Un an après le trucculent Baccano!, le studio Brains Base nous propose à nouveau un anime atypique mais dans un tout autre registre. Contrairement à ce que pourrait laisser penser le premier épisode, Kure-nai se pose ainsi en série d’inaction.
Cette série nous brosse un petit nombre de portraits, au premier rang desquels Shinkurô Kurenai (héros éponyme de la série) et Murasaki, qu’ils ont su rendre attachants sans qu’on sache trop expliquer comment. D’un côté, un adolescent à la double vie, un peu gauche et timide, assez amorphe même et pourtant, le récit n’a rien de soporifique et se suit sans peine ; de l’autre, une gamine qui du haut de ses 7 ans se pose tantôt en princesse habituée à être servie sur un plateau d’argent, tantôt en enfant perdue, mais à la grande force de caractère et dotée d’une maturité intéressante sans être aberrante, là encore, l’histoire est crédible et évite avec adresse tous les icebergs de la niaiserie, du trop plein de bons sentiments dégoulinants et des têtes-à-claques pleurnichards.
Le ton est clairement orienté « tranche de vie » (slice of life, comme on dit d’nos jours), il est même proche du huis clos puisqu’une part non négligeable de l’anime se déroule dans la résidence Samidare et tout particulièrement dans la chambre fruste qu’occupe Shinkurô. On a presqu’ici affaire à une scène de théâtre avec quelques décors et des acteurs hauts en couleurs et quasi exclusivement féminins (les voisines de Kurenai, Benika, Yayoi, …), mais sans la moindre dose de fan service et encore moins d’ecchi (les femmes ne sont pas des objets de désir ou de convoitise mais bien des personnes qui prennent en main leurs rôles).
A ce titre, la séquence où quelques personnages se rassemblent pour jouer des rôles devant un jury improvisé en chantant faux est une très agréable surprise et une fantaisie bienvenue de la part du studio. Bien sûr on ne regarde pas cet anime comme un polar, mais un peu comme on dégusterait un bon vin, la tête reposée, bercée par la douce musique jazzy du fond sonore. Cette ambiance rappelle d’ailleurs un peu Bartender je trouve avec une musique d’ambiance au piano de qualité (mis à part l’opening et l’ending qui ne cassent pas trois pattes à un canard unijambiste et se zappent allégrement).
Côté technique, là aussi, le studio a fait un travail plus qu’honorable : le chara-design est réussi (et rappelera celui de Red Garden, les deux animes ont d’ailleurs le même directeur et le même chara-designer), l’animation est fluide et le décor est soigné (tout particulièrement certaines peintures murales chez les Kuhôin, saissantes de réalisme et de soin du détail).
Enfin, un autre aspect original et intéressant de Kure-nai réside dans ses clins d’œil à la littérature classique japonaise. Je pense tout d’abord au Dit du Genji (Genji Monogatari) de Murasaki Shikibu, classique d’entre les classiques qui fête cette année son millénaire. Dans ce roman fleuve de l’époque Heian, un prince, le Genji, enlève notamment une jeune fille, Dame Murasaki (le personnage féminin le plus important du roman, à tel point que son auteur a été surnommée en son honneur), pour l’éduquer avant de finir par l'épouser. Dans l’anime, Murasaki (tiens, tiens) se fait kidnapper et est confiée à Shinkurô qui bon gré mal gré lui enseigne les us et coutumes du Japon contemporain, tandis que, vers la fin de la série, Murasaki déclare à Kurenai, moitié en rigolant, qu’elle veut épouser le jeune homme (ça par exemple, quelle coïncidence).
Certains détails peuvent également évoquer des haikus : notamment le fort impact des saisons (dans une règle édictée par Bashô, un bon haiku doit toujours avoir un mot de saison) au premier degré (un rude hiver, dirait Queneau), soit au second (Samidare, résidence où habite Kurenai, désigne la pluie de printemps, terme assez fréquent dans les haikus), soit au troisième avec le jeu des couleurs (du violet qui se dit Murasaki au rouge présent dans les noms de Kurenai et de Benika).
En résumé, sans être une série palpitante dont on s’enfile les épisodes sans pouvoir s’arrêter, Kure-nai dispose de nombreux atouts et cultive sa différence. Une pause valant bien un détour entre deux animes plus trépidants.