Shigofumi, l’esprit de la lettre
Shigofumi ~ Stories of last Letter ~ de Tatsuo Sato
Attention, ce texte dévoile des moments importants de l’histoire.
En produisant Shigofumi, le studio J.C Staff sort du fan service pur et propose un dessin animé agréable et bien scénarisé. En douze épisodes, la série construit un univers mélancolique, où chaque scène touche juste, et où le dénouement n’est pas bradé, pour une fois.
Les moments de légèreté et les aspects comiques, s’ils ne sont pas absents, restent très discrets, et le fan service, s’il est toujours perceptible dans la tenue des héroïnes, n’a pas de rôle moteur dans le scénario. Dans cette série, le deuil et la douleur prennent corps, ils envahissent l’écran, et, soutenus par une musique obsédante, répétitive et séduisante en même temps, ils imprègnent chaque plan et conditionnent chacun des personnages. C’est d’ailleurs le retour permanent des deux ou trois thèmes principaux qui donne son homogénéité à cet univers : les limbes que nous décrit Shigofumi n’en sont ainsi que plus belles. C’est l’un des points forts de la série, qui trouve toujours le juste milieu : elle ne cherche jamais à trop expliquer, et se contente de poser le principe selon lequel une personne, lorsqu’elle meurt, a l’occasion d’adresser un dernier message à la personne de son choix ; ce sont des facteurs de l’au-delà qui le délivrent. On ne saura jamais si ces personnes décédées ont sombré dans le néant ou si elles ont accédé à un autre état de conscience, on ne les verra à aucun moment, et c’est ce qui donne sa beauté à cette série où le drame ne concerne en fin de compte que les vivants et les porteurs de shigofumi (le titre de la série désigne ces lettres adressées par des morts à des vivants). Chaque « postier » se voit attribuer un district, il n’opère donc que dans une zone géographique limitée : ainsi, le lieu où se déroule la série est relativement peu étendu, cela permet au scénariste de faire interagir en toute logique plusieurs personnages que l’on retrouve parfois d’un épisode à l’autre : des camarades de classe de Fumiko, Chiako, un inspecteur de police usé, un écrivain narcissique et son éditrice, etc. Certains ne sont là que pour un ou deux épisodes, d’autres traversent la série : ce petit univers prend ainsi vie progressivement en nous montrant divers parcours, certains complets, d’autres plus elliptiques : des personnages vivent, d’autres meurent, certains se suicident, d’autres souffrent de maladie incurables ou meurent de vieillesse, mais jamais Shigofumi ne s’attarde sur le mélodrame ou ne fait du spectateur le voyeur d’une situation scabreuse ; cet univers où bassesse et grandeur d’âme cohabitent reste organisé autour d’un personnage précis, qui lui sert de point d’équilibre : la petite postière Mika. Ainsi, la série s’organise en mini-arcs ou en épisodes autonomes, proposant une variété de rythmes très agréable tout en conservant l’unité de l’ensemble.
L’idée d’une communication entre le monde des vivants et des morts n’est pas neuve ; celle d’une Poste de l’au-delà l’est un peu plus, même si l’idée relève a priori du gag. Pourtant, grâce au choix de suivre un seul de ces postiers, cette idée ne sombre pas dans le ridicule. Effectivement, le parallèle entre le monde des vivants et le monde des morts est renforcé par une dimension nettement plus intime, qui ne concerne que Mika : d’ordinaire, les postiers choisis pour délivrer le shigofumi sont recrutés parmi les morts, or, Mika est la seule d’entre eux qui continue à vieillir au fur et à mesure que le temps passe. Le mystère, s’il est vite résolu, dresse un nouveau parallèle qui enrichit la série et lui donne de la profondeur, en proposant d’envisager le monde selon l’opposition vie/mort, mais aussi selon l’opposition entre conscient et inconscient : Mika est en effet la part maudite de Fumika, fille maltraitée d’un écrivain déséquilibré qui, pour se protéger des sévices que lui inflige son père, s’est créée une deuxième personnalité, la première ayant le nom de Fumi, la seconde celui de Mika. L’énigme n’est pas complexe, il n’est pas difficile de voir que le prénom « Fumika » est coupé en deux, mais ça ne gâche pas le plaisir : Shigofumi narre en fin de compte la quête intérieure, menée entre coma et conscience, entre vie et mort, d’une héroïne ayant fait le choix de se créer deux personnalités pour survivre. Rien de psychanalytique dans ces épisodes, et le mot « schizophrénie » n’est jamais prononcé, l’allégorie est de mise dans cette évocation de la souffrance intérieure.
Malgré l’insistance sur l’idée d’expiation (Mika veut s’amender d’un « péché » qu’elle aurait commis envers Fumi), Shigofumi évite en permanence la leçon moralisatrice en se contentant de toujours mettre en valeur l’individualité de ses personnages. En ce sens, comment ne pas faire le rapprochement entre Mika, postière de l’au-delà, et Enma Ai, l’héroïne de Jigoku Shoujo, chargée d’emmener les âmes en enfers ? Tout comme Enma Ai, Mika refuse – ou tente de refuser – de juger les gens, et elle aussi est une adolescente ayant la lourde responsabilité de faire le pont entre l’au-delà et le monde des vivants ; tout comme elle, on ne peut pas vraiment dire qu’elle se sente vivante, son cœur est rongé par la mélancolie et le désir de se réconcilier avec son passé, de faire amende honorable et de pouvoir vivre à nouveau ; c’est exactement la même douleur et le même poids de non-dit que l’on retrouve dans Shigofumi et Jigoku Shoujo. Ironie du sort, si l’une est chargée de donner (le rôle de Mika est de livrer des lettres), l’autre n’existe que pour reprendre (Enma Ai n’existe que pour emmener les âmes en enfer). Toute la beauté de ces deux univers est d’arriver, malgré ces différences radicales, à la même conclusion.
Shigofumi est un dessin animé qui fait honneur à J.C Staff, et qui mériterait très largement d’être édité en France pour qu’on puisse enfin l’apprécier au mieux.
8 commentaires
Très bon article watanuki =}
Mais je reconnais que je n'ai été malgré tout que moyennement convaincu par la série. Le synopsis laissait entrevoir une trame plus riche, plus sombre et on se retrouve au final avec un scénario quelque peu banal qui repose sur des rebondissements bancals. C'est dommage mais la série ne se démarque pas vraiment d'un Shinigami no Ballad.
Au passage, si vous aimez cette thématique du "dernier message après la mort", vous pouvez vous tourner vers le manga Skyhigh, bien plus adulte.
Je l'ai bien aimé mais sans plus, bien que l'histoire (ainsi que celle de Mika) était intéressante.
Shigofumi fait fortement penser à Jigoku Shoujo c'est vrai: une héroïne mélancolique et mystérieuse blah blah blah... Mais bon, ça a tellement son charme ._.
Il y a l'autre article qui situe mieux le personnage ; je ne voulais pas répéter ce qui a déjà été dit.
Sinon, moi j'ai bien aimé l'anime pour son ambiance et son sujet. Même si la fin apparait un peu brouillon, elle est plutôt bien mise en place à travers les épisodes.