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Lost on the way, no one to blame, no one to say

» Critique du manga Bleach par Red Slaughterer le
04 Novembre 2016
Bleach - Screenshot #1

Il existe certainement des tas de manières d'expliquer le succès du manga en France, mais une composante très basique de ce succès peut s'expliquer très simplement : le manga a construit quelque chose qui, indépendant de ses qualités, n'existe pas ou peu ailleurs. Plus même qu'un modèle narratif et autres "différences culturelles" dont on entend si souvent parler, ce sont des genres entiers qui ont germés dans cette sous-culture japonaise. Ironiquement, ces genres spécifiques et souvent très codifiés sont considérés par beaucoup comme du divertissement facile et mercantile plutôt que de véritables œuvres. Parmi ces genres, le shônen de combat est celui qui illustre cette idée de la manière la plus excessive. D'un côté, ils ont marqué de leur succès la culture populaire au point que les codes qui les composent sont souvent vu comme étant "japonais" et pas simplement la caractéristique d'un ensemble très spécifiques (et finalement assez restreint) de textes. De l'autre, suite à l’inondation du marché dans le début des années 2000, tout ces titres ont très vite finis par lasser leur public cible, donnant l'impression de lire de subtiles variations de la même chose. A l'heure actuelle, ce qui a été pour beaucoup des lectures adolescentes ne sont plus maintenant que le niveau zéro du manga, la base à partir de laquelle on part pour trouver ce qui est mieux. Et parmi toutes les séries qu'il serait possible d'évoquer sur le sujet, Bleach est certainement le meilleur représentant de ce phénomène.

Bleach - Screenshot #2-

Bleach raconte les mésaventures d'un jeune lycéen, Ichigo Kurosaki, qui possède la particularité de voir les esprits des morts. Un peu rude mais sincèrement altruiste, Ichigo utilise ce don afin de régler les problèmes de défunts restés sur terre et de les envoyer dans l'au-delà. Du moins, c'est ce qu'il fait jusqu'au jour où il croise Rukia Kuchiki, un ange de la mort (ou shinigami) dont le rôle est justement d'escorter les âmes errantes au paradis sous peines qu'elles se changent en créatures monstrueuses, les hollow. Cette rencontre au premier abord assez anodine va rapidement bouleverser le quotidien d'Ichigo, qui va lui-même hériter de pouvoirs de shinigami. S'en suit péripéties et combats de sabres spirituels pendant presque 700 chapitres.
Mais avant d'aller plus loin, il est intéressant de définir ce que pourrait être le shônen de combat et en quoi Bleach fait bien partie de cette catégorie. Déjà il faut comprendre que les combat en eux-même n'ont pas tellement d'importance. Bien sûr les affrontement physiques très récurrents, popularisé par des séries comme Dragon Ball, Saint Seiya ou Hokuto no Ken mais le genre marche très bien sans. Certains le font avec des jeux de cartes, d'autres le font avec des parties de volley-ball, ça n'a finalement pas tant d'importance. Dû à leur nature de bédé feuilleton, elles s'intéressent toujours plus au drame immédiat plutôt qu'à l'intrigue à long terme, mais ont la particularité de la faire en s'imposant un ensemble de règles souvent arbitraires. C'est particulièrement évident lorsqu'il est question d'un sport ou d'un jeu, mais on peut aussi étendre cette idée d'autre détails, en particulier les capacités des différents personnages. Terrain fertiles à toutes les idées saugrenues, la plus grande limite de ce genre se situe souvent dans la créativité de l'auteur et sa capacité à jouer de manière intéressante avec les situations qu'il aura créé. Après tout, on parle d'une genre dans lequel une comédie romantique où un jeune doit déclarer sa flamme à son amie d'enfance en la battant à un match de ping pong est une possibilité.

Bleach - Screenshot #3-

Au milieu de tout ça, Bleach est un représentant beaucoup plus régulier du genre dont la formule centrale se résume souvent à "qu'est-ce qu'il se passerait si personnage A devait affronter personnage B". Et en soit, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Tite Kubo n'est ni le premier ni le dernier auteur à se focaliser sur une simple succession d'affrontements, d'autant plus qu'il possède un atout de choix dans sa capacité à mettre en scène et en image des personnages d'une prestance et d'un charisme rare. Une caractéristique récurrente des séries du Weekly Shônen Jump (magazine dans lequel Bleach était pré-publié au Japon, au cas où) est d'avoir un personnage principal très iconique et reconnaissable qui va être utilisé pour représenter la série dans lequel il figure. Ce n'est pas réellement le cas d'Ichigo qui n'a que pour seul trait distinctif ses cheveux roux. Bleach réussit pourtant à devenir un succès retentissant au début des années 2000, que ce soit au Japon ou en France. Il n'y a pas besoin de s'avancer pour affirmer que le trait du mangaka est la raison principal de ce succès.
Dans un contexte plus favorable aux fictions fantaisistes, l'univers contemporain, le style plus urbain et son allure plus occidentalisées aux titres en anglais dans le texte pouvaient difficilement passer inaperçus au milieu de la concurrence. Et même au-delà de tout ça, la très vaste galerie de personnages avait largement de quoi plaire à tout le monde, surtout qu'il ne fallait rarement pas plus d'une page pour mettre en valeur un personnage. Dans le meilleur des mondes on aurait pu s'arrêter là, il n'y aurait plus eu à signaler à quel point le manga n'invente absolument rien mais le fait de manière cool. Hors dans la fin des années 2000, sa popularité va continuellement baisser jusqu'à son arrêt légèrement prématuré et Bleach va rapidement devenir la cible des railleries incessantes de ses lecteurs.

Bleach - Screenshot #4-

Voir des séries perdre en popularité au cours de leur parution n'est pas spécialement étonnant, surtout quand on parle d'une parution de 15 ans. Mais la descente au enfer de Bleach est un cas extrême tel qu'on en voit presque jamais. J'aimerai dire que c'est injustifié et que le public à mal grandit à côté de son œuvre, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Les défauts du récit sont à peu près aussi évidents que les raisons de son succès l'étaient. Et en premier lieu, sa galerie de personnages finit par se retourner contre lui. Le genre est pourtant habitué à être peuplés d'antagonistes, de rivaux, d'anciens alliés et autres compagnons de voyages qui vont et viennent au cours des chapitres, c'est quelque chose qui se prête beaucoup à un rythme feuilletonant. Mais Bleach est touché par un très gros travers de ce format : a vouloir garder ses personnages en réserve pour plus tard, il donne l'impression que rien n'est jamais complètement résolu.
Même s'il n'est pas toujours évident de distinguer le mythe de la réalité, Tite Kubo est réputé pour faire partie de ces auteurs qui conçoivent les personnages avant de trouver leur place dans l'intrigue. Tous les personnages du manga n'existent littéralement que dans l'attente de leur flahsback ou leur coup de théâtre dédié et seule une très faible minorité s'accapare le devant de la scène tout au long de l'histoire de manière plus qu'évidente. Encore pire les personnages les plus récurrents, qui sont aussi les plus populaires, sont systématiquement mis en scène de la même manière, avec à chaque fois le même résultat. Mais le plus gros défaut à mes yeux est la manière dont l'unité d'Ichigo et de son proche groupe d'amis n'est jamais correctement rendue. Leur "profonde" amitié qui devrait justifier qu'il se batte pour eux n'est jamais crédible et il ne sont jamais grand chose de plus que les spectateurs de ce qu'il se passe autours d'eux. Et par conséquence, la série entière manque de cohésion.

Bleach - Screenshot #5-

Il est vrai que que le genre auquel appartient Bleach a cette capacité d'être très flexible, ça ne veut pas dire pour autant que ça permet de faire n'importe quoi et encore moins de le faire n'importe comment. Si le genre dans sa globalité n'a généralement pas grand intérêt à se vouloir proche du réel, ou dans une certaine mesure d'une quelconque vraisemblance, il se doit de garder une très forte cohérence interne dans les règles arbitraires qu'il s'impose à lui-même. Et malheureusement, rien dans Bleach n'évoque de près ou de loin la moindre petite idée de cohérence interne à aucun moment. Ce n'est pourtant pas faute d’enchaîner les longs dialogues d'explication sur le tenant et les aboutissant du monde tel qu'il est (miraculeusement, encore) supposé marcher, mais il est difficile de s'y intéresser plus que ça quand le moindre de ses principes se base sur un univers incompréhensible où des âme en attente de réincarnation attendent des millénaires au paradis et y fondent une famille. Et c'est sans évoquer les morceaux entiers de l'intrigue qui peuvent apparaître et disparaître d'une semaine à l'autre.
On pourrait bien sûr partir du principe que l'intrigue elle-même est secondaire et que les affrontements sont le véritable cœur du manga mais malheureusement ils possèdent exactement les même défauts. Plus encore même, les combats de Bleach ont un défaut central : plus les enjeux sont élevés, plus le résultat en devient attendu. Très simplement, plus arc narratif progresse, plus il va falloir justifier qu'Ichigo et personne d'autre soit le seul possible sauveur de l'univers tout entier. Hors plus on progresse dans un arc narratif, plus les personnages secondaires les plus puissants seront mis en touche et plus il sera difficile de justifier qu'Ichigo puisse faire quoi que ce soit de plus. Finalement, toute confrontation est biaisée pour favoriser la continuation de l'histoire. Tout ça est renforcé par un rythme incroyablement lent, donnant des arcs narratifs à la longueur démesurée et à la conclusion fatalement décevante.

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Malgré tout, il serait difficile de dire que Bleach est juste un mauvais manga, ou même un mauvais représentant de sa catégorie. Bien sûr il existe mieux, beaucoup mieux même, et en quantité plus que satisfaisante. Ca n'empêche pas le manga de Tite Kubo d'être sincèrement divertissant, même si ça l'est un peu malgré lui de temps à autre. Ce n'est certainement pas l'incarnation de la médiocrité que beaucoup tentent de désigner mais difficile de lui trouver un public en dehors de celui qui avait entre 10 et 15 ans au moment de sa sortie et de quelques réels passionnés du genre. Les profanes complet du genre n'y verront certainement qu'un gigantesque concours phallique sans grande finesse (mais avec beaucoup de style), ce qui serait sans doute une description bien plus pertinente que toutes les élucubration présentées ci-dessus.

Verdict :6/10
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A propos de l'auteur

Red Slaughterer, inscrit depuis le 30/12/2009.
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