Alors que que la Gainax s'apprête à relancer le "mythe Evangelion" avec la sortie prochaine des épisodes "Rebuild", il apparaît nécessaire de s'interroger sur les éléments qui ont fait d'une série animée de 26 épisodes (et 2 films) l'objet d'une véritable passion, au point que 11 ans après, les discussions se poursuivent entre ceux qui la vénèrent et ceux qui la considèrent commme une vaste supercherie. Culte est l'adjectif qui revient le plus souvent dans la bouche de ses fans, Incompréhensible est celui brandi par ses détracteurs.
Alors qui croire ?
Une tentation naturelle serait de dire, les deux.
Neon Genesis Evangelion est un anime extrêmement efficace, au design et à l'animation magnifiques pour l'époque (les Eva sont de toutes beautés et à mille lieux des canons du genre mecha), portée par une bande-son extraordinaire (n'hésitant pas à faire appel à la musique classique) et qui propose une réflexion philosophique poussée.
Neon Genesis Evangelion est un micmac philosophico-religieux, porté par un héros aussi apathique qu'une paramécie, cultivant l'ennui et qui se termine par deux épisodes finaux absolument incompréhensibles qui n'apportent aucune réponse aux questions posées (D'où viennent les anges ? Que cherchent-t-il dans Tokyo 3 ? Qu'est-ce que le plan de complémentarité de l'homme ? etc.).
Cette tentation de couper la poire en deux, je la refuse et voici pourquoi :
Quiconque regarde la série pour la première fois en ressort extrêmement frustré. Une réaction naturelle au vu des derniers épisodes. Cette frustration peut vous conduire vers deux attitudes.
Le rejet, constistant à crier à l'arnaque, au baclâge, à la manipulation du spectateur.
Ou la curiosité, consistant à revoir la série depuis le début, à se procurer les films, à s'ouvrir à ce que l'on regarde.
Est-il bien utile de préciser que la bonne attitude à adopter est la deuxième ?
Car il est certain qu'Evangelion est une série qui se prête à la relecture. Alors qu'au début de la série le scénario fait penser à un classique schéma de Monstres/Mechas qui se battent pour protéger la Terre, la deuxième partie semble accorder de moins en moins d'importance aux "Anges" qui n'apparaissent généralement qu'en toute fin d'épisode. Mais alors que voit-on ? Ceux qui ont fait l'effort de suivre y ont vu des vieillards obsédés par leur propre mort, des hommes manipulateurs, des femmes amoureuses, des femmes jalouses, des adolescents découvrant leur sexualité et tentant de construire leur propre monde dans celui des adultes. En un mot, les hommes. Un sujet simple mais universel. En tant que spectateur, nous sommes interpellés, secoués, bouleversés devant ceux qui nous ressemblent plus que nous ne voudrions l'admettre. Oui Shinji est lâche, mais qui ne l'a jamais été ? Qui n'a jamais refusé de fuir ses responsabilités, de s'engager, de prendre la bonne décision ? Qui n'a jamais suivi le troupeau plutôt que chercher sa propre voie ? Qui n'a jamais ressenti la solitude ? La bête qui crie moi au centre du monde, c'est Shinji, mais c'est aussi le spectateur qui est ici amené à redécouvrir ce qui définit son existence.
Certains ont trouvé étrange de livrer ce genre de réflexion au sein d'une série qui semblait "grand public" et après avoir alléché le spectateur grâce à des combats de robots géants et plusieurs héroïnes sexys. De même, on villipende régulièrement le traitement à l'américaine de l'après série, à base de goodies, de figurines, etc qui ont envahi les magasins spécialisés avant même le dernier des 26 épisodes. Mais peut-on réellement, au XXIème siècle, reprocher à un artiste de chercher à s'assurer un certain niveau de vie à travers le marchandage de son oeuvre ? D'autant que ce merchandising continue de contribuer en grande partie à la diffusion de cette même oeuvre à travers le monde. Qui n'a jamais croisé le regard triste de Rei Ayanami à travers une vitrine ou en tournant la page d'un magasine ?
De même, on villipende parfois Anno pour avoir repris certains mythes de l'Ancien Testament et de la Caballe et de les avoir mixé en sa propre soupe symbolique destinée à attirer le spectateur japonais féru de légendes occidentales. Mais il faudrait alors critiquer Léonard de Vinci pour avoir peint le Cène, Verdi pour avoir composer Nabuchodonosor, Hugo pour avoir écrit la Légende des Siècles. De tout temps, les artistes ont puisé dans les mythes de leur époque afin de livrer leur propre réflexion, se servant de la puissance des représentations religieuses (qu'il ne faudrait pas sous-estimer) comme vecteur de leur Art.
En allant jusqu'au bout de sa démarche, Anno a refusé la possibilité de n'apprécier sa série que comme un simple divertissement. "En élaborant un sublime mais élitiste Neon Genesis Evangelion, où l’expérience psychique, collective mais aussi individuelle, empiète sur tout le reste au détriment de nombreux spectateurs mais pour la plus grande victoire de l’art"(1). L'oeuvre d'Anno aura en tout cas modifié profondément la vision que l'on se faisait de l'animation, ce qui en soi est déjà la marque d'un chef-d'oeuvre.
A ceux qui n'ont pas su l'apprécier, je me permets de donner ce conseil : accordez une seconde chance à Neon Genesis Evangelion. Vous ne le regretterez pas.
Citations :
(1) Animeka, dosssier sur les mystérieuses cités d'or, par Ryoga