Voici en avant-première mondiale le dernier film de Satoshi Kon, qui poursuit dans ses expérimentations visuelles, après le déroutant Paranoia Agent.
Paprika bénéficie de toutes les qualités déjà manifestées par l'auteur : très beau visuel, trouvailles dans la mise en scène et dans les séquences, montage expert qui entraîne le spectateur dans un labyrinthe mental, humour fin et ambiance à la fois onirique et étrange, où la folie ne se distingue plus de la santé mentale.
Les personnages sont globalement plaisants, surtout Atsu et son double Paprika, qu'elle utilise pour pénétrer dans les rêves des patients ; cela dit, ces personnages ne sont pas aussi fouillés que dans les oeuvres précédentes de Satoshi Kon, qui ne prend plus soin de bien camper la psychologie, tout du moins l'histoire de ses personnages, si bien que tout le film se transforme en une gigantesque course-poursuite (tout à fait comme Millenium Actress), sans pour autant prendre le temps de développer les enjeux, pourtant très intéressants (pas du tout comme Millenium Actress, donc). Cela évite à "Paprika" de sombrer dans la réflexion lourdaude et pédante d'un GITS 2, mais cela prive aussi le film d'une personnalité qui lui soit propre.
Par exemple, Millenium Actress suit la même trajectoire, la rapidité est la même, mais les personnages sont plus cohérents, plus riches dans leur histoire. Le commissaire pareillement ne vaut pas celui de "Paranoia Agent", qui avait 13 épisodes pour tout développer.
En fait, ce n'est pas un reproche que l'on peut adresser à Paprika, qui doit tout boucler en 90 mn, mais on n'y peut rien : l'ombre de "Paranoia Agent" plane sur le film, et l'on se prend à y trouver des thèmes parfois inédits (le rêve), parfois déjà magistralement exploités : sexualité, schyzophrénie, mégalomanie, chaos à l'échelle de la société, tout cela est déjà présent dans la série. Quant au trouble mental, "Perfect Blue" avait déjà abordé la question de façon angoissante mais bien plus détaillée.
Si seulement Paprika avait été une série tv, si Kon avait eu le temps de tout développer, on tiendrait probablement un nouveau chef-d'oeuvre, parce que cette exploration du rêve propose encore plus de possibilités visuelles que l'évocation de la maladie mentale, de l'obsession ou de la légende urbaine...
Mais Paprika est un film, et la rapidité de son déroulement l'ampute de beaucoup de ses charmes. On est d'ailleurs frappé -en effet- par la ressemblance entre ce film et "Akira" : kon a commencé comme assistant d'Otomo, la référence en forme de clin d'oeil paraît facile a saisir, notamment dans cette fin apocalyptique qui pastiche "Akira" et réécrit en quelque sorte l'épisode 13 de Paranoia Agent. Il est amusant aussi de voir qu'en fin de compte le film souffre des mêmes défauts que celui d'Otomo : trop grande rapidité, fin abrupte, raccourcis, permis par la mise en scène bien sûre, mais le visuel empiète trop sur le conceptuel, en fin de compte, et on a l'impression d'observer un travelling vertigineux de 90 mn, sans suivre d'histoire solide : le DC mini est un prétexte au tourbillon visuel, et une excuse pour ne pas faire de scénario solide. Ce n'est pas un tort, c'est un choix probablement conscient même, mais qui frustre le spectateur tout en l'émerveillant...
Une fois sorti de la salle, on se souvient de scènes époustouflantes, de tourbillons de couleurs, de parodies et pastiches (la tête de Nono, Son Goku, les affiches des trois précédents films de Kon, etc.), mais aucunement des personnages, soient évacués, morts avant même d'exister (l'assistant de notre génie), satellisés (le commissaire, qui tantôt disparaît totalement, tantôt occupe tout le film), ou inconnaissables (Atsu, omniprésente. Mais qu'a-t-on appris sur elle en fin de compte ?) : Atsu n'arrive pas à la cheville de Mina ou de Chiyoko de ce point de vue-là.
Un film génial en bien des points, mais qui fait un peu trop l'économie de certains aspects essentiels de l'art de la narration : ces aspects sont basiques, certains diront que s'en passer est la preuve d'une grande originalité, mais dans le cas présent, je répondrai simplement que ça ne marche pas.
C'est effectivement un très bon film, mais à mon sens, c'est vraiment un petit Kon...