Arakawa fait partie de ces animes que j’ai essayé en vain de lâcher à chaque épisode. Puis, alors que je m’étais presque résolu, je jetais un regard autour de moi, et je lisais l’approbation publique et critique de l’anime répandue un peu partout. Alors, sans trop savoir pourquoi, j’avais honte, et je continuais à le regarder. Ca n’intéresse sans doute pas le lecteur, mais ce fût une âpre lutte interne qui passionnera assurément mon psychiatre en revanche.
Là, les plus perspicaces d’entre vous auront peut-être déjà une vague idée sur l’opinion que je peux avoir de cet anime. Si vous le voulez, vous pouvez carrément filer à la fin de cette critique, et gâcher tout le suspens. Si, allez-y je vous dis, si c’est ce que vous voulez, donnez-vous en à cœur joie…
Toujours là ? Je le savais. Donc, reprenons…
ARAKAWA : Under the bridge downtown, Is where I drew some blood, Yeah, Yeah… (Red Hot Chili Peppers)
Arakawa (A), c’est l’histoire d’une troupe de comédiens de l’absurde réfugiés sous un pont de Tôkyô (précisément, un pont qui enjambe l’Arakawa, le titre prend TOUT son sens). Et ça s’arrête-là. Autant le dire tout de suite, vous voilà prévenus. A va ainsi s’intéresser à dépeindre la vie de cette communauté fantasque, à travers le pont de vue du nouvel arrivé encore sain d’esprit, un jeune homme très riche sous le coup d’une dette d’honneur envers une vénusienne. Comme ce petit résumé laisse l’entendre, Arakawa mise donc tout sur l’absurde. A priori, rien de rédhibitoire, certes ça commence à dater un peu, mais on a bien tout un courant artistique majeur qui s’est attaché à mettre en scène l’absurde, il y a une petite cinquantaine d’années de cela. La prétention artistique de l’anime n’est donc pas, en tant que telle… absurde ? Arakawa cependant joue essentiellement sur le registre de l’humour, et plus précisément l’aspect délirant de ses personnages : de la vénusienne autoproclamée au kappa chef de village, en passant par un chanteur populaire à tête d’étoile ou une nonne-soldat travestie, les joyeux lurons de dessous le pont (ça rime !) ne manquent d’originalité. D’originalité, mais est-ce bien sûr, au fait ?
Une frange certaine de la critique –en général –d’Arakawa a loué l’atypisme de ses protagonistes comme une brise rafraichissante (ou un typhon de nouveauté, selon l’enthousiasme naturel et la propension à consommer des doses normalement léthale de caféine et autres exitants desdits critiques) dans le monde de la Japanime, gangrené par les tropes et autres archétypes. A cela, il faut quand même si ce n’est forcément opposer du moins ajouter une ou plusieurs choses. Alors oui, les personnages ne ressemblent à rien de ce qui a déjà été fait, mais d’un autre coté, il ne font rien d’autre que d’être ce à quoi ils ressemblent (oui, vous avez le droit de relire cette phrase plusieurs fois, caaalmement). Arakawa se borne, pendant treize épisode, à égrener les figures atypiques de la communauté : c’est le principal et même le seul comic relief de l’œuvre. Une sorte de croisement improbable entre les Caractères et la Cantatrice chauve, entre le Poussin et Murakami. Je suis parfaitement d’accord pour admettre l’influence délétère des clichés, mais on peut au moins trouver une excuses aux autres productions : il s’agit pour elles de raconter une histoire, c’est-à-dire de situer dans un cadre dynamique un certain nombre de rapports humains entre des personnages et leur évolution. On comprend donc que certains stéréotypes soient utiles afin de servir de moteur à l’action, de déclencher tel ou tel « truc » scénaristique. Dans Arakawa, qui est entièrement porté par l’absurde de ses personnages et des situations qui en sont dérivées, délivré de tout autre impératif, l’originalité des personnage apparait « un peu facile », puisque l’obstacle principal à l’originalité, qui est l’impératif de cohérence d’une histoire, a été, pour ainsi dire, escamoté. Personnages atypique donc, certes, mais au même titre qu’un élément de décor peut-être nouveau et intrigant, mais qu’il n’y a pas lieu de louer comme véritablement originaux.
D’autant plus que, pour être tout-à-fait honnêtes, certains concepts de personnages ne sont pas, en tant que tels, si nouveaux que ça. Le personnage de Sister, par exemple, c’est un mix entre deux stéréotypes de l’animation humoristique, le travestissement et la nonne-soldat.
It’s a repeat and it’s getting old. Throw away your television… (Red Hot Chili Peppers)
J’ergote sur les termes, me dit-on, mais au fond, qu’est-ce que je reproche à Arakawa dans les faits ? On peut d’abord se poser cette question qui vient assez naturellement aux lèvres quand on regarde un anime de ce type qui est : décrire un absurde complet et sans limite, est-ce que ça suffit à faire une œuvre ? Si chacun est libre de répondre, pour moi, ça ne suffit clairement pas. Déjà parce que c’est assez facile finalement, de faire une œuvre de l’absurde, s’il n’y a rien derrière, si on n’en attend rien d’autre que la transgression des conventions et le burlesque. On s’enferre dans un comique 260 fois répété (une fois par minute), qui finit par ne même plus surprendre. L’absurde surprend et interroge, à partir du moment où il se situe dans un cadre défini de règles et de conventions a minima. A partir du moment où cet impératif n’est plus pris en compte, l’absurde devient la règle, et il finit nécessairement par perdre son intérêt.
Mais, à admettre ceci, qu’est-ce qui fait qu’Arakawa ne serait que ça ? Il pourrait très bien posséder ce comique de l’absurde, mais proposer également une histoire ou une réflexion, n’est-ce-pas ?
Il pourrait en effet. On n’en finit pas de regretter qu’il n’y parvienne pas. Car bon, en fait d’histoire, j’ai bien réussi à distinguer une story line, par ci par là, mais c’est comme ces câbles d’alimentation qu’on doit dérouler en extérieur pour installer la sono du mariage : on finit par en perdre la trace très vite, et ça fait mal aux yeux d’essayer de les suivre parmi les branchages, à force. La prétendue histoire est en fait juste là pour justifier la fidélité du spectateur à chaque nouvel épisode, mais force est de constater qu’Arakawa est bien davantage une nature morte plutôt qu’une fresque. A l’inverse, on parlait d’originalité tout-à-l’ heure, certains anime sont au moins arrivé à concilier ces deux points tant bien que mal. On pensera par exemple à une petite production comme School Rumble, paru bien avant Arakawa, qui réussissait, au moins en partie, à conjuguer délire complet, progression dynamique, et relations humaines. On se demande encore comment une production prestigieuse comme Arakawa, parue bien après, a pu ignorer les enseignements de ses prédécesseurs quasi-directs ?
Et la réflexion alors ? Ça sera là encore un double non. Pas parce que je suis tiens à montrer que je suis deux fois plus frustré qu’à l’ordinaire, mais bien parce qu’on aurait pu avoir deux faux-espoirs différents. Tout d’abord, Arakawa aurait pu, de façon théorique, faire voir, à travers ses personnages insensés, toute l’universalité de la souffrance et de la complexité humaine face à l’épreuve de l’existence etc… comme la vraie littérature de l’absurde en somme. Mais, je l’avais déjà dit, Arakawa reste une œuvre de pur comic relief, et essayer de l’interpréter ainsi (j’avoue avoir été un instant tenté ;) ) revient à s’extasier avec Kushami sur la lettre de Kohei (la référence est à vos frais, non, mais, oh, je vais pas vous mâcher tout le travail). Enfin, pour être honnête, je ne connais pas un seul anime qui soit jamais parvenu à cet exploit artistique, alors je n’y croyais pas trop moi-même.
De façon plus raisonnable, on aurait pu voir dans Arakawa une réflexion, ce que beaucoup d’œuvres absurdes essaient de le faire en ce moment, sur la Japanimation en elle-même. Sur ses dérives –en matière de stéréotypes par exemple –et sur les nouvelles voies expérimentales qui s’offriraient à elle. Car bien sûr, Arakawa fait penser immédiatement (et j’ai tenu jusque-là avant de le mentionner : Trop-fort!) à une autre série, parue elle bien avant lui : Excel Saga, qui s’était voulue de « l’animation expérimentale » et qui, en tout cas d’après mes connaissances, avait été la première série à développer un univers complétement absurde, d’une façon très similaires à celle d’Arakawa (sauf que c’était davantage du comique situationnel que de l’absurde de personnages, mais ça reste très proche). Je ne suis pas bien certain de la valeur intrinsèque d’Excel Saga, mais au moins, elle a un avantage unique : elle a été la première à faire ce qu’elle a fait, et cette tendance a effectivement été adaptée par la suite (par ex. même dans un succès récent comme school rumble).
Mais alors, on ne comprend pas très bien la valeur d’un anime qui arrive sur la scène dix ans après la fin de la représentation, pour déclamer, presque au mot près, ce qui a été dit des années plutôt. On pourrait certes me dire « oui, mais devant un public différent ». Marketing, quand tu nous tiens…
Who the hell do you think I am? (Gurren Lagann… Oui, ok, je trouvais plus de musique qui allait avec)
Mais Arakawa peut receler une face de sa personnalité plus démoniaque encore, car Arakawa est un anime qui a indubitablement quelque chose de grandiloquent ou d’arrogant, ce qui peut devenir franchement horripilant (et c’est lui qui dit ça, me susurre-t-on perfidement à l’oreille). Bien sûr, c’est un problème d’interprétation, de ressenti personnel, et il se peut en effet que ce soit moi qui est la dent particulièrement dure, et, pour reprendre une métaphore caractéristique de l’âge d’or de la philosophie indienne, je prendrai une corde pour un serpent. Où, comme diraient plus pragmatiquement les innombrables avocats de la défense pénalistes « j’ai cru que c’était une arme qu’il sortait à la place de son portefeuille, le coup est parti tout seul ». Il n’empêche. Arakawa suinte une forme d’arrogance, en ce qu’il parait à plusieurs reprises vouloir se présenter comme un anime ayant un message, quelque chose de nettement plus profond à dire que toute la concurrence jusque-là. Explications.
Commençons par le pitch : pourquoi choisir des sdf (au sens strict) vivant sous un pont, et jeter parmi eux un jeune homme immensément riche, pur produit de l’élite japonaise ? Bien sûr, il y a là une volonté bien peu subtile d’insinuer, par exemple, que la série, au-delà de son aspect comique est une réflexion de fond sur, les conventions sociales, la fraternité qui peut se nouer dans une communauté qui s’est détachée des conventions étouffantes du Japon néolibéral contemporain. Je dis ça « par exemple » bien-sûr, c’est un pur hasard si c’est un point de vue que l’on retrouve souvent sous la plume de commentateurs enthousiastes de la série… Or, pour être honnête, une fois qu’on regarde la série, qui part dans un délire sans fin et sans fond, il est clair qu’elle ne laisse place à aucune réflexion. Toutefois, le cadre n’a pas été choisi de façon anodine (alors que, pour faire ce que fait la série, on aurait pu trouver n’importe quel cadre en fin de compte), et joue pour moi ce rôle d’affirmation prétentieuse censée attirer et leurrer le spectateur. Je m’acharne sur ce point précis du cadre qui peut sembler trivial, mais ce n’est qu’un élément objectivable de cette sensation confuse de prétention et de pompeux qu’on retrouve dans la série. Ce qui n’est pas un problème en soi (Gainax a bien admis que toutes leur productions avaient cette « arrogance indéfinissable »), mais quand on a en regard une série aussi vide, on a l’impression d’assister à une tentative, j’ose le mot, de publicité mensongère. Au moins, ni Excel Saga, ni school rumble, ni même Panty & Stocking with Garterbelt ne prétendaient être l’anime le plus profond du siècle, tous à leur manière, ils assumaient de n’être que des divertissements ou de purs délires créatifs et expérimentaux.
Did I forget to take my meds ? (Placebo)
Enfin, et c’est peut-être le plus terrible, Arakawa m’a fait mal à la tête. Et ça, c’est vraiment un argument massue (vous avez saisi le jeux de mot, hein, hein, hein ?)C’est peut-être parce que je suis un vieux aigri, mais j’ai un peu passé l’âge de regarder un anime mon verre d’aspirine à portée de main. La dernière fois que je faisais ça, c’était pour Excel Saga, ce qui ne rajeunit personne. Il est vrai que la Japanimation a cette fâcheuse tendance à se mettre à s’agiter en tous sens comme un taureau de rodéo shooté aux amphèts dès qu’elle essaie de devenir comique. Le rythme survolté et le comique forment un couple indéfectible, ce qui n’est pas forcément mauvais, mais peut devenir épuisant –surtout dans un anime qui en fait son seul ressort. Pourtant, Arakawa était bien parti. Quand j’ai vu le premier épisode, le rythme avait l’air plutôt calme, sérieux, mature, tout s’annonçait bien. A défaut de dire quelque chose de neuf, Arakawa aurait pu au moins le dire avec style : mais non, les scènes comiques se succèdent sans cesse jusqu’à la nausée, après 25 minutes à fixer le grand caléidoscope de l’absurde débridé et frénétique, tout fini par se brouiller, et notre esprit sombre dans les abysses de l’hébétement (au moins).
Pour continuer avec les arguments un peu boiteux –vous admirerez la gradation réthorique qui structure bien tout le bidule, quand même –j’ai aussi trouvé la musique un peu fade/fatiguante. Mais je n’ai pas non plus des souvenirs très précis de la chose, donc je m’arrêterais là. En revanche, les graphismes sont pas mal, je dirais presque que c’est le seul point satisfaisant de l’anime.
CONCLUSION : And I wonder… I wonder how, I wonder why… (Fool’s Garden)
On peut donc dire que, tout bien considéré, Arakawa est tout un anime qu’on ne comprend pas. Qu’est-ce que fait cet anime en 2010 pour reprendre en nettement moins bien ce qui a été fait bien des années avant lui ? A quoi sert-il tout court en fin de compte ? Parce que si c’est pour proposer un délire complet pendant 325 minutes sans autres intérêt que celui de délirer, on ne voit pas trop l’intérêt. Pourquoi cette arrogance qui suinte de chaque réplique, alors qu’on a simplement à faire à un concentré du pire des tendances actuelles en matière de comique ? Pourquoi un engouement critique et public ?Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? And I wonder, I wonder how, I wonder why…
PS: Et encore, il en on fait une deuxième saison... Le pire est peut-être devant nous. En tous cas, ne comptez plus sur moi pour aller vérifier.