"L'humanité a besoin de sublime. Le sublime du sublime, c'est l'art. Le sublime de l'art, c'est l'avant-garde, " nous disait Roland Topor dans ses "Mémoires d'un vieux con". Longtemps décriée, marginalisée à outrance et à tort, la japanimation trouve peu à peu grâce aux yeux des chastes et distingués occidentaux, mais peine encore à se positionner comme un art à part entière (l'est-elle considérée comme telle au Japon, je n'en sais fichtre rien). Or, si une oeuvre, oui une oeuvre, peut tendre à modifier ce jugement de valeur obsolète, et être considérée à part entière comme de l'art, c'est bien Gankutsuou, qui par son avant-gardisme aurait ravi ce surréaliste de Topor.
Quel fantastique pied-de-nez que celui que nous fait l'animation japonaise, celui de faire d'un des plus grands classiques de la littérature française et européenne, le Comte de Monte Cristo, une oeuvre d'art respectant à la fois les standards nippons, faisant hommage à la culture européenne, et sublimant le tout d'un je-ne-sais-quoi qui confère de la grandeur et de la hauteur à une oeuvre pour en faire un chef-d'oeuvre.
Il est inutile (cela a déjà été fait dans les critiques précédentes) et insultant (car ici l'on parle d'art) de vouloir faire une énumération des qualités et défauts de Gankutsuou, je me bornerais donc à essayer d'exprimer mes sensations ressenties durant le visionnage de cette série.
Le graphisme si particulier est bien entendu la base même de l'ambiance de Gankutsuou, donnant tantôt des allures impressionnistes, faisant tantôt référence au pop art (l'influence de Warhol et de Lichtenstein est d'ailleurs palpable au niveau de l'expression des visages), pour un ensemble visuel singulier, chatoyant à l'oeil et enivrant émotionnellement. Le fond est en parfait accord avec la forme, l'adaptation libre de l'oeuvre de Dumas étant bienvenue et réussie, servi par des personnages charismatiques aux émotions justes et réalistes, favorisant l'introspection du spectateur sur ses propres sentiments et réflexions par une assimilation aux protagonistes aisée et naturelle. Les thèmes de l'amitié, de l'adolescence, de l'honneur, du rite initiatique y sont traités de manière fouillée, sans être fouillie et faussement intellectuelle, mêlés à quelques relents métaphysiques classiques mais ô combien incontournables. En tout point Gankutsuou respecte la vision artistique résumée par Cocteau, pour qui "l'art ne vaut (...) que s'il est la projection d'une morale".
Ma critique est certainement dithyrambique et manque de discernement, mais elle témoigne de mon engouement à l'égard de cette série, qui restera certainement comme celle m'ayant le plus marqué.
Après cette débauche d'éloges, un 10/10 s'impose semble-t-il, mais s'il l'on reste dans une certaine logique, il est difficile d'attribuer une note à de l'art (même si certains parviennent à lui attribuer un prix). De plus, un 10/10 est la note absolue censée caractériser la perfection, or, au risque de paraître banal, la perfection n'est pas chose humaine, l'art est d'ailleurs là pour le montrer, pour mettre à jour les faiblesses de l'homme et ses questionnements quant à son existence. Mais comme je suis un homme, que je suis faible et surtout fier de mon irrationnalité, je vais aller à l'encontre de tout principe artistique en adjugeant la note maximale à cette oeuvre magistrale qu'est Gankutsuou. Un chef d'oeuvre mérite bien une petite entorse aux valeurs établies.