Je profite de la sortie récente de GITS 2: Innocence en Blu-ray (26 avril dernier) dans nos vertes contrées, pour parler de ce film magistral. Le premier opus, sortie une décennie plus tôt, fut une claque pour beaucoup. Bien que certains pestaient déjà contre les ''velléités auteurisantes'' du métrage. Autant le dire d'emblée, Innocence enfonce le clou à ce niveau.
GITS premier du nom était centré principalement sur le major. Ici, c'est sur Batou, bien que la figure du majeur traverse le film. Elle est une sorte de non-dit qui plane sans cesse autour des agissements de Batou. Certains personnages en parleront ouvertement sans pourtant provoquer de réponse de ce dernier.
Allons directement au point qui fâche: les dialogues; car personne n'aura l'idée de lui nier sa technique absolument ahurissante et sa mise en scène extrêmement travaillée, donc passons aux points plus problématiques. Alors oui ça parle, ça cite à foison des penseurs, philosophes, poètes, écrits théologiques et j'en passe. Le film est bavard et est traversé par divers thématiques, qui gravitent principalement autour de le relation homme-machine. On peut penser, par exemple, à la thématique du corps évoquée à plusieurs reprises.
Le corps est fondamentalement ce qui « inscrit », « installe », dans le monde. Pour l'homme le corps est le vecteur de son action. L'homme qui se mécanise voit la dimension purement charnelle se déliter dans l'abstraction machinique. La machine voit, quant à elle, la matérialité brute se muer en un apparat de plus en plus humain. Le corps de l'homme se « robotise » quand celui de la machine « s'humanise ». L'homme qui crée, veut se recréer. La création devient miroir de son créateur dans une double dynamique. Il fait sa créature à son image et il devient en même temps à l'image de sa propre création. Il y a donc une perte de sens, quant à la notion même de corps.
C'est cette perte de sens qui amène l'interrogation, car à tendre vers ce surhomme robotique, aux capacités physiques et cérébrales boostées, on en oublie ce qui à l'origine est proprement humain. Faire venir le sens du passé par ces multiples citations à des penseurs historiques, montre cette « fuite du sens » du présent. L'homme dépassé par sa propre nature cherche les conditions de sa compréhension dans un temps où l'homme était humain, trop humain. Ce n'est pas pour rien qu’apparaît le mythe du golem (dans le prodigieux passage de la maison de Kim), ce mythe est la première occurrence historique de ce que deviendra le robot comme archétype d'un être artificiel.
Il y a donc une intrication entre les citations et les thèmes sous-jacents, les dialogues ne sont en réalité que la partie émergée pourrait-on dire. Autre exemple: pour les besoin de leur enquête, Batou et Togusa doivent prendre un ''avion'' (un truc chelou qui vole). Juste avant la décente Togusa se permet de citer Milton, l'auteur du Paradis Perdu, Batou lui répond que «eux ils ne sont pas des suppôts de Satan». Dans le Paradis Perdu est décrit la chute de Satan et des ses anges renégats, d'où la réponse de Batou. Mais le plus significatif reste l'image, car cela se passe lors de la décente de l'avion, lequel est muni d'ailes parcourues, de ce qu'on peut appeler littéralement, des plumes mécaniques qui renvoient symboliquement aux ailes des anges. Il y a donc une continué symbolique entre la parole et l'image (qui va beaucoup plus loin que ça dans cet exemple, mais ça serait trop long à évoquer).
A trop s'attarder sur les dialogues, on a tendance à en oublier l'image. On pourrait encore évoquer la composition géométrique de certains plans et ce qui vient casser cette géométrie dans d'autres, le mouvement des corps dans le cadre (de ce qui en rentre et sort également), etc; et de se rendre compte que tout l'aspect visuel est lui même traversé par les différentes thématiques soulevées par les dialogues. Si GITS 2 est un film qui parle, il est avant tout un film qui montre. Bref, il y a beaucoup de chose à dire sur ce film.
Pour revenir à des choses plus laconiques, ce film est une tuerie. Il peut apparaître pompeux (comme ma critique), bien qu'à mon sens, rien n'est jamais gratuit. C'est un film d'une élégance rare, magnifié par la musique de Kenji Kawai (qu'on ne présente plus).