S'il ne devait rester qu'un chef-d'oeuvre en CG préhistorique, ce devrait être ce Malice Doll. L'animation est lacunaire, incroyablement pourrie, à tel point qu'elle répond merveilleusement bien aux impératifs d'un scénario chassant sans vergogne sur les terres du cyber punk le plus désenchanté.
Contrairement à des chefs-d'oeuvre malgré eux tels que l'étonnant Galerians, Malice Doll fait preuve d'une maîtrise autrement plus visible au niveau du scénario : celui-ci instrumentalise la faiblesse technique pour la mettre au service d'une réflexion assez bien menée sur le statut de la machine, et par conséquent de l'image de synthèse et de son utilité.
Même puissance visuelle qu'un Galerians, même ambiance viciée, à ceci près que Malice Doll est encore plus intense, va encore plus bas dans la corruption graphique et morale : la question du rapport sexuel hante à chaque image cette OAV morbide où des robots de prostitution sont condamnés à vivre dans un monde d'où l'humain a définitivement disparu.
La texture très granuleuse de l'image évoque un enregistrement de caméra de surveillance, conférant à l'ensemble une ambiance claustrophobe et malsaine ; on navigue en plein cauchemar, dans une espèce de casse où les robots évoluent tels des fantômes en attendant la mort. La déchéance physique et morale s'imprime ainsi sur la pellicule, et déforme les corps de ces robots qui cessent petit à petit de vivre, sans même s'en rendre compte.
La transformation de Malice Doll est d'autant plus surprenante qu'elle ne marque pas du tout une forme de rédemption : le retour de l'humain au sein de cet univers mourant ne sauve personne, il agit bien plutôt comme un virus rendant ces robots totalement fous, et les faisant muter de façon ignoble, la machine venant s'amalgamer à l'humain sans qu'aucune harmonie n'en ressorte à aucun moment. Pire, la folie s'empare de cet univers, qui bascule alors un peu plus vite dans le néant.
On n'apprend rien du mystère de cette incarnation, on ne saura pas pourquoi elle a eu lieu, c'est aussi ça qui fait toute la magie de cette OAV très étrange qui cultive avec soin son aspect maladif. De cet amas de CG coagulée émane une atmosphère de conte morbide, de monde labyrinthique où Ariane elle-même aurait perdu le fil, et où les Minotaures seraient légions.
Un chef-d'oeuvre à tout point de vue, même si la seconde moitié de l'OAV bascule un peu plus dans le conventionnel, l'intrigue devenant tout à coup facile à prévoir sur la fin. Malice Doll est un monument dans sa catégorie, un chef-d'oeuvre fantomatique où les visages inexpressifs ont quelques choses de tragiques et de désespérément (in?)humain. La mélancolie au milieu d'une décharge fumante, voilà ce qui vous attend si vous acceptez de pénétrer cet univers en plein déclin.