Puelli Magi Madoka Magica : Objection !
Lundi 25 avril, 04:18
Le Juge – Je déclare la séance ouverte. Nous sommes ici pour le procès de la série Puelli Magi Madoka Magica, aussi connue sous le nom de Mahô Shôjo Madoka Magica. Accusée, veuillez-vous lever. Votre nom est bien Madoka Kaname, quatorze ans ?
Madoka – Euh... Euh... O-Oui...
Le Juge – Vous êtes l'héroïne d'une série télévisée d'animation réalisée par le studio Shaft, diffusée au Japon entre janvier et avril 2011 ?
Madoka – Euh... Oui....
Le Juge – Et c'est bien Maître Deluxe ici présent qui sera chargé de vous représenter ?
Madoka – Euh... Ben... Je crois...
Le Juge – Commençons donc sans plus tarder l'examen des faits. Mlle Madoka, la série dont vous êtes l'héroïne est issu d'un projet original issu de la collaboration entre le réalisateur A. Shimbo, l'auteur G. Urobochi et la compositrice Y. Kajiura. Est-ce exact ?
Madoka – Euh... Oui...
Le Juge – Vous êtes l'héroïne d'une série de magical-girl de douze épisodes, qui suite au succès de la version télé fera l'objet de déclinaison en manga et en roman ?
Madoka – Euh...Oui...
Le Juge – j'ai reçu de la part de la Défense le pitch de l'histoire de cette série. « Madoka Kaname est une jeune fille de quatorze ans qui ne sait pas vraiment quoi faire de sa vie. Elle fait alors la rencontre d'une créature étrange, Kyubey, qui l'a appelée dans son rêve. Il lui explique qu'il a le pouvoir d'exaucer son vœu, et qu'en échange il la transformera en Puelli Magi, une magical-girl vouée à défendre la ville contre les Witches, des monstres qui terrifient les habitants de Mitakihara à leur insu ». Est-ce exact ?
Madoka – Euh...Oui...
Le Juge – « Madoka ne parvient pas à se décider, et la suite va se poser la question de savoir si Madoka va accepter le contrat. Elle va côtoyer d’autres Puelli Magi qui se battent pour des objectifs divers : Sayaka Miki, Tomoe Mami, Kyôkô Sakura, et Homura Akemi… Par la suite, tout ce beau monde va comprendre que le contrat initial avec Kyubey comprenait quelques clauses cachées. ». Accusée, sommes-nous d’accord avec ce pitch ? Quelque chose à ajouter avant que nous passions aux plaidoiries ?
Madoka – Euh... C’est bon… Je crois…
Le Juge – Le principe de non-spoil nous interdit de gâcher l’histoire ou de révéler des éléments importants de l’intrigue. La Cour se réserve la possibilité de chercher sur le Net, en commençant sur le topic de la série sur AK, des articles d’interprétation et des débats sur les éléments de détail du scénario. Nous allons donc pouvoir passer aux débats. La Défense commencera sa plaidoirie puis le Ministère Public son réquisitoire. La Défense aura alors quelques minutes pour conclure. Maître Deluxe, je vous laisse la parole.
La Défense - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres de la Cour, j’aimerais tout d’abord vous rappeler pourquoi nous sommes réunis ici. Comme vous l’avez vu, ma cliente ici présent n’a vraiment rien d’une criminelle, bien au contraire. Une jeune fille innocente, héroïne d’une série que personne n’attendait vraiment. Et maintenant la voilà attaquée de partout, souillée, salie ! Faisant l’objet d’un buzz majeur de ce début de 2011 ! J’aimerais donc, en introduction, apaiser les esprits. Le bon critique sait séparer l’œuvre du bruit qu’elle fait. La popularité (par essence éphémère) de Madoka n’entrera pas en ligne de compte.
En premier lieu, il faut faire mention des considérations de classifications sur lesquelles Madoka s’est trouvée attaquée. Oui, le titre de la série contient « Mahô Shôjô », ce qui signifie littéralement « Magical-girl ». Oui, l’univers de Madoka reprend certains codes de ce type de série, telles que les personnages exclusivement féminins, les transformations, ou la mascotte kawaii – Kyubey. Oui, la série adopte un ton sombre et un propos cruel qui dénote avec l’habitude que l’on a du genre. Mais cela constitue-t-il un quelconque argument significatif ? Je pense que non. On a conspué ma cliente sur le grief qu’elle tentait de révolutionner le genre magical-girl. Mais dire cela c’est déjà prêter des intentions à ses auteurs. Cette prétendue volonté d’innover transparaît-elle dans la série ? Non. Cette prétendue volonté d’innover peut-elle donc être prouvée ? Non. J’aimerais que l’on ne se trompe pas de procès. Nous jugeons Madoka. Nous ne jugeons pas les fantasmes que les commentateurs ont établis sur le réalisateur. Ainsi, le fait de savoir si Madoka entre dans telle ou telle catégorie d’animes ne nous concernera pas.
Ensuite, j’attire l’attention de la Cour sur la qualité technique de la série. Je parle bien de technique et non de direction artistique. Oh, je peux comprendre que ces décors chargés, cette symbolique outrancière, ce design globalement sophistiqué peut rebuter. Je peux comprendre que cette mise en scène complexe, tout en zoom, en gros plan, en transitions douteuses, peut soûler le spectateur. Mais cela ne peut entacher le fait que, techniquement parlant, la série n’a pas à rougir d’être une des plus belles de son époque. L’animation est soutenue et on prend littéralement son pied lors des nombreux combats. Les effets numériques sont très présents mais se cantonnent aux décors et à certains ennemis. Ca court, ça vole, ça bouge de partout, il y a quelque chose à regarder. On ne pourra pas attaquer ma cliente sur ce point-là.
Ceci dit, en termes de style, force est de reconnaître que Madoka a des atouts à faire valoir. L’histoire se déroule entre le monde réel et les espaces dimensionnels créés par les Witches. Le premier décor est du style urbain futuriste très réussi et détaillé. Le monde des Witches est un bon gros délire ostentatoire, absurde et incohérent. Le meilleur adjectif pour le qualifier est « baroque », car il est bizarre et cherche à le montrer. Les ennemis sont représentés sous forme de collages, et il est assez stupéfiant de constater comme le studio a réussi à les intégrer avec l’animation classique. Ce style n’a pas, comme essayera de vous le faire croire le Ministère Public, une intention uniquement provocatrice ; du moins ce n’est pas la seule interprétation possible. Il peut avoir pour objet d’insister sur la détresse émotionnelle des personnages, ce qui le cœur du propos de la série. L’aspect grandiloquent du style s’accorde bien avec l’histoire qui elle-même part sur un plan métaphysique en avançant.
En ce qui concerne l’histoire justement, on notera que Madoka est bien raconté. Le début est lent et assez niais, mais la montée en puissa,ce qui s’en suit, notamment suite au coup de théâtre déclencheur de l’épisode 03, n’en est que plus significative. Le cadre restreint du début s’ouvre vers des enjeux intergalactiques, au sens propre du terme (à partir notamment des épisodes 08-09) pour finir sur un plan carrément conceptuel dans les deux derniers épisodes. Le propos de la série n’a rien de particulièrement intelligent ou pertinent, mais on saura gré à Madoka d’avoir créé un univers à part entière qui, en son sein et selon ses règles internes, se tient de bout en bout.
Je conclurai en regardant une nouvelle fois ma cliente, et me demandant ce que, sincèrement, on peut lui reprocher. Vous savez tout comme moi que ceux qui regardent beaucoup d’animes ne prennent pas le temps de faire le tri dans ce qu’ils regardent, pris par leur frénésie compulsive de consommation aveugle. Et lorsque l’on a droit à du divertissement soigné, beau à voir comme à entendre, jouissif à suivre, pourquoi faire la fine bouche ? Pour faire le malin et faire un pied de nez aux fanboys – dont l’excès dans l’éloge est tout aussi condamnable ? Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons de la justice. C’est pour cela, monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres de la Cour, je pense qu’un 8/10 serait on ne peut plus approprié pour remercier ma cliente de ces agréables heures de japanime passées en sa compagnie.
Le Juge – Merci pour cet exposé, maître. Est-ce que l’accusée à quelque chose à rajouter ?
Madoka – Euh… Et bien… Non…
Le Juge – Sans transition, nous allons entendre le réquisitoire de maître Exuled. Maître, veuillez éclairer la Cour sur l’avis du Ministère Public dans cette affaire.
Le Ministère Public – Les faits sont limpides, votre Honneur. Qu’avons-nous là ? Une série dont le succès a alimenté le troll numérique durant des mois, et qui a suscité un soi-disant engouement de la part des commentateurs. S’il vous plaît, ne nous laissons pas berner par ces litres d’encre numérique coulées à torts et à travers ; voyons les choses en face. Ne nous laissons pas aveugler par la poudre aux yeux que Shaft nous a jetés à la figure. Ne nous laissons pas assourdir par les beuglements primaires de leurs fans. Prenons les choses calmement et dans un souci de justice.
Voyons déjà ce que l’emballage nous informe. Je lis « Mahô Shôjo Madoka Magica» sur la boîte, et il est vrai que l’on retrouvera certains éléments propres au style magical-girl dans cette série. Mon confrère en a énoncé certains ; je ne reviendrai pas dessus. Cependant, j’attire votre attention sur la première tromperie à laquelle nous sommes confrontés : le titre parle de Madoka comme Puelli Magi mais elle ne l’est pas tout de suite ! Je dirais même qu’il faut attendre pas mal de temps pour la voir ! Pendant ce temps, le générique de début ne cesse de vous teaser ! Il me semble que c’est assez révélateur de l’esprit dans lequel on a confectionné ce produit : on vend quelque chose, on ouvre des pistes, mais on ne peut se départir, en tout et pour tout, d’un lancinant sentiment de vide.
C’est tout à fait ainsi que l’on qualifiera la réalisation. Oui, on sent la qualité technique, ou plutôt devrais-je dire, on sent qu’il y a de l’argent là-dessous. C’est bien beau de fanfaronner avec ses plus beaux atours, mais cela suffit-il à produire quelque chose de viable ? Le moindre blockbuster AAA mérite-t-il d’être adulé ? J’aurais plutôt tendance à attendre de voir ce qui est proposé.
C’est ainsi que je me penche sur la direction artistique de la série. Franchement, soyons sérieux… Est-ce en mettant quelques décors en 3D et des gribouillages d’enfants en guise d’ennemis que l’on va parler de « style » ? Un style, c’est un ensemble d’éléments qui entre en résonnance pour former un tout cohérent et particulier à l’œuvre. Ici, il n’y a justement pas de tout cohérent : juste une apposition aléatoire et discordante d’objets sans rapport logique. Cela est ici gênant en ce que cela bloque le mécanisme d’identification qui aurait pu nous impliquer : pourquoi, par exemple, poser le cadre de la série dans un univers futuriste ? Quel est l’intérêt ? De même, pourquoi ces gros plans permanents et ces ralentis injustifiés ? Pour faire genre ? Je pourrais multiplier les exemples, pour bien montrer comme Madoka n’a aucun style, mais berne son monde par une réalisation dopée au fric et une mise en scène tarabiscotée.
Et puis sans vouloir être désobligeant, mademoiselle, je suis obligé en vous regardant de constater que votre chara-design et pour le moins quelconque, ce qui est un euphémisme pour dire que les têtes en forme de ballons de rugby, très peu pour moi. Intéressant de voir que le design des personnages, autrement dit la chose la plus importante de la japanimation moderne, est ici la chose la plus négligée.
Négligée, c’est aussi comme cela que je présenterais l’histoire de Madoka. Comme mon confrère l’a mentionné dans sa brillante plaidoirie, Madoka met en place un univers bien à lui, régi par des règles propres. Seulement ces règles ne nous sont présentées que progressivement, et partiellement. Je n’irais pas jusqu’à dire que l’histoire de Madoka est incohérente, mais j’affirme qu’il est difficile de bien saisir les enjeux sans une exégèse du scénario, ce qui est quand même regrettable pour une série de « divertissement », pour reprendre les mots de le Défense. Les deux derniers épisodes notamment sont d’une opacité remarquable, tant et si bien qu’un second visionnage ou la lecture d’articles spéculatifs sur la Toile s’avèrent nécessaires pour comprendre leur propos.
A quoi peut-on imputer cela ? Je ne jouerais pas la facilité en critiquant dans le dos les réalisateurs de la série. Mais je pense que Madoka se trouve un peu à l’étroit dans ces douze épisodes. Comme l’a montré la jurisprudence récente (affaire Fractale), le fait qu’il y ait moins de temps à disposition ne force pas les séries à aller vers l’essentiel, bien au contraire. Dans Madoka, les évènements s’enchaînent à une telle vitesse qu’il devient difficile de s’attacher aux personnages – en plus de ce que j’ai mentionné précédemment, à savoir la direction artistique décalée, la mise en scène labyrinthique, le chara-design rebutant et l’univers brumeux. J’ai cru comprendre que pour palier à ce défaut évident, le studio a imaginé la possibilité de produire une série spin-off de Madoka qui se chargerait d’exploiter les personnages, ce qui n’a été que trop peu fait dans la série. Une preuve de plus que l’ambition de Madoka se limite simplement à fournir du grain à moudre à un certain public pas trop regardant ; si ça marche, on en refait, sinon, tant pis. Est-ce là la japanimation que vous voulez ? Une suite de plats aussitôt consommés aussitôt oubliés, dont la recette très peu diététique a le seul mérite de remplir le ventre et l’esprit un court moment ?
Voyez-vous, je ne suis nullement vindicatif et je ne cherche pas à punir la série de son relatif succès. Cependant, il vaut mieux nuancer tout de suite les enthousiasmes précoces et irrationnels, pour éviter la déception future. J’ai en effet peur que se répète le cas de séries telles que SHNY : il existe autant d’articles de doctrine pour encenser cette série, que d’articles pour la démonter, sans compter le nombre d’articles dédiés simplement à expliquer en quoi la série ne mérite pas son buzz. Beaucoup d’esprits employés pour rien et qui nous occultent les vrais sujets. C’est pareil ici : l’esprit critique est embrouillé par des interférences extérieures. C’est en cela, monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres de la Cour, que la note de 6/10, agréablement située dans la moyenne, me semble la plus juste au regard de l’ensemble des faits. Je vous remercie de votre attention.
Le Juge – C’est moi qui vous remercie, maître. Je demande à la Défense de s’avancer pour conclure.
La Défense – L’argumentaire que nous venons d’entendre de la part de mon brillant confrère le Procureur contient, je le concède, une part de vrai. Oui, il est vrai que les ambitions de Madoka ont été grossies. Il est vrai que les commentateurs, toujours dans l’actualité et souvent dans le spéculatif, en oublient parfois un certain recul. Oui, il est vrai que dans quelques semaines, quelques mois, quelques années, nous-mêmes et nos successeurs regarderont de haut ce procès. Ils se demanderont pourquoi avoir traîné cette jeune fille dans cette salle d’audience, pourquoi s’être battus à coups de rhétoriques sur un sujet aussi futile que la réalisation d’une série que l’aura oubliée d’ici-là.
Et c’est à ce moment-là que l’on se rendra compte que Madoka fait partie de cette catégorie de séries sur lesquelles, et c’est finalement assez rare, il y a eu quelque chose à dire. Parce que je ne sais pas pour vous, monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres de la Cour, monsieur le Procureur, et vous qui me lisez, mais j’ai aimé Madoka parce que je savais que cette série ne me laissait pas indifférent. En bien ou en mal. A l’heure où l’on se désensibilise de tout, ou chacun est plus blasé que son voisin, c’est un moindre mal.
Le Juge – Maintenant que les deux parties ont pu s’exprimer, et avant que la Cour ne se retire pour les délibérations, la défenderesse a-t-elle quelque chose à rajouter ?
Madoka – Euh… Vous savez… c’est pas la peine de parler autant sur moi… Je ne suis qu’une héroïne de dessin animé…
Le Juge – Nous en sommes conscients, mademoiselle. Mais voyez-vous, cette Cour, votre avocat et moi-même n’avons rien de mieux à faire de notre vie à quatre heures du matin. L’audience est suspendue.
…
…
…
Le Juge – Nous allons rendre notre verdict concernant la série Mahô Shôjô Madoka Magica. Accusée, levez-vous. Après étude des différents chefs d’accusations, des pièces à conviction apportées par les parties, de l’audition des témoins et notamment de cet espèce de chat blanc aux yeux rouges et à la langue bien pendue, la Cour ; estime que la série est de très haute qualité technique et que cet élément seul suffit à en justifier l’intérêt ; que l’histoire dramatique et cruelle tient en haleine le spectateur, d’autant que la série ne lésine pas sur les coup de théâtres et rebondissements de tous ordres qui intensifient le rythme en crescendo ; que le style artistique agressif donne un cachet particulier à l’ensemble, qui peut s’avérer plaisant pour certains et maladroit pour d’autres ; que le propos de la série est alourdi par la densité de l’univers, qui aurait mérité meilleur traitement ; que le rythme effréné oblige le spectateur à une certaine gymnastique mentale qui contredit le projet d’une série qui se voudrait simplement divertissante ; qu’en cela la série a le cul entre deux chaises, mais que sa réalisation et sa musique sauvent le tout ; qu’elle mérite d’être vue parce qu’il n’y avait décidément rien de bien croustillant à se mettre d’autre sous la dent au début de 2011. La série est sanctionnée d’un 7,5/10 dont un demi-point avec sursis. L’audience est levée.
*coup de marteau*
Les plus
- Le magical-girl revisité
- Direction artistique et réalisation géniale
- Histoire ambitieuse...
Le moins
- ... Peut-être un peu trop
- Univers brouillon