5 centimètres par seconde, la vitesse à laquelle tombe les pétales de cerisier au printemps. Mais aussi la première phrase prononcée par Takaki, figure centrale de ce film éponyme, divisé en trois parties inégales. Ces mots, ils viennent de son amie d'enfance Akari, désormais si loin de lui. Ils incarnent le souvenir d'une enfance heureuse, partagée avec celle qu'il aime éperdument, qui petit à petit s'efface, à un rythme 5 centimètres par seconde...
En choisissant un tel rythme de croisière, Shinkai Makoto incite ici tout d'abord sur une lenteur, propice à la contemplation de ce Japon moderne qui s'offre à nos yeux. Chaque plan, chaque image recèle de multiples détails infimes qui mériteraient presque que l'on s'arrête pour chacun d'entre eux. Devant nous, le moindre objet, le moindre nuage s'anime et prends vie par un jeu de lumière absolument sublime. Toutes les variations saisonnières s'y retrouvent: de l'été à l'hivers, en passant plus rapidement par le printemps et l'automne, le film nous restitue l'atmosphère singulière de chacune d'entre elles avec une justesse sidérante. Ces paysages si vivants, d'un réalisme poignant, sont d'autant plus frappant qu'ils sont vides: au total, seuls quatre personnages apparaissent véritablement dans ce long métrage. Quatre personnages pour occuper des décors si somptueux, voilà comment visuellement se traduit la solitude de chacun de nos protagonistes.
Et plus particulièrement celle de Takaki, pourtant désespérément amoureux, au point où la présence de son âme sœur occupe la moindre de ses pensées et actions. Ces sentiments, fils conducteurs du film, sont les premiers que nous découvrons, à travers une narration qui nous guide durant toute la première partie. Que nous exprime-t-il? Son amour? Nullement: sa passion, il n'arrive à l'exprimer que dans une lettre, ou des messages, qui jamais n'atteignent leur destinataire, ou même le spectateur d'ailleurs. Alors que reste-t-il? Sa douleur. La souffrance d'une attente. Celle qui nous rends impatients, tandis que nous rêvons impatiemment de la prochaine entrevue, de la nouvelle rencontre. Mais c'est aussi celle de celui qui en retard, souffre de voir son unique chance s'envoler au loin: il aura beau se presser, rien ne le permettra de rattraper cet instant perdu. Son monologue intérieur retranscrit à la perfection ce déchirement qui devient le notre: on s'impatiente avec lui, on espère avec lui mais rien n'y fait. L'anime n'ira pas plus vite, puisqu'après tout, nous ne tombons qu'à un rythme de 5 centimètres par seconde...
Dans la deuxième partie, surprise! La narration change, et nous quittons l'intimité douloureuse de Takaki pour découvrir un nouveau personnage, Kanae, elle aussi transie d'amour. Dans le cadre paradisiaque de l'île de Tanageshima, se sont de nouveaux paysages: la chute des flocons de neige laisse place à l'ascension d'une fusée vers l'espace. Mais là encore, on se retrouvez face à la même tristesse et mélancolie: notre seconde héroïne aussi n'arrive pas à exprimer ses sentiments, et se retrouve en permanence bloquer devant Takaki, celui qu'elle adore en secret. On aurait tort d'y voir ici une répétition, ou pire, un manque d'imagination. Kanae en effet ne cesse d'essayer de progresser, d'atteindre enfin son objectif, mais en vain: celui ci est bien trop loin d'elle, coupée du monde réel dont il s'éloigne progressivement tandis qu'il s'enferme chaque jour un peu plus dans ses rêves. La jeune lycéenne aura beau tenté toutes les démarches, mais rien n'y fait. Bien que comparable, notre vitesse de croisière ici change: 5 kilomètre par heure, la vitesse d'une fusée, et la vitesse à laquelle Kanae tente désespérément de rejoindre Takaki, sans jamais réussir.
On l'aura compris: ce film va au delà d'une simple histoire d'amour. Il raconte avant tout l'histoire de personnes isolées dans un monde si vaste, et qui n'arrivent pas à franchir ce pas pourtant si simple, qui nous permet de communiquer avec l'autre, de lui dire tout ce que nous ressentons. Nous aurons beau nous avancer, plus le temps passe, plus ce sentiment si vivace à ses débuts finit par se ternir, et s'effriter. Que reste-t-il à dire de plus dans la troisième partie de ce film, où nous retrouvons un Takaki adulte, plus seule que jamais, dans une vie qui ne l'enchante pas ni le motive tandis qu'il demeure encore perdu dans ses rêves d'Akari désormais presque totalement effacée. Alors, oui, finir sur une chanson relativement dynamique n'est pas la conclusion que l'on attendrai pour une histoire au rythme si calme. Mais au final, alors que tout semble terminer, cette mélodie nous permet de repartir, de nous relancer. Elle retranscrit parfaitement ce moment où Takaki enfin comprend, où il ouvre les yeux dans un sourire mélancolique sur ce qu'il définitivement perdu: la chute du pétale, aussi longue fut elle, se termine enfin.
5 centimètres par seconde porte bien son titre. Il inclue à la fois la vitesse, le temps qui passe et s'en va inexorablement, mais aussi et surtout la distance qui sépare l'instant où le pétale se sépare du cerisier pourtant si merveilleux, pour atterrir plus tard sur le sol dur et froid, plus seul que jamais. Cette dernière notion, celle de la distance, me semble d'autant plus pertinente au regard du personnage de Kanae qui aborde le problème sous un angle différent, mais confronté à un problème identique. Bien plus qu'une simple histoire d'amour, le réalisateur Shinkai Makoto nous raconte une rupture, une séparation lente et difficile avec une justesse poignante qui repose sur des personnages attachants et une virtuosité technique. Bien plus profond qu'il n'y parait, cet anime nous submerge dans un flot d'émotions, dans une rivière du temps dont il reprend le cycle saisonnier, et où flotte à sa surface des pétales de cerisier...à une vitesse de 5 centimètres par seconde.