« Le conte est un récit assez bref, de faits imaginaires ou prétendus tels, qui plonge le lecteur dans un univers déroutant, différent du monde réel. »
La définition du conte s’accorde aussi à définir ce film, aussi étrange que fascinant, dans lequel on s’abandonne, malmené par une narration erratique, et par un monde où l’on ne reconnaît ni les codes, ni les peurs, ni les joies.
Nombreux sont ceux gardant en mémoire l’esprit léger, simple et enfantin des films de Hayao Miyazaki. On se rappelle de la saisissante fantaisie proposée par Le Voyage de Chihiro, de l’action et de l’humour de Porco Rosso, tout comme de la poésie écolo de Princesse Mononoké. Avec Gedo Senki, on se rappellera de la souffrance palpable des protagonistes, de cet univers si dérangeant, car si différent, et de l’absence totale de repères pour le spectateur. Goro Miyazaki nous abandonne dans un monde trop éloigné du notre pour que nous puissions le considérer. Ainsi, au fur et à mesure du film, on lutte contre ce gène omniprésent, on cherche à comprendre cet univers, ainsi que ses personnages. Baignés de douleurs, les contes de Terremer, à l’image d’Allen, le protagoniste, nous livrent à nous-mêmes, et ne nous laissent d’autres choix que d’errer en quête d’un épilogue structurant, compréhensible, rassurant. Cet épilogue arrive d’ailleurs bien étrangement, comme en réponse à notre désir, signe d’une maîtrise totale de l’œuvre. Miyazaki sait ce qu’il est parvenu à créer, et règle son film sur du papier millimétré.
Le scénario à proprement parler n’est qu’un prétexte pour mettre en avant une symbolique marquée, qui est en fait le centre du film. On retrouve la très (trop ?) connue lutte entre le bien et le mal, le combat intérieur, contre soi-même, le fait de s’aimer et de se connaître, et toute une série d’éléments un peu clichés, mais traités avec énormément de finesse, ce qui rend l’ensemble agréable.
On retrouve toujours, Ghibli oblige, l’impression de domination de la nature, qui reprend ce qui lui appartient, dévorant les constructions humaines.
L’aspect scénaristique du film est clairement déroutant. Mettant en avant une obscurité nouvelle pour un Ghibli, Gedo Senki perturbe, met mal à l’aise, choque afin de rendre son message plus fort qu’il n’aurait jamais pu l’être autrement. Au final, on sort troublé de ce film, incapable de l’appréhender dans son ensemble, tout juste à même d’assimiler certains passages forts, emplis d’une symbolique chargée d’allégresse.
Evidemment, ce film est beau.
Après un Origine et un Brave Story marquants l’arrivée de Gonzo sur le marché du long métrage, Gedo Senki prouve une énième fois l’impressionnant savoir-faire du Studio Ghibli. Que ce soit le père ou le fils, les Miyazaki savent décidemment conduire leur équipe vers des résultats stupéfiants. Les couleurs sont splendides ; chaque plan mérite que l’on s’y attarde, tant les détails fourmillent, et tant la recherche de l’esthétique est importante.
Le character-design est aussi simple que les décors sont complexes. L’architecture des bâtiments est saisissante ; ils s’imposent comme des gigantesques monuments ayant traversés les âges, symboles d’une gloire éphémère face à la nature, qui les dévore à petit feu.
L’intégration de la 3D atteint des sommets de perfection avec ce film. L’animation est rapide, sans faille, et parfois jouissive dans sa précision et son élégance.
On ne peut le nier, Gedo Senki bénéficie d’une réalisation tout simplement exceptionnelle, qui nous gratifie à chaque instant de décors somptueux, d’un réalisme perturbant, accentuant ce sentiment de malaise, cette antinomie entre l’absence de liens avec notre réalité sur le fond, et ce que l’on reconnaît comme humain sur la forme. Tout est conçu afin de perturber le spectateur, pour le forcer à lâcher prise avec le pragmatisme rébarbatif de notre réalité physique et métaphysique, pour enfin accepter ce voyage dans cet étrange univers.
Les musiques sont tout simplement splendides. Bien loin des compositions agréablement puériles de Joe Hisaishi, nous baignons là aussi dans un mélange musical perturbant, alliant sonorités orientales et occidentales, pour au final parvenir à un genre hybride, dernier pallier à franchir nous permettant de perdre nos repères et de nous abandonner à Gedo Senki. Le travail des doubleurs, comme toujours, est excellent. Les Voice-actors s’accordent bien à leurs personnages, même si au final, leurs personnalités ne sont que peu travaillés, pour laisser place à leurs sentiments, à une forme de combat intérieur entre notre haine et notre amour. C’est en cela que les personnages ce caractérisent plus qu’en leurs actes ou leurs caractères.
Au final, Gedo Senki est un film extrêmement déroutant, à des milliards d’années des ambiances auxquelles Ghibli nous avait habitué. Cela dit, le film n’en est pas pour autant un échec ; au contraire. Il intrigue, et même fascine par son originalité, et par le ressentit très prononcé qu’il laisse. Un film unique, qui ne fera certainement pas l’unanimité, mais qui est parvenu à m’éblouir.