« Quant à sa femme, il la salua à la façon dont certains maris saluent leur femme, et dont les célibataires ne pourront se faire une idée que lorsqu’on aura publié un code très étendu de la conjugalité. »
– Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas
Vous êtes fans de Maître Gims ? Amateurs de Jean-Marie Bigard ? Ou peut-être de fervents admirateurs de Nabilla ? Grand bien vous fasse ! Moi, c’est Monsieur Alexandre Dumas père (n’oubliez pas le « Monsieur », je ne plaisante pas avec ça). Et Le Comte de Monte-Cristo, c’est mon dada. C’est un chef d’œuvre littéraire que j’ai dévoré à trois reprises, avec à chaque fois un enthousiasme proche de l’indécence. Les aventures du charismatique et fortuné Comte sont de celles dont je ne me lasse pas. Elles constituent à mes yeux rien de moins que la plus belle vengeance de l’histoire de la littérature.
Alors quand on m’a dit qu’il existait une adaptation animée de ma Bible et que cette adaptation était remarquable, autant vous dire que j’ai dressé l’oreille. Et c’est avec sur le visage une expression à mi-chemin entre l’intérêt poli et la colique néphrétique, que je me suis penché sur l’affaire (si l’image ne vous parle pas, dites-le moi, je vous enverrai des photos).
« C’est jolie ça. Qu’est-ce que c’est ? »
Quiconque a vu les cinq premières minutes du premier épisode s’est sans doute fait la même réflexion. Car la série frappe tout de suite les esprits par son graphisme et ses dessins si particuliers voire uniques. Un sentiment renforcé par le choix, sans doute pas anodin, de faire débuter l’anime au beau milieu d’un carnaval spectaculaire (et donc propice aux effets visuels, vous vous en doutez). Je me dis que le studio a voulu nous en mettre plein la rétine dès le départ. Et ça marche plutôt bien. S’il y a une chose que je ne reprocherai pas à l’anime, c’est sa beauté remarquable (sauf pour la 3D occasionnelle parfois dégueulasse, mais on y reviendra). Vous ne me verrez pas non plus taper sur la bande son, mélange de répertoire classique et de composition originale, elle aussi très agréable.
D’une manière générale, le souci du détail, au moins dans la forme, est ce qui transparaît le plus chez Gankutsuou. Ainsi du petit résumé en français, au début de chaque épisode, qui confère une touche d’élégance frenchie à l’anime. De même, lorsque Danglars lit un exemplaire parfaitement imité du Figaro Economie ou lorsque le Comte écrit une lettre dans un français irréprochable (épisode 6 dans les deux cas), on se dit que le réalisateur a fait des efforts. Touchante attention de sa part, à une époque où la recherche de rentabilité tire plus que jamais la qualité vers le bas.
Le deuxième élément qui frappe dans la mise en scène, c’est le contexte. Si l’œuvre de Dumas prend place pendant la première moitié du XIXème siècle, l’anime se déroule lui dans un univers très futuriste. Ce choix-là est plus discutable car uniquement motivé, semble-t-il, par le désir de faire apparaître de jolies vaisseaux/fusées qui n’apportent rien à l’histoire. C’est même plutôt l’inverse puisque l’anime souhaite malgré tout conserver une ambiance XIXème siècle. Avec pour résultat de petites incohérences, comme le fait que l’humanité ait conquis la galaxie mais ne connaisse toujours pas les téléphones portables. Un reproche récurrent fait à la série, non sans raison, car un simple coup de fil aurait pu sacrément changer le scénario à plusieurs reprises. A ceux qui invoquent la licence artistique, je répondrai que l’essentiel de l’action se déroule de toute façon à Paris et en France. Or, des animes comme Noir ou Lupin III – L’Aventure Italienne ont démontré les magnifiques décors que l’on peut réaliser avec de vieilles cités européennes pour modèles. Pas besoin de vaisseaux spatiaux pour ça…
Les malheurs d’Albert
Et derrière la jolie façade, comment ça se passe ? Avant toute chose, et pour ceux qui n’ont pas lu le roman, précisons que le Comte en est le protagoniste génial et incontestable. Il est parfois en arrière-plan et revêt diverses identités au cours de l’histoire (Edmond Dantès, Lord Wilmore, l’abbé Busoni, …) mais c’est bien lui le patron. Et vu la classe du bonhomme, on ne s’en plaint pas !
Ce qui m’amène à ce qui constitue pour moi la question à un million de dollars : pourquoi, ô grand Dieu pourquoi, faire d’Albert de Morcerf le héros quand on a sous la main une personnalité aussi exceptionnelle que le Comte ?
La réponse est aussi évidente qu’horripilante : il fallait que ça plaise au shônen de base. Et voilà comment on transforme une merveille littéraire en mélodrame à l’eau de rose pour adolescent. Tous les ingrédients du genre sont là, à commencer par le héros, Albert de Morcerf, un gamin pleurnicheur. Le personnage du livre fait sans doute preuve d’une certaine naïveté, mais il ne m’a jamais donné envie de le frapper à coups de batte. Dans l’anime, le garçon est un concentré d’adolescent mal dans sa peau, ce qu’illustre de manière flagrante sa pitoyable crise de colère contre Maximilien à l’épisode 5. Il nous ressort même les bonnes vieilles inepties comme quoi « faut pas se taper dessus parce que ça entraîne un cycle de haine et blablabla… » (épisode 22 pour ceux que ça intéresse). Une philosophie de comptoir que je m’attendais davantage à trouver dans un épisode de Naruto que dans une adaptation du Comte de Monte-Cristo… Disparue enfin, cette fine touche d’humour dont Dumas agrémentait nombre de ses œuvres et qu’illustre la citation introductive (pour ceux qui se demandaient ce qu’elle fichait là).
Quant aux personnages secondaires, ils ne sont pas en reste. Eugénie, la jeune femme charismatique au caractère bien trempé et sans la moindre intention de se marier ? Réduite au statut d’ado tsundere et transie d’amour. Maximilien, officier vaillant à l’honneur irréprochable ? Guère plus ici qu’un gentil costaud un peu bêta. D’une manière générale, tous les personnages semblent avoir été stéréotypés pour coller au moule d’un shônen. Jusqu’à cette obsession typiquement japonaise (et surtout absente du livre !) du triangle amoureux/amis avec Mercédès, Edmond et Fernand d’une part, et Franz, Albert et Eugénie d’autre part.
Mais ma plus grosse déception est à chercher du côté du Comte. Le personnage du livre construit sa vengeance grâce à son talent et à sa détermination. Au contraire de l’anime où le Comte ne doit sa force qu’au soutien d’une mystérieuse entité sortie de nulle part (le fameux Roi de la Caverne) qui le rend quasi-invulnérable. On est passé d’un « Wouao ! Ce type est un génie ! » à un triste « Ta gueule, c’est magique… ». En outre, disparu le noble impassible, le parfait gentleman, courtois et brillant que Dumas nous décrivait. Il n’est plus désormais qu’un homme livré à ses émotions, inutilement cruel et parfois violent (je pense à la scène des condamnés à mort ou encore au duel avec Franz). On a même le droit au rire machiavélique (épisode 15), cliché suprême du grand méchant…
Dans le livre, l’un des aspects les plus remarquables du Comte réside dans sa capacité à se venger sans verser la moindre goutte de sang ! Il est par ailleurs bon et généreux envers ses proches, serviteurs ou (rares) amis, et n’aurait jamais trahit l’affection d’Haydée, comme il le fait dans l’anime. En un mot, le Comte du livre reste toujours lucide et ne se trompe pas d’ennemis, là où celui de l’anime est obnubilé par la vengeance et aveuglé par elle. Ce dernier point est parfaitement illustré par le duel de l’épisode 18 durant lequel le Comte fait preuve d’une sauvagerie indigne du personnage qu’il incarne.
Quant au déroulement dudit duel, parlons-en ! C’était plus fort qu’eux, il fallait qu’ils introduisent des robots géants ! Et pas ceux qu’on aime bien, genre Evangelion et compagnie. Non, des trucs dégueulasses en 3D qui déshonorent l’œuvre de Dumas (et je pèse mes mots). Ce n’est qu’un détail de l’histoire mais quand j’y réfléchi rétrospectivement, je me dis que c’est là que l’anime m’a définitivement perdu.
Marseille, son ciel bleu, sa Canebière, ses kalachnikovs…
Mais parlons un peu de la trame. Car si les personnages sont un rouage essentiel du roman, un autre de ses atouts réside dans l’habileté avec laquelle le récit est mené. En l’occurrence, là où la narration du bouquin est linéaire (ou chronologique si vous préférez), l’animé fait le choix d’un récit agrémenté de flashbacks. L’objectif était sans doute de renforcer l’aura de mystère entourant le Comte. De fait, lorsque débute l’anime, on ne sait pas qui est ni d’où vient cet homme à l’apparence si belle et si inquiétante à la fois. Une impression renforcée par la physionomie vampirique du personnage (oreilles pointues, canines proéminentes,…), un aspect déjà présent dans la description que Dumas en fait. Jusqu’à sa magnifique voix, celle d’Alucard dans les adaptations d’Hellsing, l’un des rares points qui m’ait vraiment séduit dans l’anime.
Ce choix narratif soulève néanmoins deux problèmes. En premier lieu, cela modifie considérablement le ressenti du spectateur. L’un des grands plaisirs du roman, c’est d’assister à la tragédie d’Edmond Dantès, de compatir à ses souffrances et de s’émerveiller toujours un peu plus de la virtuosité avec laquelle il accompli sa revanche. Le schéma narratif de l’anime, où l’on n’apprend qu’à la fin le passé du Comte, ne permet plus cela. La seconde difficulté, c’est que le mystère voulu par ce procédé est à double tranchant. Comme on ne connaît plus les motivations du Comte, il devient nécessaire de forcer abusivement le trait pour bien montrer que ses intentions sont mauvaises. La réception à Auteuil de l’épisode 8 en est le parfait exemple. Dans le livre, le Comte crée en effet le malaise, mais de façon si subtile que personne ne lui prête une arrière-pensée malsaine. Dans l’animé, la villa est tellement lugubre que même Voldemort n’y serait pas entré…
Concernant la revanche du Comte en elle-même, on peut se féliciter que l’anime en respecte les grandes lignes. Elle n’est pourtant pas exempte de reproches et mérite que l’on s’y arrête. Je fais le choix du cas de M. De Villefort, que je trouve emblématique des manquements de l’anime. La chute de Villefort, telle que mise en scène dans le roman, est tout bonnement sublime. D’abord cette malédiction qui frappe sa famille dont les membres meurent les uns après les autres, puis la fameuse scène du tribunal, coup de grâce absolu. Le tribunal, ce dernier bastion où Villefort, Magistrat Suprême, se croit encore invulnérable et qui le verra frappé au cœur par d’abominables accusations. Sa déchéance n’en est alors que plus terrible car elle l’atteint au faîte même de sa puissance … ce que ne fait pas l’anime. La chronologie des évènements y est tellement (et inutilement) bouleversée, que Villefort a déjà un genou à terre lorsqu’il arrive au procès dans le rôle, non de juge tout-puissant, mais d’accusé.
Qu’il me soit enfin permis de glisser un mot sur la fin de l’anime. Retenu par mon désir de ne pas (trop) spoiler, je me contenterai de dire que la façon dont le Comte se retire, plein d’amertume et sans plus aucune maîtrise de lui-même, est bien peu digne de ce remarquable personnage. J’ai par ailleurs la conviction que le chaos parisien des derniers épisodes n’est là, une fois de plus, que pour un jeune public qui veut sa dose de baston et de jolies explosions. Epilogue décevant d’une adaptation décevante…
« Attendre et espérer » qu’y disait…
L’affaire est délicate. Car la présente critique vise deux publics : celui qui a lu l’œuvre originale de Dumas, et celui qui ne l’a pas fait. Et selon que vous appartenez à l’un ou l’autre, votre perception de cet animé sera sensiblement différente. Une conviction renforcée par l’engouement réel qu’a suscité cette œuvre auprès de nombreux spectateurs, et dont je me dois de tenir compte. Aussi me permettrai-je, une fois n’est pas coutume, de mettre deux notes.
Pour ceux qui n’ont jamais lu le livre, je mettrai 7/10. De fait, je pense que la beauté visuelle et sonore de l’anime, couplée à une histoire que même une mauvaise adaptation ne saurait ternir complètement, lui permet de s’en sortir par le haut. Si certains me trouvent encore trop sévère, je leur dirai ceci : à partir du moment où l’animé s’arroge le titre d’adaptation, il ne peut prétendre être jugé indépendamment de son œuvre d’origine. Or, la comparaison ne joue pas en sa faveur…
Pour les autres, je mettrai 5/10, et l’honnêteté m’oblige à vous dire que c’est ma note de cœur. Strictement parlant, Gankutsuou n’est pas pire qu’un autre animé. A une différence près : le matériau d’origine. Une série milieu de gamme fait du moyen avec du moyen. Ce que je reproche à Gankutsuou, c’est d’avoir fait du moyen avec de l’or pur…
J’opte donc pour le compromis avec un raisonnable 6/10.