Dennô Coil : Mode sans échec
Si vous demandez à un ingénieur en cybernétique ou à un développeur de jeux vidéo quelle sera la prochaine grande évolution de l’ère numérique, ils vous parleront peut-être de la Réalité Augmentée. Le principe, c’est de minimiser l’interface matérielle entre les données informatiques et le système sensoriel humain. Autrement dit, il s’agit de superposer à notre monde réel un monde virtuel avec lequel on pourra interagir en utilisant nos sens tels que la vue, l’ouïe ou le toucher.
Cette technologie, dont on commence tout juste à entrevoir les capacités, ouvre tout un tas de possibilités qui à terme permettront de faire un vrai mélange entre la réalité visible et la création virtuelle. Et on dira à ce moment-là : « ce que la technologie a créé, Mitsuo Iso l’a imaginé dans Dennô Coil ».
En effet, là où d’autres animes utilisent le ressort du fantastique, du mythe, du monde parallèle ou je ne sais quoi pour faire intervenir un élément perturbateur dans un univers réaliste, et ainsi engager une histoire, Dennô Coil choisit d’utiliser cet élément de la Réalité Augmentée.
Car cette série se base sur le postulat selon lequel dans les années 2020, la Réalité Augmentée est quelque chose de standard que même les enfants maîtrisent parfaitement. Pour eux, enfiler des Cyberlunettes et se promener avec des Cyberanimaux de compagnie est une évidence. Cependant, Dennô Coil n’est pas un anime sur la Réalité Augmentée en elle-même, mais plus prosaïquement une histoire dans laquelle des enfants vont vivre des aventures pleines de mystères et d’action, dans un monde où la Réalité Augmentée est une réalité tout court. Seulement, le prétexte utilisé ici est, il faut l’avouer, tout aussi intéressant voire plus que l’histoire en elle-même qui mêle un peu d’action, de comédie, pas mal de mystère et de coups de théâtre sympathiques.
Le schéma narratif utilisé ici est un classique de la japanimation (et pas que) : les premiers épisodes placent l’univers et les personnages, et les suivants vont les approfondir en installant une histoire plus sérieuse et plus centrée (serious buisness). On retrouve donc cette dualité ; les moments les plus drôles et surprenants se situent majoritairement au début là où les instants les plus forts en émotions sont réservés pour la fin. Je ne critiquerai pas ce modèle, qui a ses qualités comme ses défauts : par exemple l'agence de détectives privés qui donne son nom à la série, n'est finalement mentionnée que durant les deux ou trois premiers épisodes. J’insisterais plus volontiers sur la narration assez particulière de la série ; il n’y a pas d’arcs scénaristiques dans Dennô Coil. Un épisode va raconter l’histoire d’un personnage, fournir un élément important et se terminer sur un cliffhanger ; l’épisode suivant va s’attarder sur un autre personnage, donner un autre élément sans se soucier de ce qui s’est passé juste avant. Bien évidemment tout finit par se recouper à la fin et les pièces du grand puzzle se mettent en place progressivement. C’est pour cela qu’il vaut certainement mieux voir la série d’une traite. Pour une personne à l’intelligence réduite comme moi, il est clair que si j’avais attendu entre chaque épisode je n’aurais rien capté – et encore j’ai eu du mal avec les derniers épisodes qui sont bien gratinés en matière de « rebondissement final sorti de nulle part », et avec la terminologie spécifique de la série qu’il faut assimiler en un minimum de temps.
Le design de la série est simple et sans ambiguïté, avec une utilisation intelligente des effets numériques pour différencier ce qui ressort du cyberespace vis-à-vis du reste. Le chara-design est rond et mignon, expressif sans être inabordable. On notera en particulier un jeu de couleurs singulier et intéressant. Toute la série Dennô Coil semble se dérouler par un après-midi nuageux de mois d’octobre. Tout est gris, terne, froid. Il faut dire que j’ai un goût pour les directions artistiques plus flashy et colorées et voir autant de grisaille a de quoi me déprimer. Mais nul doute que cela fait partie du corps de la série, car Dennô Coil n’est justement pas un anime chaleureux.
Car le propos de la série, à travers ce grand bordel de hackers en culottes courtes, c’est de montrer comme il est difficile de comprendre les gens et leur sentiments, surtout avec l’avènement de la technologie qui nous offre tout un panel de possibilités nous permettant de nous affranchir de la compréhension d’autrui. Cela est visible en suivant le parcours des personnages de Isako et Haraken : dans les deux cas, ces personnages vont atteindre un haut niveau dans la maîtrise du Cyberespace, mais cela ne va servir qu’à les isoler un peu plus, obnubilés par leurs quêtes respectives. C’est pour cela que le propos de la série d’Iso est à comparer avec celui du film de Mamoru Hosoda, Summer Wars : ce film montrait la différence entre les liens établis par la technologie, versatiles et incertains, et ceux établis par la famille, concrets et solides. Dans Dennô Coil, on montre plutôt que la technologie apporte avec elle son lot de responsabilités et que cela finit par séparer les personnes qui ne se comprennent plus, chacune étant dans son propre monde virtuel. En cela, Dennô Coil se situe volontiers dans la lignée d’un Lain, la métaphysique de comptoir en moins.
L’autre point à noter est la mise en avant des personnages jeunes, très jeunes même, et l’absence remarquable des adultes. Dans le même temps, la vieillesse est bien représentée avec le personnage de la grand-mère de Yasako, qui joue notamment un rôle prépondérant. Ce choix de mettre en scène la spontanéité et la franchise des jeunes enfants, en même temps que l’expérience et le bon sens des personnes âgées, le tout face à monde d’adultes intéressés et pétris d’idée préconçues, n’est pas anodin. Il rappelle bien sûr les thèmes récurrents du Maître Hayao Miyazaki et du studio Ghibli. Cette influence, volontairement affichée ou pas, se retrouve surtout au début où l’on ne peut s’empêcher de se rappeler quelque chose en voyant ce protagoniste féminin (Yasako), sa petite sœur espiègle (Kyôko) déménager pour un lieu inconnu rempli de créature étranges…. Non, vous ne voyez pas ? Et si je vous dis que dans l’épisode deux vous voyez à un moment le père des deux petites filles prendre un bain nu, ça ne vous revient pas ? Tss, retournez réviser vos classiques.
Vous aurez compris que la comparaison que je fais là est plus que flatteuse et exprime tout le bien que je pense des personnages de Dennô Coil. J’en dirai moins sur la musique car elle est ici assez anecdotique : je n’ai aimé ni l’opening ni l’ending, et même si la BGM est de qualité respectable, il n’y a pas de quoi grimper aux rideaux non plus.
Cette dernière métaphore peut s’appliquer d’ailleurs à l’ensemble de la série, que j’ai trouvée bien sympathique, intéressante sur de nombreux points, mais qui finit par partir dans une direction que j’ai regrettée au fur et à mesure du visionnage. Pour tout vous avouer les épisodes qui m’ont le plus plu son ceux du début, et aussi ceux vers le milieu où les personnages vivent des petites histoires avec les virus informatiques illégaux. Un poisson géant qui nage dans le ciel, un dinosaure au milieu de la ville, ou encore l’histoire de l’Humanité refaite avec des poils de barbe… Ces épisodes en particulier sont excellents, chargés en émotion et en propos. Ils sont représentatifs de ce que j’ai apprécié dans Dennô Coil : cet univers au potentiel infini qui joue avec notre perception de l’environnement, ces personnages attachants et son ambiance très habile, pas vraiment inquiétante mais pas du tout candide pour autant. Un bon anime de divertissement, à réserver pour les périodes de sécheresse. 7,5/10
Les plus
- Le concept de la RA, finement exploité
- Ambiance très particulière
- De très bonnes idées de mise en scène
Les moins
- Néant musical
- Trop "serious buisness" sur la fin.