Gyakkyou Burai Kaiji est un thriller au sens strict du terme, de ceux capables de vous faire retomber dans l'onychophagie compulsive (vous savez, cette sale manie de vous ronger les ongles de manière incontrôlée). Autant être clair, l'animé vous immerge exclusivement dans l'univers très masculin des paris clandestins. Cependant si les jeux de hasard ne vous emballent pas plus que ça, Kaiji fait partie de ces séries qui dans leur exécution parviennent à vous accrocher avec des thématiques qui à priori n'auraient rien pour vous passionner.
L’atout principal de l’œuvre c'est d'abord le talent dont fait preuve Nobuyuki Fukumoto dans l'écriture de ses mind games. Il faut dire que le mangaka a fait des tactiques tarabiscotées et retournements de situation sa marque de fabrique. Mais là où son précédent succès, Akagi, peut paraitre inaccessible aux regard des occidentaux -puisqu'il est préférable de connaître les bases du Mahjong afin de l'apprécier pleinement - l'auteur va ici inventer des règlements très simples, ou imaginer des variantes de jeux mondialement connus comme le Janken (pierre-feuille-ciseaux) afin de ne pas larguer ses lecteurs. Je sais ce que vous vous dites, mais aussi fou que cela puisse paraitre, assister à des parties de shifumi pendant x épisodes peut s'avérer extrêmement captivant. Je me rends compte que comme souvent l'ampleur de l'enjeu y est pour beaucoup. Outre le génie des stratégies improvisées, la surenchère du danger est précisément ce qui maintient le spectateur en halène jusqu'au dénouement.
Le suspense est remarquablement bien communiqué par l'atmosphère chargée d'adrénaline qui se dégage de l'adaptation. L'OST signée Taniuchi Hideki (à qui l'on doit également celle de Death Note) colle parfaitement bien aux événements et parvient à faire grimper la tension des scènes. Les sonorités sont tellement efficaces qu'elles vous font instantanément ressentir quand une situation est sur le point de basculer.
J'ai tout de même un bémol à émettre concernant la mise en scène, et notamment les commentaires quelque peu superflus du narrateur. Il m'arrivait souvent de m'impatienter lorsque survenait ses interventions, tant elles ont pour effet de casser le rythme. Autre point noir: les métaphores visuelles -plus ou moins subtiles- visant à illustrer le drame des situations, comme le fait de franchir un gouffre ou de partir à la dérive sur une mer agitée. C'est d'autant plus agaçant lorsque la voix off s'évertue à nous les expliquer sur un ton sur-dramatisé. Rien de rédhibitoire cependant, disons que j'ai fini par en faire abstraction.
Il y a par ailleurs un réel effort pour retranscrire l'état d'esprit des personnages. Le chara design, quasi caricatural, a l'avantage de donner de la profondeur aux expressions, et participe efficacement à la transmission de l'angoisse qu'inspirent ces situations extrêmes. A l'image des antagonistes qui affichent un sourire démoniaque par leur démesure ou au regard exorbité des parieurs, notre attention est immanquablement détournée de l’esthétique conventionnelle pour aller à l'essentiel: les émotions.
J'en viens donc à ce qui a suscité autant d'engouement pour ce récit: l'aspect psychologique. Il faut d'abord souligner que les paris ne se font par sur le simple hasard mais prennent rapidement la forme de duels mentaux. Ce qui est mis à l'épreuve, ce n'est pas la chance du parieur mais sa capacité à prendre la bonne décision sous la pression de l'enjeu. A cela s'ajoutent les interactions entre les joueurs, mettant en avant tout ce que la nature humaine comprend de plus sombre et d'inavouable. La bonté, le courage et l'esprit d'entraide sont vite balayés lorsqu'il est question de sa propre survie ou pire encore, de la cupidité.
La critique sociale est ce qui transparaitra au final comme étant au cœur de l'histoire. Les affrontements sont régulièrement transposés à la vie de tous les jours; en particulier l’idée que l'ascension sociale se fait au prix de sacrifices, de prise de risques mais aussi et surtout par la compétition. Écraser les autres pour s'en sortir, manger ou être manger. Certains raisonnements sont dérangeants de par leur cynisme mais ils n'en soulèvent pas moins des questions intéressantes. Est-il naïf de faire confiance ou faut-il au contraire céder à l'individualisme? Le message est assez typique des survival games mais il conduit le spectateur à se questionner sur ses propres valeurs et faiblesses.
Jeté au milieu de ce panier de crabes, le personnage de Kaiji incarne ce dilemme entre instinct de survie et éthique. A la fois rebelle et profondément humain, il se présente comme le mouton noir ne trouvant pas sa place dans une société où la réussite prime. Au premier abord crédule et idéaliste, il évoluera au fil des challenges. Il reste cependant bien décidé à gagner sans renoncer à son intégrité et c'est ce qui attire la sympathie. Sa combativité et ses coups de génie font de lui le moteur de la série. Autant le dire tout de suite, le reste des personnages restent jusqu'à la fin des inconnus, ce qui peut paraitre frustrant. Mais je me dis que quelque part ce parti pris renforce ce sentiment de solitude que l'on éprouve aux côtés du héros.
GBK est en somme un thriller psychologique efficace, à l'atmosphère vibrante, et dont l'histoire parvient à aborder des thèmes lourds tout en restant divertissante. Le suspense est au rendez-vous et les événements s'enchainent si rapidement qu'ils ne manquent pas de vous faire cliquer frénétiquement pour lancer l'épisode suivant. Et cerise sur le gâteau, un final à la hauteur qui vous donnera envie de vous ruer sur la saison 2.