Un jour ou l'autre, fatalement, toute personne appréciant un tant soit peu le manga vient à entendre parler de Berserk, ce monstre sacré. Sa longueur et la durée de son existence (plus de 20 ans!) lui donnent une place à part au panthéon des mangas. C'est une œuvre qui transcende les générations, que ce soit par les thématiques ou la durée, bien plus qu'un simple récit.
La prise de contact est en plus souvent difficile: le propos est cru, le dessin aussi, et on retrouve au début quelques clichés de Dark Fantasy qui ne font rien pour rassurer. Puis le récit se déploie: qui est ce mystérieux guerrier cynique et infiniment désemparé, ce monstre fragile qui a la fois frappe l’admiration et déchaîne l'horreur du lecteur? L'arc de l'Âge d'Or commence et c'est la révélation, qui accroche les derniers récalcitrants. Berserk sera bien plus qu'une quête, c'est une toile gigantesque, une tragédie en innombrables actes où vont vivre et mourir un millier d'acteurs. Berserk, c'est la biographie de Guts, le guerrier noir, mais c'est aussi des empires qui se lèvent et s'effondrent, et au bout du compte un monde dont les fondements et la réalité même seront remis en question.
Au centre de cette œuvre, c'est l'homme qui détient la place d'honneur. Berserk est à la fois une ode et une étude de l'humanité: ce qu'elle a de pire et de meilleur est dans ses pages. Et soyez prévenus, Miura ne vous épargnera rien, de la noirceur la plus insoutenable à l'héroïsme le plus légendaire. Berserk pourrait exister uniquement par ses personnages dont la complexité, la richesse ainsi que l'évolution sont sans fin. Jamais ou presque dans une œuvre le manichéisme n'avait été aussi éloigné. Au centre, la relation infiniment complexe entre Guts et le génial Griffith occupe une place de choix.
Impossible de résumer en quelque mots les liens entre ces deux figures de proue, qui ne cessent en plus de changer. Haine, dépendance, amitié, respect, admiration, jalousie, tout le spectre des émotions humaines relient ces deux "hommes" qui ne peuvent et n'auraient pu exister l'un sans l'autre. Argumenter sur les sentiment, les motifs et les émotions de l'un ou l'autre peut occuper des nuits entières entre fans, alors imaginez en plus le rajout d'une galaxie entière de personnages secondaires tous plus approfondis et intéressants les uns que les autres. La politique s'entremêle au fil des pages aux motivations personnelles, pour finir par pousser les personnages comme dit plus haut à se mêler du fonctionnement même du monde et de sa logique.
Évidemment, tout ceci n'aurait été que peu satisfaisant sans un talent à la hauteur de telles ambitions. Et Kentarô Miura n'en est heureusement pas avare. L'histoire est infiniment riche, vaste, imprévue et complexe quand le dessin transcende les espérances les plus folles. Au fur et à mesure des pages, on assiste à la naissance d'un dessinateur: le trait change petit à petit pour aboutir du passable au génie. Les planches sont remplies de détails et de merveilles, l'émotion jaillit du moindre chapitre et le dynamisme et la clarté des combats transforment les batailles en tourbillons de fureur pourtant parfaitement lisibles. Malheureusement, le temps nécéssaire à une telle qualité est bien la seule ombre au tableau. Les tomes se sont fait bien rares et Miura ne dessinera de toutes façons jamais assez vite pour satisfaire la faim dévorante de ses lecteurs.
Mais tout ceci n'est pas encore terminé. A vrai dire, il se pourrait même que ces 30 et quelques tomes ne soient que l'introduction de quelque chose de plus gigantesque encore. Pour celui qui a déjà refermé le dernier tome et s'arme de patience en attendant le suivant, au final, peu importe. Kentarô Miura a déjà rejoint depuis bien longtemps les maîtres de la fantasy, des gens comme J.R.R Tolkien ou G.R.R. Martin, des géant qui ont créé des univers si vastes que ceux-ci leur survivront de toutes façons.
Espérons juste que Miura vivra pour apporter à ses lecteurs la conclusion d'une œuvre qui je n'en doute pas un instant, sera digne du statut de légende de celle-ci.