C’est d’abord une réaction de surprise que l’on éprouve en découvrant « Dans les Alpes avec Annette ». Si en lisant le titre vous pensez que ce dessin animé n’est qu’une nouvelle version de l’incontournable « Heidi », vous vous trompez lourdement.
Il est vrai que cette fausse impression est renforcée à l’écoute du générique, lequel est largement décalé par rapport à un contexte général assez dramatique. Entre le décès de la mère de Annette en donnant naissance à son petit frère Denis, et le terrible accident de ce dernier – pour ne citer que les deux événements les plus tragiques de cette série –, il est surprenant d’entendre des paroles respirant la joie de vivre et la bonne humeur. Quant aux séquences choisies pour le générique, elles font seulement référence aux premiers épisodes, à l’époque où Annette et son ami Julien étaient heureux de vivre et insouciants.
Cette réaction de surprise tient surtout à la personnalité de Annette, en rupture totale avec les héroïnes d’autres réalisations de la Nippon Animation inspirées de la littérature européenne, en particulier « Princesse Sarah » et « Cathy la petite Fermière ». Si la comparaison de « Dans les Alpes avec Annette » et « Heidi » est inévitable – même contexte géographique (la Suisse alémanique pour Heidi, la Suisse romande pour Annette), sociologique (des paysans montagnards modestes), familial (Heidi est orpheline de ses deux parents, Annette de sa mère), et sensiblement la même époque (fin du 19e siècle pour Heidi, début du 20e pour Annette) –, les similitudes s’arrêtent là tant Annette s’éloigne des stéréotypes de quasi perfection qui caractérisent ces autres personnages. Certes, Annette sait se montrer généreuse et gentille avec son entourage, et même manifester beaucoup d’amour pour son petit frère dont elle est devenue une mère de substitution, au point de le surprotéger. Dans le même temps, son caractère entier et rancunier lui joue des tours, la poussant à commettre des actes qu’elle regrettera ensuite. Surtout, elle fera payer très cher à Julien – jusqu’à l’excès – l’accident de Denis, dont il s’est rendu involontairement responsable, avant qu’ils ne finissent par se réconcilier bien plus tard.
Et c’est justement la profondeur psychologique des deux principaux personnages, rare s’agissant d’un dessin animé des années 80, qui le rend vraiment remarquable. La personnalité de Julien est, en effet, tout aussi intéressante que celle de Annette. Enfant turbulent et cancre à l’école, au grand désespoir de sa mère qui l’élève seule depuis la mort de son mari – avec l’aide financière de sa fille aînée Marie, partie travailler dans un hôtel à Montreux –, celui-ci va se métamorphoser progressivement après l’accident. D’abord très choqué, il va ensuite reprendre goût à la vie en se découvrant une passion et même un don pour la sculpture du bois, au contact d’un vieil ermite. Il aura finalement l’occasion de se « racheter » en faisant preuve de beaucoup de courage à deux reprises. Cependant, les relations tumultueuses et l’omniprésence somme toute assez logique de Annette et Julien, ne rendent pas insignifiants les autres personnages, tels l’ermite précité qui cache un lourd secret, ou la très pieuse grande tante Claude toujours de bon conseil pour Annette. Plus effacé, le père n’en est pas moins un homme courageux, surtout depuis la mort de sa femme, et son fils Denis âgé de 5 ans est un enfant joyeux, malgré l’absence de sa mère et son handicap.
« Dans les Alpes avec Annette » est adapté du livre « Qui donc a frappé ? » de l’écrivain britannique Patricia Saint-John, dont les ouvrages délivrent un message explicitement chrétien. C’est un fait que les références religieuses, notamment à travers le personnage de la grande tante, sont nombreuses et les notions de tolérance, de pardon, de sacrifice, ou le rejet de la jalousie et de la colère sont récurrentes. Cet aspect pourra sans doute en agacer certains, mais appelle néanmoins quelques remarques importantes. Soulignons déjà que les valeurs chrétiennes sont rarement absentes des diverses productions du même type, à commencer par celles que j’ai citées plus haut. Par ailleurs, n’oublions pas que les auteurs de ces dessins animés étant Japonais, donc étrangers à notre culture judéo-chrétienne, il est difficile de les accuser de se livrer à un quelconque prosélytisme. Mais en fin de compte, l’essentiel n’est pas là, car ces valeurs ont aussi une dimension humaine universelle, indépendamment de toute connotation religieuse. Plus précisément, c’est celle de l’amitié vraie dans toutes ses contradictions, d’autant plus touchante qu’il s’agit d’enfants, qui est exaltée dans ce superbe dessin animé.
Le graphisme est d’excellente qualité pour l’époque, sans être aussi abouti que celui de « Cathy la petite Fermière », paru un an plus tard, en 1984. Le choix des voix françaises est assez convaincant – même si celles des enfants n’évoluent pas entre le début et la fin alors qu’ils ont six ans de plus ! Le scénario est plutôt dense et le nombre d’épisodes en conséquence, en considérant la place importante accordée à la psychologie (et donc parfois à des silences plus significatifs que des mots) par rapport à l’action. Si la fin est relativement prévisible (mais c’est un point commun à pratiquement toutes les réalisations pour enfants), il est difficile de rester insensible à cette histoire émouvante d’une amitié d’enfance contrariée, qui pourrait devenir avec le temps – on l’entrevoit dans le dernier épisode – une histoire d’amour.
En conclusion, et en dépit de quelques objections relativement secondaires, j’estime que ce dessin animé mérite amplement une note de 8/10. Il s’adresse principalement à des enfants de 7 à 13 ans, c’est-à-dire l’âge des protagonistes, mais les plus grands (et pourquoi pas les adultes !) pourront le regarder avec plaisir sans se sentir ridicules ou honteux.