poste de télévision ? Pourquoi n'ai-je pas décidé d'abandonner cette adaptation ?
Je ne pouvais pas. Tout simplement. Malgré toutes les déceptions du monde, une certaine magie - ou une magie certaine, choisissez à votre convenance - m'a inéluctablement transportée. Il est rare que j'ai autant de sympathie pour un personnage féminin. Du moins, aussi rapidement. Il faut dire qu'elle est touchante dans son propos, notre petite Futaba. Il faut dire qu'elle fait tout pour l'être également. Mais jamais sans être grossière. C'est peut-être pour ça aussi que j'ai apprécié ce personnage. Futaba, c'est avant tout un personnage très juste, sans fausse note. Certes, l'archétype de nombre de personnages principaux de shoujo, mais d'une subtilité rare. Et c'est alors que j'ai compris que j'avais en face de moi, sur cet écran de télévision, une adaptation d'un excellent manga.
Ma réaction a tout d'abord été assez étrange en soi. En effet, je me suis tout bêtement remis à croire au bon goût de l'humanité. Un peu, pas beaucoup, n'allons pas trop vite en besogne. Mais un peu tout de même. C'est alors avec une délectation certaine que je me suis ensuite laissé porté par ce sentiment de plénitude, le tout souligné par le ronronnement délicat de mon chat. Les secondes passent. Elles semblent alors ralenties, mais sans qu'un quelconque sentiment d'ennui ne vienne se manifester en moi. Puis le générique de fin arriva. Il me fallu alors quelques secondes avant de ressurgir de la léthargie, le cœur d'une légèreté incroyable, regardant avec effroi l'heure, ne croyant pas à la distorsion temporelle qui venait de me happer. Car oui, cher lecteur, Blue Spring Ride est de ces œuvres qui vous font perdre la notion du temps, qui vont vous impliquer, personnellement, mais sans vous blesser pour autant.
Dès lors, je me suis mis à attendre, avec impatience quelque part, mais sans que cela tourne pour autant à l'obsession, l'épisode suivant. Il s'est de ce fait créé une sorte de rituel. Chaque semaine, j'avais mon épisode, comme une drogue hebdomadaire, qui me soulageait de les tourments pour vingt-cinq minutes. Et ce, toujours accompagné de mon chat. Mon chat qui, très bizarrement je dois dire, ne venait ronronner près de moi quasiment que lorsque je regardais Blue Spring Ride. Il faut dire que je visionnais l'épisode à heure fixe. Si ça se trouve, c'était tout simplement l'heure qui lui convenait - j'en suis même presque convaincu -, mais je me plais quelque part à trouver une dimension magique à la chose. À croire que Blue Spring Ride a un certain pouvoir sur les choses.
"Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine."
Guillaume APOLLINAIRE, Marie
Blue Spring Ride, lorsque l'on y regarde de plus près, n'a pourtant rien d'extraordinaire. Et bien entendu, alors que je rédige cette phrase, mon chat miaule, comme pour manifester son désaccord, son mécontentement. Mécontentement lié, je ne le nie pas à la faim, mais encore une fois, la coïncidence me fait sourire. Car Blue Spring Ride est quelque peu comme ça également. Ce n'est pas forcément qu'une chose qui s'explique par une démonstration classique. Et pourtant, Dieu sait ce que je suis rationaliste dans l'âme. Mais je suis convaincu qu'une telle attractivité a un secret. Et dès la fin du premier épisode, je me suis plu à tenter de le dénicher. S'est alors entamée un jeu entre l'anime et moi, jeu qui m'aura sans doute permis de voir l'anime autrement.
Car l'histoire dans son fondement même est horriblement simple. Mais il a été prouvé - et par des gens bien plus avisés que moi-même - que une histoire peut briller par une complexe simplicité. Et ce n'est pas étonnant pour moi de voir ce genre de procédé dans de l'animation japonaise. La littérature nippone, en effet, doit toute son efficacité à une simplicité dans les thèmes et dans la mise en œuvre de ceux-ci tout à fait caractéristique, et que j'ai eu l'impression de retrouver ici. Le tout est accompagné le plus souvent par un ton cru, assumé, que de la même façon, je me suis amusé à retrouver ici encore, par moments.
Futaba est l'incarnation même de la jeune figure féminine contemporaine. La vie elle-même est un jeu. Un jeu où l'on joue un rôle, où l'on se cache sous des apparences. Une sorte de masque finalement, qui semble être devenu un ultime moyen de protection, empli d'hypocrisie, certes, que ce soit envers soi-même ou envers autrui, mais qui semble prouver son efficacité. Et car il en découle une question subsidiaire tout à fait probante, à savoir si l'Homme s'invente de lui-même son bonheur, l'anime prend à partir de ces choses toutes simple une tournure tout autre. Et c'est une force, tout simplement pour la seule raison que ce questionnement est universel.
Avec son entourage, Futaba va former ce qui ressemble étrangement à une sous-société. Que le spectateur va finalement tout bonnement considérer comme une société à part entière, et va finir également par oublier tout ce qui l'entoure. Il se crée de cette manière une proximité troublante entre le monde de Futaba et le notre. Mais pourtant, l'anime ne va pas pousser le spectateur à s'identifier à n'importe quel personnage. Le spectateur va être attiré assez irrésistiblement par le duo formé par Futaba et Kô. Et de cette façon, va encore une fois intégrer le spectateur au déroulement de l'histoire.
"Lorsqu'une porte se ferme, il y en a une qui s'ouvre. Malheureusement, nous perdons tellement de temps à regarder la porte fermée, que nous ne voyons pas celle qui vient de s'ouvrir."
Alexander GRAHAM BELL
Cher lecteur, vous aurez remarqué que je glisse depuis le début quelques citations au sein de cette critique. Mais si j'ai laissé les précédentes à votre propre analyse - vous aurez bien entendu fait le lien entre la citation, le discours qui s'ensuit, et pour certains le discours de l'anime - je souhaite développer quelques points sur celle-ci, qui me semble particulièrement intéressante pour exprimer le fond de ma pensée quant à certains aspects de l'anime. Un certain nombre d'entre vous comprendrons en quoi cette citation est particulièrement adaptée par rapport à l'anime lui-même, les autres le comprendront au cours de la série, bien que mes propos n'en dépendent pas, ou du moins pas directement.
Tout l'attrait de l'anime se fonde en effet sur cette citation, Futaba s'acharnant sans arrêt sur une même "porte", puis instinctivement, elle va modifier son angle de tir, et va ainsi tomber sur cette autre porte, cette autre porte entrouverte. Le tout est que le discours de la série quant à ces histoires de portes forme une continuité très intéressante, en plus d'être bien traitée. Revenons à cette question de bonheur. De quoi est constitué le bonheur ? Qu'est-ce qui définit la notion de bonheur chez une personne ? Sur ce point, l'anime répond assez clairement, dans un dialogue poignant entre le grand frère de Kô et notre chère Futaba.
Le bonheur, ou du moins la conception du bonheur d'une personne dépend de ces portes. Portes qui sont liées bien évidemment au caractère de la personne, mais plus encore à son vécu. Mon chat est venu se coucher à mes pieds. Je pense qu'il est du même avis. Ces portes sont bien entendues accessibles par la personne elle-même, mais également par les personnes extérieures. Et de même lorsqu'une porte est fermée. Futaba va alors représenter - et très habillement qui plus est - la conscience de Kô, tandis que Kô lui-même semble être désemparé face à ces portes closes, portes closes par son inconscient.
Et le plus poignant, c'est bien que Kô va s'être inventé une illusion du bonheur la plus totale, illusion qu'il s'est faite de façon à ne pas pouvoir l'atteindre, persuadé quelque part de ne pas avoir le droit au bonheur. Cette différence entre illusion et réalité est sans cesse appuyée par les souvenirs de l'un comme de l'autre, comme si ceux-ci exerçaient un pouvoir mystique, bloquant l'être à un stade, et le poussant à s'inventer lui-même une vie, un but, un caractère, en bref, une existence. Car de la même façon, l'esprit humain cherche à exister, mais par rapport aux autres, dans cette fameuse sous-société, et ce tout au long de l'anime.
"J'aurai beau tricher et fermer mes yeux de toutes mes forces...
Il y aura toujours un chien perdu quelque part qui m'empêchera d'être heureuse..."
Jean ANOUILH, La sauvage
Kô va éprouver nombre de difficultés à se remettre en cause, et ne le pourra finalement que grâce à Futaba. Futaba qui elle-même ne se remettra en cause qu'à l'aide de Kô, ainsi que de Yûri. Cette dépendance des personnages les uns envers les autres accentue ce sentiment de sous-société, renfermée et solidaire. Car Blue Spring Ride, ce n'est que l'histoire de jeunes perdus par la vie, et qui cherchent désespérément le bonheur, jusqu'à se l'inventer eux-même, et sans se rendre compte de l'impasse dans laquelle ils se trouvent. L'anime nous sert ici un récit touchant, simple et efficace, tout en subtilité et en finesse.
Je regrette néanmoins quelque part que les personnages secondaires ne soient finalement que des figurants. Mon chat me regarde avec un air accusateur. Il sait que je ne dis pas ce que je pense réellement. Car le fond de ma pensée est que cette histoire n'aurait pas été la même si le duo formé par Futaba et Kô n'avait pas été exclusif, l'attractivité ce fameux duo étant pour beaucoup dans cette série. Je sais qu'au fond c'est une fausse remarque, ayant du mal à réellement imaginer ce qu'aurait été la série sans cette composante primordiale. Mais je me fais cette réflexion sans doute car je n'ai pas réussi à m'attacher aux autres protagonistes. Preuve quelque part que la série a fait son travail.
Cela dit, si le fond est fort intéressant, on aurait souhaité que les - magnifiques - couleurs aillent de paire avec l'animation, trop irrégulière et saccadée par moments. La mise en scène, de la même façon, oscille entre l'excellent (les scènes du temple) et du plus mauvais. Le scénario lui-même est parfois entrecoupé par des flashbacks, qui si ils sont souvent nécessaires, ont parfois le défaut de trainer en longueur et de perdre le lecteur. Ainsi, hormis quelques soucis de rythme, l'anime rend une copie plus que convenable et qui rend finalement parfaitement l'histoire originale.
Quant à la qualité sonore de l'œuvre, je ne peux qu'être satisfait du travail fourni. Les doubleurs sont bons, jouent les personnages dans leur plus simple expression, et se fondent parfaitement dans leurs motivations, leurs peines et leurs caractères respectifs. Musicalement, à part quelques passages, la musique se fait discrète. Trop discrète, dirais-je. J'aurais apprécié plus d'expressivité sur ce point, d'autant plus qu'il y avait largement matière à faire. Mais ce n'est pas tant l'usage qui est fait de cette musique qui est à blâmer, j'aurais davantage tendance à pointer du doigt sa relative banalité.
"Un bonheur nous vient-il, cherchons-en un nouveau."
Léon DIERX, Aspirations
Blue Spring Ride est mon petit rayon de soleil de l'été. Un moment de plénitude, de bonheur pur, desservi par une histoire loin d'être sans fondements et par un duo de protagonistes auquel je me suis réellement attaché, comme cela faisait longtemps que cela ne m'était pas arrivé. Des thèmes à portée universelle, portés par une histoire d'une simplicité et d'une efficacité probante, sont les clés de cette série au succès amplement mérité. Petit pincement au cœur de devoir me séparer de Futaba et Kô, mais très étrangement, je ne ressens pas le besoin de plonger dans le manga. J'ai finalement l'impression que cette adaptation me suffit. Que j'ai trouvé ce que je cherchais.
Accompagné par une forme parfois maladroite, l'anime offre une leçon de vie sincère et actuelle autant dans son discours que dans ses codes, si bien que ces quelques épisodes m'ont semblé bien trop courts, tout en me satisfaisant pleinement. Blue Spring Ride gardera à l'évidence une place importante dans mon esprit, et même si l'anime ne bouleverse pas les codes du genre, il en propose une lecture à la fois agréable et criante de vérité. Et ce n'est pas mon chat qui va me contredire. Cher lecteur, si vous n'avez pas du l'occasion, l'envie ou encore le temps de vous plonger dans Blue Spring Ride, c'est le moment ou jamais de le faire. Vous ne serez pas déçus !