Un thriller dynamique et profond

PA Works est un studio japonais fondé en 2000 qui s'est consacré pendant huit ans à collaborer avec d'autres studios, notamment avec Bones pour Eureka Seven ou Production IG pour Ghost in the Shell SAC. Ayant accumulé au fil des ans suffisamment de bagage et d'expertise, PA Works propose en 2008 son tout premier projet qu'il créera lui-même : True Tears.
Cet anime tranche de vie/romance proposait un regard différent sur le genre, en représentant son histoire par le biais d'un livre pour enfant écrit par le personnage principal et des lubies d'une héroïne loufoque et fantasque, le tout agrémentée de magnifiques couleurs aquarelles et d'une sincérité touchante.

True Tears est selon moi un des meilleurs animes de romance que j'ai eu l'occasion de voir et révélait le potentiel de PA Works en pleine lumière.
Un an plus tard, PA Works propose une nouvelle création dans un style totalement différent, inspiré de loin par un visual-novel de Type-Moon (428: Fūsa Sareta Shibuya de). Un thriller Tarantinesque plutôt violent et sombre, mêlé d'une bonne dose de symbolisme et d'un rapprochement marquant à notre société. Ainsi, Canaan voit le jour sous la plume de Mari Okada (DT Eightron, Fate/Stay Night) et réalisé par Masahiro Ando qui avait travaillé sur un grand nombre d'animes à succès de Bones notamment (FMA, Wolf's Rain, Eureka Seven, RahXephon). Canaan est d'ailleurs son second essai en tant que réalisateur et il réalisera ensuite l'excellent Zetsuen No Tempest de Bones.

L'anime s'ouvre sur un générique dynamique et accrocheur dans lequel on voit Canaan distribuer des balles comme des bonbons, avec une caméra qui tourne autour d'elle. Puis vient le premier épisode au symbolisme très marqué dans un carnaval chinois qui se conclut sur une fusillade sur les toits de la ville, au milieu d'une foule qui ne semble pas réaliser la réalité qu'ils ont devant les yeux et préfère s'amuser comme si rien ne s'était passé. Le tout accompagné par une réalisation graphique irréprochable. Dynamique, fluide, remplie de couleurs agréable, agrémentée de musiques symphoniques accompagnant l'action dans les moindres détails. Et au grand bonheur du spectateur, ce rythme à couper le souffle durera tout au long de l'anime, jonglant astucieusement entre faux-calme presque angoissant et action trépidante.

J'ai parlé plus haut de thriller Tarantinesque car cet anime est presque construit comme un film de Tarantino. Des personnages charismatiques, des mises en scènes iconiques, l'alternance entre moments calmes et actions époustouflantes, fusillades, répliques cinglantes et déconstruction puis reconstruction de fragments d'un puzzle dans le but de perdre le spectateur en le noyant de questions afin de lui servir des réponses au compte-goutte jusqu'au dénouement final sous la forme d'une confrontation puissante entre nos deux antagonistes similairement opposés. On peut regretter toutefois que certains éléments restent parfois sans réponse, probablement du au format malheureusement trop court de 13 épisodes.
Ainsi, Canaan bénéficie d'une construction narrative étonnamment réussie.

En ce qui concerne les personnages qui bénéficient d'un chara-design plutôt agréable parfaitement associés à leurs personnalités, ils sont approfondis, iconiques et certains sont d'ailleurs très attachants (comme le journaliste ou le chauffeur de taxi).
Canaan, personnage principal de l'anime, est une tueuse à gage dotée de pouvoirs surhumains : elle dispose d'une sorte de sixième sens, associant chaque personne qui l'entoure à une couleur représentant une posture différente (menace, peur, gentillesse...). Formée au combat depuis son enfance, elle alterne entre une naïveté enfantine et une froideur implacable quand il s'agit de se battre.
Son alter-ego, Alphard, est une terroriste qui semble avoir un passé commun avec Canaan, dispose d'aptitudes similaire au combat et représente une boule de haine froide et redoutable qui ne connait la pitié. Sa sœur, psychotique et sadique, se laisse guider par ses impulsions tandis qu'Alphard reste souvent de marbre et réfléchit posément.
Maria est la seule amie de Canaan. Apprentie journaliste, fille d'un médecin très influent, elle représente l'innocence avec son lot de naïveté et de gentillesse. Elle ne voit en Canaan que sa part enfantine et préfère ignorer le reste.
Minoru est le tuteur de Maria. Journaliste en recherche de scoop, il se mêle petit à petit à l'histoire dans le but d'en démêler les moindres ficelles afin de faire le reportage qui le rendra célèbre.

Outre le travail magistral apporté à la forme et aux personnage, Canaan est loin d'être dépourvu de fond et plusieurs thèmes derrières l'histoire se dégagent et sont détaillés avec doigté.

Le thème du complot dans un premier temps. On découvre progressivement un lien qui se tisse comme une toile d'araignée entre les différentes factions qui entrent en jeu. Le journalisme d'investigation en quête de vérité, représenté par le personnage de Minoru, la coalition mondiale représentée par le gouvernement américain et son jeu politique avec les instances chinoises (lieu principal de l'action), le terrorisme représenté par Alphard et sa sœur, puis la face cachée du monde représentée par Canaan et son employeur. Plus on avance dans l'intrigue, plus on se demande qui tire les ficelles tellement les événements sont imbriqués les uns derrières les autres, jusqu'à la révélation vers la fin de la série, qui risque d'en surprendre plus d'un. On sent que la position de chaque faction est obscure et de nombreux faits de société y sont évoqués. Terrorisme, guerre bactériologique, trafic d'armes, trafic d'influence, coalitions illicites, le tout étant dosé avec subtilité.

Ensuite, un autre thème marquant est celui du clair-obscur, renforcé par un spectre graphique alternant entre couleurs ternes/sombres et couleurs chatoyantes/chaudes. Le pouvoir de Canaan se basant sur les couleurs renforce l'importance de celles ci, jusque dans les symboles utilisés par l’œuvre pour définir le rôle et la position de chaque personnages.
De plus, certains personnages de la séries alternent entre une face sombre et une face claire tout au long de l'anime, que ce soit Canaan, Alphard ou d'autres personnages que je n'ai pas cités. Il est d'ailleurs difficile d'y voir le faux du vrai, les personnages ayant chacun des peurs, des hantises et réagissent différemment lorsqu'ils font face à celles-ci. L'opposition entre Canaan et Alphard représente bien ce clair-obscur par ailleurs.

Enfin, le thème le plus mis en avant dans Canaan est celui de l'amour. Amour charnel, amitié sincère, dévotion, amour protecteur ou haine, ce thème est la source même de l'anime et guidera chaque personnage jusqu'à leur dénouement. Cet amour sera symbolisé par la "lumière" dont parle chacun des personnages. Protéger sa lumière, suivre sa lumière, protéger la lumière de l'autre, fuir sa lumière...
Les personnages, bien que paraissant pour la plupart déshumanisés, agissent par le biais de leur amour de manière subtilement humaine, expliquant souvent les apparentes incohérences de l'anime qui se révéleront toujours comme étant finalement logiques.

Pour conclure cette critique, j'ai trouvé que Canaan est un anime complet avec énormément de qualités et très peu de défauts. Très bien écrit, excellemment mis en scène, avec un fond assez dense et un goût pour le symbolisme et la représentation, PA Works réussit le paris de nous signer une seconde œuvre plus marquante que la première, qui mériterait qu'on s'y attarde un peu plus et qui aurait mérité un format peut être plus long.

Je vous recommande cet anime sans hésitation, en vous demandant de ne pas être effrayé si vous êtes perdus durant les premiers épisodes, c'est normal car il s'agit d'une volonté de l'auteur et vous obtiendrez ensuite toutes les réponses nécessaires. 18.5/20