Dans certaines contrées lointaines que tous auront certainement préféré oublier, il existe encore, selon la légende, quelques pauvres âmes qui se chamaillent pour savoir à quel point Evangelion aurait, ou n'aurait pas selon la paroles d'un certain chevalier, influencé l'animation japonaise. Mais laissons de côté ces sombres histoires en rappelant que dans le monde civilisé, Evangelion est le troisième impact incontestable de cette sous-culture. Arrivé en 1995, il va ouvrir la voie à des séries télévisée plus ambitieuses là où la fin des années 80 avait érigé le modèle de l'OAV comme roi indiscutable du milieu. Pourquoi rappeler tout ça ? Il n'est pas si rare d'entendre qu'Evangelion ne serait que le prédécesseur d'un nouveau sous-genre de séries de robots plus que mineur, mais il faut bien comprendre que l'influence de la dite série est celui d'un modèle et pas d'un contenu. Il n'est pas exagéré de dire que des séries comme Cowboy Bebop, Utena, Serial Experiment Lain ou Fancy Lala n'auraient pas pu voir le jour sans Evangelion. Mais le cas Rahxephon se situe un peu à part.
Si on peut considérer que la série s'inscrit bien dans la démarche de produire quelque chose de réellement ambitieux, elle partage avec Evangelion un peu plus qu'un modèle. Rahxephon est en partie une réécriture d'Evangelion, ce qui va du simple plan clin d’œil jusqu'aux thématiques même de la série. A beaucoup d'endroits de l'Internet on peut constater une sorte de vrai-faux antagonisme entre ceux qui présentent la copie comme inférieure à l'originale et ceux qui rationalisent en affirmant qu'Evangelion n'est lui aussi qu'une pale copie de pleins d'autres trucs, notamment Ideon (ce qui est assez inexact, mais ceci est une autre histoire). Je dois avouer que j'aime rarement les positions intermédiaires dans ce genre de problèmes, mais il faut admettre que dans le cas présent ces montagnes de salade sans intérêt ont beaucoup plus nuit à Rahxephon qu'autre chose, quelque soit la thèse supposée.
Le type qui a affirmé que n'importe quelle publicité est une bonne publicité ne connaissait certainement pas Rahxephon et on aurait du mal à le lui reprocher au vu du manque assez flagrant de discussions au sujet de la série qui ne se résument pas à savoir si oui ou non elle est mieux que son prédécesseur. Ce qui est d'autant plus grave quand le dit prédécesseur est la cause principale des hors-sujet qui font hurler les modérateurs sur n'importe quel forum d'animation qui se respecte. Inutile de préciser que j'avais commencé mon visionnage de la série (longuement retardé parce que même ma sœur ne voulait pas voir un clone d'Evangelion, ce que le monde est triste) avec ce sujet en tête et que la seule chose que j'aurais a commenter à ce sujet se résumerait à pas grand chose. Oui, la filiation crève les yeux, il n'y aurait pas grand intérêt à la nier. Est-ce que la série se résume à ça ? Certainement pas, on peut même aborder Rahxephon seul plus facilement qu'Evangelion seul, ce qui est assez ironique quand on repense à la manière dont ils ont été reçus respectivement. Finalement, l'interview d'Hideaki Anno et de Yukata Izubuchi à l'occasion de la sortie de Yamato 2199 est peut-être le meilleur moyen de se rendre compte de ce qui lie les deux œuvres.
Du coup qu'en est-il de Rahxephon en tant que tel ? Le meilleur et le plus honnête moyen de rendre justice à cette série après l'avoir vue serait de dire qu'il faudrait que je la revoie, plusieurs fois, avant de l'aborder réellement en détail. En plus de la pelletée de personnages et des sous-intrigues à foison, on a souvent l'impression d'assister à un récit sur-découpé dans laquelle différents extraits de différentes tonalités se succèdent et dont la durée varie de un à trois épisodes. Quelqu'un d'habitué à regarder de l’animation japonaise pourrait ne pas trouver ça étonnant : c'est très courant de voir des séries découpées en arc narratifs. De manière générale, le format même des séries de vingt-six épisodes diffusées pendant deux fois trois mois, souligné par des coupures très visibles à des épisodes presque fixes (il est très courant de voir un premier grand tournant lors du huitième épisode, par exemple). Mais dans Rahxephon, ces changements de ton sont beaucoup plus ténus, ce qui fait qu'il est par moment très difficile de parler de la série dans son ensemble. Un épisode particulier sort du centre de la série de robot géant pour donner un récit qui aurait pu être celui d'un Scrapped Princess*, sans pour autant venir réellement perturber l'intégrité de la série dans son ensemble. Et c'est là qu'on touche au plus gros point fort de Rahxephon.
Aussi improbable que cela puisse paraître, ce qui aurait certainement aboutit à un gigantesque foutoir sans queue ni tête au vue de standards d'écriture de l'animation japonaise se révèle être un récit orchestré plus que correctement de bout en bout. En tête, l'erreur d'une série trop bavarde et pseudo-conceptuelle a été contourné agréablement grâce à certaines intrigues beaucoup plus concrètes qui débouchent sur des coups de théâtre bien sentis. Comble de la classe, jamais aucun de ces retournements de situation ne donne l'impression d'être du spectacle racoleur complètement improvisé. Certain diront peut-être que le résultat est trop scolaire, mais ce serait amoindrir la qualité de réalisation générale, d'autant que la l'animation est au rendez-vous, Bones oblige. Et encore une fois, c'est finalement plutôt inattendu de voir mélanger des robots géants au folklore maya pour finalement raconter les trouble identitaire d'un jeune adolescent sans se casser la figure en cours de route.
C'est peut-être à cet endroit que le bât blesse : aussi pertinente que soit l'intrigue de Rahxephon, elle semble finalement à s'adresser au mieux à un public du jeune adultes et sa finalité risque de passer à côté pour ceux qui s'attendaient à y voir un propos plus mature ou plus concret. Le fil rouge de la série est avant tout constitué de la quête d'identité de Kamina, à l'opposé d'Evangelion qui mettait en avant la lutte contre l'envahisseur inconnu et les magouilles mystico-politiques au centre de son intrigue, se permettant de développer un commentaire un peu plus ambiguë à côté. Rahxephon est beaucoup plus honnête dans son propos, qui possède bien un début et une fin très claires et qui ne sont sans aucun doute pas le résultat d'un accident de production. Ce n'est pas un défaut en soi, surtout au milieu d'une animation japonaise qui n'est pas étrangère aux histoires fumeuses que ne comprennent pas toujours de quoi elles parlent. Mais la moitié de la série - dont la conclusion - risque de passer à quelques pieds au-dessus de la tête de ceux qui n'ont pas réellement d'intérêt pour les déboires de Kamina.
Malgré tout, il est réellement difficile de nier à quel point la série est réussie dans ce quelle entreprend. Que ce soit dans l'écriture, la réalisation ou l’enrobage, Rahxephon fait preuve de qualités assez rare mais dans une sobriété qui lui vaut certainement d'être éclipsée par la démesure d'Evangelion auquel il est sans cesse ramené. C'est d'autant plus dommage que ce que créé la série dans les moments où elle s'écarte de son modèle est plutôt intéressant, frôlant parfois la science-fantasy et l'étrange plus que la stricte science-fiction. C'est certainement ce qui empêche Rahxephon d'avoir un public fidèle malgré ses qualités, la série construit ses particularités sur une ambiance qui n'est ni celle des vieux amateurs de robots géants, ni celle des jeunes peuplades (blablabla contrée lointaines blablabla civilisation blablabla vieux cons élitistes) qui vont très rapidement lui préféré un Code Geass (voire un Soukyou no Fafner) plus divertissant.
Dans cette mesure, on retrouve avant l'heure le triste sort accordé à Xam'd (avec une meilleure réputation, peut-être), ce qui ne peut que renforcer ma sympathie pour Rahxephon.
Edit :
* Plot twist de dernière minute, il se trouve que cet épisode est réalisé par un certain Mitsuo Iso. Et c'est vrai qu'on pouvait y voir des thématiques à la fois proche de Digimon the Movie (sur lequel il est animateur) et de certains épisodes de Dennô Coil que du Scrapped Princess.