En France, le nom de Leiji Matsumoto est le plus souvent associé à Albator, ou Harlock en version originale, du nom de cette série culte pour de nombreux français nostalgiques des années 1980. Au Japon cependant, terre natale de l’artiste, c’est bel et bien Space Battleship Yamato qui est considéré comme le pinacle de son œuvre.
Saga constituée de plusieurs séries télé et films, Yamato est peut-être un des animes les plus importants ayant jamais existés, certains le qualifiant de « premier impact de la japanimation », ouvrant la voie aux grandes séries de SF japonaises. En 2012 fut mis en chantier un remake de la toute première série de 1973 ayant pour nom Uchû Senkan Yamato 2199, sous le format d’OAV. D’abord diffusés via six long-métrages en salles, l’anime fut découpé en vingt-six épisodes pour permettre sa diffusion télé et en DVD/BR. Presque deux ans plus tard, nous y voilà enfin.
Yamato n’est pas n’importe quelle licence et dès son annonce le projet a attiré l’attention des japonais. D’après la rumeur, le projet devait au départ être réalisé en collaboration par Yutaka Izubuchi (RahXephon) et son rival Hideaki Anno (Evangelion). Ce dernier n’a pas pu s’y consacrer mais a apporté sa bénédiction au projet, et est d’ailleurs crédité comme réalisateur de l’opening. Izubuchi s’est donc retrouvé seul aux manettes pour réécrire la légende.
L’histoire raconte l’épopée d’un groupe d’humains déterminés à sauver leur planète en affrontant les pires dangers de la galaxie. A la fin du XXIIe siècle, les hommes prennent contact avec les Gamilusiens, une race alien avec laquelle une guerre éclate. Supérieurs en puissance, les Gamilusiens se retirent du système solaire et envoient régulièrement vers la Terre des astéroïdes toxiques qui transforment l’écosystème et menacent l’humanité d’extinction.
Alors qu’il ne reste qu’un an avant la fin du monde, les humains reçoivent un message venant de la mystérieuse planète Iscandar, située dans le Grand Nuage de Magellan, leur expliquant que s’ils veulent sauver leur planète les hommes doivent les rencontrer sur place pour se voir offrir de quoi rétablir l’environnement naturel de la Terre. Désespérés et au pied du mur, l’ultime option pour l’humanité est de sélectionner une poignée de ses meilleurs éléments pour embarquer sur un vaisseau customisé, le Yamato, et de parcourir les 168 000 années-lumière les séparant d’Iscandar, et en revenir. Le tout en moins d’un an, et sous le feu nourri des Gamilusiens acharnés…
Dans les grandes lignes le déroulement ne change pas beaucoup de la série de 1973, même si Izubuchi a rajouté pas mal de personnages (notamment féminins, assez absents de l’original) et de sous-intrigues étoffant la série et son univers. En particulier, la série s’efforce de multiplier les points de vue en accordant un temps d’antenne significatif aux Gamilusiens, et à leurs intrigues politiques tournant autour de leur conflit avec le Yamato. Globalement la mise en scène est exemplaire, chaque scène de chaque épisode de chaque arc est porteur d’une fonction dans le récit. La moindre petite séquence peut avoir des conséquences se matérialisant plusieurs épisodes plus tard, ce qui justifie le deuxième visionnage auquel seules les grandes séries ont droit.
Comme toute véritable série de space-opéra, c’est l’alchimie entre les batailles spatiales et la caractérisation des nombreux personnages qui fait fonctionner l’ensemble. En l’espèce, nous avons droit à un des meilleurs castings de ces derniers temps, à commencer par le Capitaine Okita qui dirige le Yamato et dont le charisme et le panache insuffle une "énergie virile" à la série. Que ce soit du côté humain ou gamilusien, tous les personnages sont concernés par une forme d’honneur militaire ; ce qui rapproche ce remake d’une vieille série japonaise des sagas de SF occidentales telles que Stargate ou Battlestar Galactica. Le modernisme de cette série, qui transparaît avec de nombreux éléments (le rôle important et intelligent accordé aux personnages féminins, la remise en cause du manichéisme du conflit…) cohabite avec le cœur de la série qui prenait les racines de sa légende dans son aspect cocardier, et dont des réminiscences subsistent (outre évidemment le Yamato qui donne son nom à la série, on notera que les personnages sont tous japonais malgré l’unification des humains face à l’invasion).
Bref, Izubuchi a voulu adapter le sujet à un public actuel sans subvertir l’aura de la série mythique, l’idée étant de permettre au public ayant découvert Yamato dans les années 70 de la regarder et de la transmettre à leurs enfants. Cela donne donc un produit bâtard, qui n’impose pas de nouveau standards mais qui permet une étude intéressante sur les idéologies sous-tendant la japanimation d’hier et d’aujourd’hui.
L’autre forfait d’Izubuchi est d’avoir repris son style ultra-sentimentaliste, en particulier vers la fin peu avare en états d’âmes et en larmes, là où la fin de l’original était assez sobre et concluait les enjeux de manière plus claire et logique. Il n’a d’ailleurs pas pu s’empêcher le temps d’un épisode de reprendre la mise en scène boursouflée qui caractérisait son RahXephon, mais le reste est d’une telle maîtrise qu’on l’excuse aisément.
La série se caractérise par une exploitation intensive de la 3D, qui se cantonne toutefois aux vaisseaux spatiaux et aux effets spéciaux ; mais cela révèle bien que même pour une superproduction, créditée de dix-huit directeurs d’épisodes, deux studios d’animation et une cinquantaine de sous-traitants, et disposant d’un budget AAA il est désormais devenu impossible pour les japonais d’animer leurs méchas à la main.
L’animation 2D est d’une netteté et d’une qualité évidemment supérieure à ce qui se fait habituellement à la télévision, et les nombreuses scènes d’action mettent en avant le travail des animateurs de talent comme le gainaxien Shinji Iguchi sur les effets spéciaux de grande ampleur par exemple.
Mais ce qui compte plus dans l’animation japonaise que l’animation proprement dite c’est bien le style et le design et à ce sujet Yamato 2199 est inattaquable, d’autant que le réalisateur Yutaka Izubuchi est lui-même designer de formation. La série compte un nombre particulièrement élevé de designs de vaisseaux, d’armes, de robots, de décors, de bâtiments, d’environnements, de costumes qui forment un ensemble cohérent et d’une élégance détonante avec la vulgarité des créations actuelles. Le dessin des personnages est signé du célèbre Noboteru Yûki qui dépoussière de très belle manière les personnages de Matsumoto Leiji et en crée de nouveaux de très bon goût (Yamamoto <3).
Sur le volet sonore, Yamato 2199 s’est offert la dream team du casting de doublage avec des Daisuke Ono en lead role et des guests exceptionnels tels que Koichi Yamadera et Akio Ohtsuka, entre autres, chez les gamilusiens. La musique fut composée par Akira Miyagawa, qui n’est autre que le fils de Hiroshi Miyagawa qui composa les thèmes des Yamato originaux. En l’occurrence les musiques de 2199 sont des reprises orchestrales des thèmes majeurs de l’original. Encore une fois le respect du mythe prime.
Il est difficile pour nous occidentaux de se rendre compte de l’importance de Yamato dans la culture anime japonaise, et moi-même j’aurais pu passer à côté du phénomène, d’autant que la série n’a bénéficié d’aucune couverture médiatique en dehors de l’archipel. Mais ce Yamato 2199 est non seulement la porte d’entrée vers une des sagas fondatrices de la culture otaku, mais est également une des meilleures productions animées de ces dernières années et constitue un des meilleurs sapce-opera que j’ai vu dans ce média. Bénéficiant d’une valeur de production exceptionnelle, Yamato 2199 a surtout ce qui caractérise les animes marquants à savoir une âme. Les réalisateurs de la série ont eux-mêmes grandi avec Yamato et ont saisi à bras-le-corps l’occasion de réécrire leur série fétiche : un rêve que caressent de nombreux fans via les dôjinshi et les fanfictions mais qui a ici été réalisé pour de vrai. Les discussions autour de Yamato se situent à la croisée des chemins culturels, idéologiques, philosophiques et politiques, et il ne tient plus qu’à vous d’y prendre part en attendant le long-métrage inédit annoncé pour l’an prochain. 8,5/10
Les plus
- le space-opera japonais que l'on attendait
- Mise en scène dense et cohérente
- Animation parfaite, batailles épiques
- Designs superbes, décors et personnages excellents
- Personnages vraiment charismatiques notamment du côté féminin
- Musiques et doublages d'exception
- Okita, ça c'est un homme
Les moins
- La victoire finale de la 3D
- Le sentimentalisme excessif d'Izubuchi
- Des choix scénaristiques douteux vers la fin
Pour en savoir plus, je vous conseille VIVEMENT le site de la communauté de fans CosmoDNA qui suit avec une ferveur et une profondeur rare les infos concernant la saga Yamato.