Attaquons-nous au monument qu'est Kara no Kyoukai, La Frontière du Vide, Le Jardin des Pécheurs; et commençons par Tsuukaku Zanryuu, A Lingering Sense of Pain (qui se traduit mal en français, d'ailleurs : Douleur Résiduelle ? Douleur Persistante ?).
Pourquoi le troisième film d'abord ? Parce que c'est le meilleur. Est-ce que c'est le meilleur ? Non. Ce n'est pas vraiment le meilleur, mais c'est la première grosse claque que nous met Kara no Kyoukai. Quand on regarde le premier film, on ne sait pas quoi penser. Soyons francs, on ne comprend rien. En fait, je me demande presque pourquoi ils ont diffusé le premier film en premier (on pourrait dire que c'est celui qui bénéficie du plus de travail sur l'ambiance, mais bon...). Le deuxième est bien. Le mieux, c'est que l'on comprend. Mais le spectateur lambda (donc pas moi) dira qu'il est honnête, mais qu'il y a mieux. Ca ne marche pas pour le troisième film. Ceux qui disent qu'il est "honnête, mais qu'il y a mieux" ne sont plus là pour le dire. Enfin, y'en avait pas beaucoup à l'origine, donc ils ne m'ont pas donné trop de mal. (:evil:)
C'est toujours plus intéressant d'écrire quand on ressent quelque chose pour ce sur quoi on écrit (que ce soit positif ou négatif), et j'ai donc décidé de parler du KnK qui m'avait laissé la plus grosse impression en premier.
Tsuukaku Zanryuu est peut-être le film qui réprésente le mieux Kara no Kyoukai, vu qu'il rassemble tous les éléments caractéristiques de la série de manière globale, tout en gardant certains aspects qui lui sont propres. D'un autre côté, je dis ça, mais c'est nuançable...enfin parlons du film, au lieu de le comparer sans cesse à d'autres œuvres.
Alors, dans Kara no Kyoukai, le titre est indicatif et important, vu qu'il résume en quelques mots ce qu'est le film lui-même. Le titre de ce troisième volet est "Douleur Persistante". Douleur. Vous savez sûrement (puisqu'on parle du troisième opus, là) que même lorsque KnK parle de panoramas et de gens qui volent, il peut être très, très sombre. En plus, quand ça parle de gens qui volent, ça en parle, mais beaucoup ! On parle presque que de ça : flottent-ils, volent-ils ? Hé ben, là, on parle de Douleur. Et je vous dis, la douleur, on va en manger, et à toutes les sauces. On en a mal nous-même, pour être franc. Douleur physique, douleur mentale, douleur intérieure, douleur extérieure...c'est le thème central du film, et on n'en réchappe pas. Le truc, c'est que les gens qui volent, on s'en fiche...alors on a le droit de s'ennuyer un peu, dans le premier film. On ne peut pas ignorer la douleur, et c'est pour ça qu'on ne peut pas regarder Tsuukaku Zanryuu de manière désintéressée (à moins de vraiment le vouloir...mais dans ce cas, ne vous étonnez pas si je viens sonner chez vous avec le sourire de Rena dans Higurashi). En gros, dès qu'on met les pieds dedans, dès la première minute, on n'en ressort plus.
"J'ai si mal, je crois que je vais pleurer. Est-ce que je peux pleurer ?"
Un mot sur l'ambiance
La première scène mérite quelque mots, en effet. C'est une scène de viol. Attention, ce n'est pas du tout dans les tons d'un hentai, pas le moins de monde. Ce n'est pas une pseudo-scène-de-viol-dégueulasse-mais-qui-est-supposée-t'exciter-quand-même. Il n'y a pas de musique, pas de cris. Juste les voix menaçantes et les sourires moqueurs des agresseurs. Juste la sueur qui dégouline sur le visage de l'homme, illuminé par une bougie dans un vieux bar abandonné. Juste le râle, les halètements presque animaliers de ce personnage que l'on ne voit jamais en entier. Et ce va-et-vient incessant, écœurant.
On voit une main. Un visage. une bougie. La rue dehors. Un sein. Un rire. La rue dehors.
Un regard vide.
Une scène comme on n'a pas l'habitude d'en voir dans la japanimation, j'ai envie de dire, car presque crue. Tout le film est saisissant de réalisme. Les décors, les mouvements des personnages, les plans. Les décors sont sublimes, d'ailleurs. Les bâtiments sont sales, délabrés. On voit la ville sous la pluie, illuminée par des néons, le grand pont au loin, le tout dessiné dans les moindres détails. Les prix, une peluche trouée, les poubelles sorties, éventrées. Si certains ont vu Karas, je dirais que les décors sont dans le même genre, et tous s'accordent pour dire que Karas est visuellement majestueux. Ce qui est important est ce que tout dans le film vise à créer une ambiance unique et incroyablement forte. Malsaine, pesante, angoissante et omniprésente, on baigne dans cette atmosphère comme la ville baigne dans une lumière verdâtre (un peu comme dans Matrix, d'ailleurs). La lumière ne nous laisse aucun refuge. Les tons froids amènent la pluie et sont incroyablement hostiles, alors que les tons chauds présagent les corps et le sang. Les décors sont impersonnels, inconnus et inhospitaliers, d'autant plus qu'une majeure partie du film se déroule la nuit. Le répit n'arrive réellement que dans l'atelier de Tohko, lieu commun avec les autres films, que l'on connaît et que l'on commence même à apprécier. C'est d'ailleurs le siège du peu d'humour que la série peut témoigner.
Là où la réalisation fait un travail formidable, c'est dans le contrôle de la caméra. On nous montre des plans fixes très réduits : un bras, un lampadaire, un portable, une ombre...rarement une vue d'ensemble. On ne voit pas ce qui se passe réellement, on devine seulement, et l'imagination travaille, ce qui est tellement plus puissant que tout ce que l'on pourrait voir sur un écran. De plus, si on ne voit pas, on ne sait pas, et l'insécurité grandit, l'angoisse s'installe dans notre esprit. De plus, ni les plans fixes ni les détails n'ignorent les bras tordus, les murs tachés de sang, et tout cela fait partie des ténèbres dans lesquelles nous plonge Tsuukaku Zanryuu. Ces plans fixes, qui ne montrent pas toujours mais en disent tant contribuent tellement à l'ambiance que je ne sais pas pourquoi on n'en voit pas plus souvent en animation. L'importance de la caméra est aussi essentielle dans les scènes d'action. Voir à travers les yeux de Shiki qui court, qui saute, qui vole ! Ça relaye tellement plus le mouvement qu'une quelconque vue à la troisième personne.
On ne pourrait pas traiter l'ambiance sans parler de la musique. On a Yuki Kajiura aux commandes. De mauvaises langues disent qu'elles se répète, mais franchement, c'est toujours aussi sublime. L'OST est dotée de nombreuses pistes anxiogènes qui accompagnent les scènes dérangeantes parfaitement (insoutenables à l'écoute seule, par contre). Les morceaux magnifiques ressortent dans un feu d'artifice musical présent dans les scènes d'action. Kajiura, sans délaisser les beats électroniques, nous présente des pièces sublimes interprétées par un choeur, un piano, un alto et une contrebasse. J'ai envie de sortir du lot une piste vers la fin du film, joué par un piano seul (et les cordes qui reviennent vers la fin) que j'apprécie tout particulièrement et qui colle parfaitement avec la scène, mais est aussi très agréable à l'écoute seule.
"Elle a appris la douleur. Je suis sure qu'elle en veut plus"
Les personnages
Je n'ai pas envie de dire que Tsuukaku Zanryuu ne serait rien sans ses personnages, et ce n'est pas le cas. Par contre, ces derniers sont un réel point d'intérêt du film. Shiki n'est plus a présenter. Elle est le centre de Kara no Kyoukai, et elle joue invariablement un rôle essentiel dans chacun des films. Je ne dirais pas qu'elle est envahissante, mais plutôt captivante. On voit Shiki, et on ne pense plus au reste. Toujours entourée d'une aura de mystère, c'est un personnage incroyablement attirant, ou plutôt fascinant. Elle est froide et tourmentée, mais se révèle très humaine aux moments où on s'y attend pas. En ces aspects-là, j'ai envie de la mettre aux côtés de Motoko Kusanagi (même si les deux sont sensiblement différentes). Enfin, je dirais aussi qu'une bonne part du charme de Shiki vient du visuel. Attention, rien d'ecchi, et le charme qu'elle a ne vient pas de la beauté de son design, mais plutôt de son regard et de la façon dont elle se tient. Les scènes d'action sont un régal pour les yeux, et elle ne se bat pas : elle danse. L'animation parfaitement fluide fait qu'on ne peut pas rester impassible devant un tel spectacle. Il n'y a aucun effort, comme si tout mouvement lui était naturel, et comme si elle suivait un rythme qui lui était propre. Sa façon de s'habiller appelle aussi l'attention : un blouson de cuir au-dessus d'un kimono. C'est étrangement saisissant, bien que je ne sache pas vraiment dire pourquoi. Un charisme inégalable.
Shiki est le personnage central de Kara no Kyoukai, mais Tsuukaku Zanryuu ne nous apporte finalement pas tant d'informations sur elle. En effet, ce troisième film est centré autour d'Asagami Fujino, qui bénéficie d'un développement et d'une profondeur presque égale à celle de Shiki. Elle est à la fois victime et tortionnaire, terrifiée et terrifiante, forte et fragile. En ce sens, elle est l'opposé de Shiki. Celle-ci a accepté ce qu'elle était en rejetant le monde extérieur, alors que Fujino se bat contre elle-même pour essayer de redevenir 'normale'. Elle tue, tout en s'excusant auprès de ses victimes, reniant ses actes. Elle ne se venge pas, mais suit son propre but, s'enfonçant donc de plus en plus dans les méandres de la douleur. L'image de sa figure qui erre dans la ville, le bras autour du ventre est assez saisissante. Le spectateur la rejette pour ce qu'elle est, mais ne reste pas insensible à son mal, d'autant plus qu'elle est parfois réellement attendrissante. Fujino est un personnage plein de contradictions, et sa dualité est parfaitement exprimée par la seiyuu qui fait un travail remarquable. Maaya Sakamoto dans le rôle de Shiki est fidèle à sa réputation et tout à fait géniale (il en faut, du talent, pour doubler Shiki !).
Donc, un grand grand point fort du troisième Kara no Kyoukai est un travail approfondi sur la psychologie des personnages, ce qui donne vraiment quelque chose de plus à l'œuvre. On a l'impression de les connaître, même si on ne sait pas vraiment si on les aime ou pas. La seule chose dont on est sûrs, c'est qu'on les admire toutes deux. Au lieu de se perdre dans les discussions philosophiques de Tohko sur les gens qui volent ou pas, comme dans le premier volet, on explore des personnages qu'on ne comprend pas entièrement. C'est d'ailleurs ça qui est primordial : si on ne les a pas percés à jour, alors ils ont une qualité réelle de plus, une qualité éthérée qui nous y attache.
"Comme dit le proverbe : la troisième, c'est la bonne !"
Enfin, le scénario
J'ai envie de classer les animes en deux grandes catégories. Les animes où il se passe des trucs, et les animes où il ne se passe rien. Ou presque. Dans Code Geass, il se passe des trucs, alors que dans Aria, il ne se passe rien. Code Geass n'a pas d'ambiance particulière, Aria en a une. En fait, Aria met tous ses efforts à créer un atmosphère unique et sublime, alors que Code Geass essaye à tout prix d'éblouir le spectateur. Dans Kara no Kyoukai, il y a une ambiance particulière, et il se passe des trucs. Parfois, quand on essaye de mélanger les deux, ça donne des animes où on ne comprend rien (Ergo Proxy), mais Tsuukaku Zanryuu évite cet écueil. Si le premier film est contemplatif, le deuxième est instructif et le troisième actif. On pourrait le regarder sans avoir regarder les deux autres, le placer en tant que premier film, et je pense que ça serait presque plus approprié. C'est une fenêtre dans le monde de Kara no Kyoukai, dans le quotidien de Shiki, Kokutô et Tohko. Le rythme est beaucoup plus soutenu que dans les autres films, et cette lenteur qu'on pouvait leur reprocher n'existe plus. Un bon segment du film est dédié à une scène d'action à couper le souffle. Une animation parfaitement fluide, un combat équilibré, des décors magnifiques et une musique sublime. Franchement, je suis comblé. Le scénario est plutôt bien cherché - les développements sont loin d'être prévisibles, même si on se doute plus ou moins de ce qui va arriver. Après, il faut dire qu'on n'a que 50 minutes de film, et qu'il n'y a pas le temps pour une intrigue terriblement complexe. Quoi qu'il en soit, on a le droit à un vrai final, un vrai de vrai ! Pas trop petit, pas décevant, mais pas de trop grande échelle non plus. La dernière réplique de Shiki est tout simplement mythique. Je veux aussi attribuer sa juste mention à l'ending Kizuato, réalisé par Kalafina, qui est absolument magnifique (je crois même que c'est mon ending préféré).
A mon goût, Kara no Kyoukai : Tsuukaku Zanryuu remplit tout ce qu'on pourrait jamais attendre d'un anime. L'ambiance ne nuit pas à l'action, l'action ne nuit pas à la réflexion, et la réflexion ne nuit pas à la compréhension. On y ajoute une réalisation parfaite, un délice pour les yeux et les oreilles; et des personnages approfondis et charismatiques. Franchement, que demander de plus ? Chapeau bas.
"Ma jambe, elle est tordue. Elle a quoi, ma jambe ? Ma jambe est devenue une vis. Ma jambe se visse ! Hahahahaha..."