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On ne badine pas avec l’amour

Publié le 09/02/2009 par watanuki dans Dossiers - 6 commentaires

Tokyo Marble Chocolate, de Naoyoshi Shiotani.

Nous vous proposons aujourd’hui un dossier spécial Saint-Valentin, avec cette petite étude des OAV de Shiotani. Un prétexte comme un autre pour aborder ce dessin animé étonnant à plus d’un titre. Nous aurions souhaité organiser un  jeu-concours pour l’occasion (faire gagner deux dvd), mais Kaze a refusé ce geste : l’éditeur a pour politique de ne pas faire gagner d’intégrales, nous a-t-on expliqué. Nous le déplorons. La sortie DVD de ces OAV a été chroniquée ici.

La façon dont le réalisateur Naoyoshi Shiotani parle de son travail sur Tokyo Marble Chocolate laisse attendre un dessin animé banal : un garçon veut avouer ses sentiments à une fille tandis que celle-ci, ne parvenant pas à lui avouer son amour, s’apprête à lui dire adieu. La simplicité de l’histoire ne doit cependant pas décourager le spectateur. Après tout, Hitchcock lui-même construisait ses histoires selon le schéma du boy meets girl.

La structure de ces OAV est remarquable à plus d’un point : pour exprimer la dualité des points de vue féminin (épisode « See you again ») et masculin (épisode « Full-powered boy »), Shiotani a conçu deux épisodes séparés présentant le point de vue de chacun. Cette dualité est au cœur du projet Tokyo Marble Chocolate, comme on peut le voir à la fin des génériques, lorsque deux cartons se succèdent, le premier présentant les deux héros se faisant face d’un air perplexe, le second les montrant en train de se sourire. La succession de ces deux dessins insiste sur le cheminement psychologique qui aura eu lieu entre temps. Le scénario est conçu pour partir d’un point commun aux deux héros avant de prendre des embranchements différents selon qu’il s’agit de Yuudai ou de Chizuru. La structure narrative est ainsi à la fois rigoureuse et lâche, permettant de très belles « improvisations ». Le dessin animé repose ainsi sur des flashbacks, des flash forwards, des hallucinations et autres rêveries, tout en présentant des lieux parfois identiques. Voici un schéma sommaire de la structure commune aux deux épisodes :

1 – Flash forward (ou prolepse) : les deux héros sont présentés après les incidents impliquant le mini-donkey.
2 – Flashback (ou analepse) : chacun se remémore les moments les plus difficiles de sa vie sentimentale tout en se préparant pour son rendez-vous.
3 – Au café : moment de rencontre avec le mini-donkey.
4 – Au parc : le même lieu parcouru à un moment différent par Yuudai et Chizuru.
5 – Chacun rentre chez soi (Miki arrive chez Yuudai/Chizuru parle avec le mini-donkey).
6 – Flashbacks nocturnes, de nature un peu différente selon le personnage.
7 – Chez Yuudai : deuxième moment où le mini-donkey se trouve avec les deux personnages en même temps.
8 – Les Tours de Tokyo : chacun vient aider le mini-donkey.
9 – Le pont : moment de réconciliation finale.

On pourrait trouver d’autres moments moins importants (notamment le moment où Yuudai est derrière la porte de Chizuru, croyant qu’elle le trompe avec quelqu’un). Quoi qu’il en soit, ce schéma est suffisamment vrai pour qu’on y voie un peu plus clair dans la structure de l’histoire. Le dispositif mis en place permet ainsi  de jouer sur un même canevas narratif tout en proposant deux histoires sensiblement différentes.

Apparaît donc, en dépit de la grande variété des événements et des pérégrinations des héros, un semblant d’unité de lieu (rien à voir avec le théâtre classique, évidemment !) : le fait que l’on voit Chizuru et Yuudai évoluer, en même temps ou pas, dans des lieux identiques, un parc, un café, un immeuble, la tour de Tokyo, etc., permet de mettre Tokyo au niveau du spectateur, de réduire la ville à l’échelle de cette histoire d’amour. La mégalopole n’est pas écrasante, elle laisse ici respirer les héros, justement parce que Shiotani fait le choix de fragmenter l’espace, de sélectionner des lieux essentiels, sans jamais donner une vue d’ensemble, si ce n’est dans certains passages un peu oniriques ou lors d’un survol vertigineux (générique de l’épisode « Full-powered boy »). L’intimité trouve le moyen d’exister au cœur de la grande ville, les individualités des deux timides héros sont isolées, prélevées artificiellement au sein d’un tout pour évoluer dans une bulle dont le centre nerveux serait les deux tours de Tokyo. Sans cet effet, le projet aurait été ruiné, et Shiotani réussit l’opération avec un talent qui fait complètement oublier qu’il s’agit de sa première réalisation.

Grâce à ce souci de donner au spectateur l’impression d’être enfermé dans un microcosme, dans une boule à neige estampillée « Tokyo », toutes les interactions deviennent possibles : la taille des lieux est limitée, c’est cela qui permet au scénario de dévider son lot infini de coïncidences. Ici, les lois de l’aléatoires deviennent moteur de l’intrigue, à un point tel qu’elles finissent par s’incarner dans un corps hautement improbable : le mini-donkey. Comme le dit  (non sans humour) Shiotani dans son interview, il est inutile de chercher cette race dans les animaleries, c’est un pur produit de son imagination. A plusieurs reprises cet animal à la fois ridicule et séduisant va incarner le hasard, jouant les Cupidon de façon fort maladroite mais ne manquant pas d’effet. Propulsé dans la vie de Yuudai et Chizuru, il va les obliger à changer de rythme, à s’adapter au sien, à le suivre : têtu comme une… mule, très affectueux, gourmand, naïf, absolument mal élevé et ignorant complètement les règles de la vie en société, le mini-donkey ose tout, obligeant finalement ses maîtres involontaires à tout oser à sa suite. Son importance cruciale est marquée au niveau du logo au tout début de la série : lorsque le titre « Tokyo Marble Chocolate » apparaît, les caractères tournent comme une table à roulette dans un casino, dans un tourbillon de couleurs, mais c’est de loin la silhouette du mini-donkey qui tourne le plus vite et le plus longtemps, preuve qu’il est l’élément clé des progrès dans les relations des deux amoureux.

Et autant dire que, lâché dans un espace aussi restreint que celui proposé par Tokyo Marble Chocolate, le mini-donkey fait figure d’éléphant dans un magasin de porcelaine : les catastrophes se succèdent à toute allure, et lorsqu’il ne s’en mêle pas, c’est autre chose qui arrive, preuve que le sort « s’acharne » sur les héros. Ainsi, lorsque Chizuru tente de s’occuper de cet animal impossible, Yuudai essaie de la retrouver mais se voit confronté, dans le désordre, à une ancienne petite amie, à une mamie épuisée qu’il ramènera chez elle sur son dos, un homme sur qui il va renverser du café, etc. Ajoutez à cela les gaffes monumentales du mini-donkey, et l’on se retrouve avec un concentré improbable d’événements catastrophiques. De ce point de vue, ces deux OAV possèdent un petit air de famille avec le film de Harold Ramis, Un Jour sans Fin (Groundhog Day), si ce n’est qu’à la marmotte succède l’âne nain. La multiplication des courses-poursuites et des incidents bizarres rapprochent aussi cette production du chef-d’œuvre de Satoshi Kon, Tokyo Godfathers. De ces films, Tokyo Marble Chocolate semble avoir inconsciemment retenu l’art de mettre en scène les catastrophes à répétitions, et celui de montrer des personnages dans une course éperdue pour mettre de l’ordre dans leur vie. Bref, dès le début de son épisode, Yuudai court après Chizuru, trébuche (en sortant de chez lui, ou en rêvassant dans la rue, lorsqu’il s’imagine le mini-donkey dévorer Chrizuru), tombe, se relève, hésite, son comportement physique se trouvant ainsi en adéquation avec son attitude psychologique. Chizuru, de nature plus introspective et passive (selon les mots-même de Shiotani) se trouve quant à elle obligée de courir après le mini-donkey, de prendre des initiatives pour s’occuper de lui, même si au bout du compte elle est sur le point de renoncer (ce sera Yuudai qui la rattrapera à la toute fin). De ces moments perpétuels d’accélération, de course-poursuite, de chute, naît une atmosphère délicieuse, puisque ce sont ni plus ni moins que les vertiges de l’amour que Shiotani met en scène, au sens propre. C’est pour cela que les chutes et les accélérations de la vie réelle se retrouvent aussi dans l’onirisme dont est empreint le dessin animé, lorsque Yuudai tombe de la tour par exemple, et lorsqu’il tente de rejoindre Chizuru dans les airs. Cette verticalité se retrouve aussi dans l’incident du cadeau qui s’envole accroché à un ballon en forme d’âne, avant de tomber entre les mains de Yuudai (finalement, le Destin leur sourit). Comme le dit le slogan inventé par les publicistes de Production I.G, Tokyo Marble Chocolate n’est rien d’autre que ça : « A pure love story, colorful and sweet, yet a bit bitter. Just like a piece of chocolate » (soit quelque chose comme : « l’histoire d’amour par excellence, haute en couleurs et sucrée, mais avec une petite pointe d’amertume. Tout à fait comme un morceau de chocolat »). Le titre et son slogan mettent bien en valeur la légèreté de ce dessin animé, ainsi que son exceptionnelle capacité à jouer sur une légère mélancolie pour mieux mettre en valeur les moments d’allégresse et d’humour qui parsèment l’histoire.

N’en demeure pas moins que, en dépit de cette légèreté, Tokyo Marble Chocolate trouve son équilibre dans un symbolisme plus ou moins discret. Grâce à cela, la dualité des deux héros trouve une belle illustration tout en permettant au spectateur de suivre lisiblement les divers événements : le symbole le plus évident, celui qui est à la base de Tokyo Marble Chocolate, puisque Shiotani l’avait inclus sur son tout premier dessin pour ce projet, c’est la tour de Tokyo, la vraie. Le second point névralgique serait la tour bleue. Shiotani explique avoir entendu parlé de cette nouvelle tour au moment de la mise en chantier des OAV, si bien qu’il s’est imaginé cette tour construite au cœur du Tokyo actuel, et qu’il a désiré l’inclure dans l’univers de Tokyo Marble Chocolate. Idée de génie, puisque cela renforce la symétrie des personnages. De fait, dès le début de l’épisode correspondant au point de vue de Yuudai (« Full-powered boy »), on voit le héros courir sur fond de tour rouge ; il passera régulièrement à proximité de la tour de Tokyo, jusqu’à la toute fin où il sauve le mini-donkey. Cette tour semble correspondre fortement à Yuudai, elle est moins présente dans l’épisode de Chizuru, et pour cause : elle travaille dans la tour bleue, d’où elle observe régulièrement Yuudai ; l’image est facile, mais la formuler facilitera mieux les choses : Chizuru doit descendre de sa tour pour se mettre à portée de Yuudai. En ce qui le concerne lui, le défi est tout autre : il s’agit, définitivement cette fois, d’accepter de sauter dans le vide, de faire le premier pas. C’est le moment crucial du sauvetage du mini-donkey : marcher sur la poutrelle en direction de Chizuru, et sans regarder dans le vide, est l’acte fondateur de leur relation à venir, il aura enfin franchi, au sens propre comme figuré, les obstacles qui le séparent d’elle. Lui aussi est prêt en fin de compte à quitter sa tour et à la rejoindre, ce qu’il fait littéralement à la fin.

D’autres symboles viennent s’associer à une réalisation jouant souvent de ses effets : parfois tout simplement absurdes (le ballon en forme d’âne), parfois vaguement signifiants (le café Marble), ils contribuent à l’ambiance magique du dessin animé, tout comme la saison choisie : il s’agit d’une histoire d’amour hivernale, mais petit à petit la neige se voit remplacée par des milliards de paillettes multicolores, au fil des rêveries des deux héros. Blancheur, tons pastel et dessins multicolores s’entrecroisent pour offrir un tourbillon visuel féerique, dont le représentant le plus évident est, une fois encore, le mini-donkey : à la fois symbole du Destin et porteur de l’esthétique du dessin animé (voyez son design invraisemblable), c’est en définitive ce personnage muet qui en dit le plus sur cette belle réussite qu’est Tokyo Marble Chocolate.

Disponible chez Kaze, dans une édition au package très réussi mais les bonus sont un peu arides (il y avait pourtant matière, vu le contexte de production).

6 commentaires

1 El Nounourso le 09/02/2009
Un bien joli dossier qui pourrait donner des idées de cadeaux pour la Saint-Valentin !
Tu as bien décortiqué les éléments incontournables des OAV : la mini-mule, la personnalité des deux amoureux, la symbolique des deux tours, les lieux récurrents...
Une chouette histoire, légère et sucrée comme une barbe à papa =)
2 Afloplouf le 10/02/2009
Mouais, je vois pas le chef d'œuvre là-dedans. Le procédé narratif est vu et revu excepté la bonne idée du double point de vue. Ce n'est peut-être pas assez entrecroisé pour être vraiment sympa mais l'idée est là. Peut-être qu'une histoire aussi simple blase les vieux routards de drames romantiques inextricables... Il n'y a qu'à lire Bitter Virgin qui va bientôt paraître en France.
3 El Nounourso le 11/02/2009
Je ne vois pas le chef-d'oeuvre non plus, loin s'en faut, mais j'ai passé un bon moment !
Le procédé n'est pas aussi original que cela sauf que, me semble-t-il, c'est plutôt rare dans le monde les animes... Il y aura sûrement quelqu'un pour me contredire cela dit :p
4 Afloplouf le 11/02/2009
Si par "procédé" tu entends la scène vue par deux narrateurs différents, effectivement, il y en a par exemple dans Kara no Kyokai 5 (postérieur à Tokyo Marble Chocolate il est vrai).
5 El Nounourso le 11/02/2009
C'est bien ça que je voulais dire oui... enfin tu nous reparleras bientôt de Kara no Kyokai 5 n'est-ce pas ? :p
6 Afloplouf le 11/02/2009
Il paraît. ^^

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