Gankutsuou est à Alexandre Dumas ce que Thunderdome est à la techno : très bourrin, ce dessin animé est probablement annonciateur d'une future dérive au sein de l'industrie du dessin animé.
Gankutsuou n'est pas gracieux dans sa manière d'empiler sans état d'âme les références les plus hétéroclites et parfois les plus contradictoires : détournement de Klimt, esthétique plaquée or dégoulinante d'effets aveuglants, chemises à jabot et regard inspiré de Marylin Manson pour le Comte, voyages spatiaux et vieilles automobiles, cette oeuvre convoque tout et n'importe quoi dans un magma référentiel étourdissant, parvenant de même à accumuler la totalité des "accessoires" propres à l'animation japonaise en une seule série. Aspects vampiriques, mechas, SF, Art Nouveau, tous les poncifs chers à l'animation japonaise sont convoqués, et Gankustsuou fait ainsi figure de manifeste décadent d'un nouvel art de faire des séries animées.
Cela engendre bien entendu le pire et le meilleur. Techniquement, on se retrouve face à une série usant et abusant de procédés pas toujours efficaces : poser les couleurs comme on pose des trames donne l'impression désagréable que quelque chose cloche, que les contours animés ne parviennent pas à avoir de substance, puisque celle-ci demeure sans mouvement, conservant les mêmes motifs inaltérables.
Cela dit, Gankutsuou possède la force de tout oser, et de légitimer sa démarche par une sorte de curiosité permanente, comme si l'équipe en charge avait décidé de tout essayer et de pousser jusque dans ses derniers retranchements la logique de ces séries à budget pharaonique. Il y a un souffle qui porte le dessin animé de bout en bout, et qui en fin de compte opère sur le spectateur comme une drogue, l'obligeant à enchaîner les épisodes les uns derrière les autres, afin d'avoir une vision globale de ce tableau en 24 pans.
Le scénario, évidemment, est excellent, puisqu'il est tiré d'une oeuvre célébrée depuis des dizaines d'années ; en quelque sorte, Dumas sert à la fois de caution et de garde-fou au projet. S'appuyer sur Dumas garantit à l'équipe de ne jamais sombrer dans le n'importe quoi absolu, le scénario étant toujours là pour soutenir les éventuelles défaillances esthétiques. Ensuite, s'appuyer sur cet auteur permet à Gonzo de ne pas avoir à se soucier d'autre chose que de l'esthétique.
Ici encore on est confronté au paradoxe : audace des créateurs et simultanément, choix conservateur d'adapter un classique centenaire, qui est une démarche typique des chaînes télés nippones dans les années 70 / 80.
Comble de cette illogisme revendiqué, les génériques ont été inversés, et celui du début devait à l'origine être à la fin : c'est la preuve que dans Gankutsuou il n'y a pas de honte à confondre les pieds avec la tête.
Entre volonté icônoclaste et désir de rendre hommage, la frontière est ténue.
Pour une oeuvre finalement très bonne, et véritablement excitante, comme l'est Gankutsuou, combien d'autres risquent de suivre ce modèle et de sombrer dans le ridicule ? Vu le succès de cette oeuvre, et le bruit qu'elle a fait, il y a fort à parier que les ersatz arrivent en masse à l'avenir.