Ce qui me frappera toujours avec cet anime et les réactions si tranchées qu'il soulève (on peut même franchement parler d'une polémique qui dure depuis 4 ans), c'est à quel point les analyses se cantonnent à rester dans le domaine du scénario, du style, des personnages (voir même d'éléments superficiels comme le chara-design). Je dis superficiel car en l'occurrence, un anime comme School Days offre plusieurs niveaux de lecture. En ce sens, il reste un anime d'une qualité jamais égalée dans le genre, du moins c'est mon avis.
Une remarque au préalable avant d'étayer ma thèse : je n'ai pas pris du plaisir à regarder cet anime. Enfin si, mais un plaisir malsain. Ce n'est pas un anime rafraichissant, divertissant, ou attachant (à l'instar d'un Clannad, lui même adaptation d'un jeu de drague). Mais c'est un anime qui mérite de faire réfléchir, de poser des questions sur des thèmes rarement abordés, et même de remettre en question le genre lui-même. Otak en quête de gaieté, passe ton chemin.
Tragédie nippone
Le titre est assez explicite : ici, je vais simplement parler du premier niveau de lecture, que certains ont déjà relever. A la base, simple anime "harem", plein de légèreté et parsemé des poncifs du genre (mais j'y reviendrais), School Days prend vite une tournure de tragédie grecque réactualisée, sur un ton de romance à l'eau de rose. Ce qui donne un cocktail peut-être déséquilibré. En effet, les personnages et leur développement ne sont pas forcément les plus adaptés à une profonde tragédie qui vous fera pleurer à chaude larme. On en sait relativement peu sur les personnages et ils restent somme toute assez clichés. Néanmoins, si on garde à l'esprit la formule de la tragédie classique, nul besoin d'avoir des personnages profonds ou attachants. L'élément central de la tragédie est le fait qu'un destin plus fort que tout conduit les personnages vers une fin dramatique dont ils ne peuvent échapper. Ce destin est, je pense, guidé par les vices des personnages et leur profonde incapacité à se remettre en question (de là, je peux comprendre l'accusation de stupidité qui est souvent reprochée aux personnages, mais je ne la partage pas). Je pense que les auteurs ont sciemment voulu rendre ses personnages stupides, perdus, immoraux, car c'étaient les ingrédients de leur propre perte.
Une satire du genre eroge
A ce stade, il me parait important de parler du "réalisme" du comportement des personnages et de l'intrigue. Je n'irais pas jusqu'à dire que les personnages sont réalistes. Ils sont bels et bien, surtout au début, des archétypes du genre eroge : le mec maladroit et obsédé, la fille timide et canon, la meilleure amie énergique, le copain boulet, etc. Sauf que, et c'est là que l'anime est génial, ces codes sont complètement détournés. C'est comme si le héros de la Visual Novel (le jeu) effectuait tous les mauvais choix. En réalité, je pense que ces personnages sont plus "réalistes" que ce que présente habituellement le genre, avec ses happy end, ses personnages ingénus et qui ont tous un bon fond. Ici on se retrouve avec des personnages devenant réellement exécrables, mais dont les vices sont profondément humains (je reviendrais là dessus plus tard également). Je vois School Days comme ce qu'il se passerait si on mettait un ado à la libido débordante (une bonne partie des garçons de cet âge en fait), complètement paumé sentimentalement, avec des filles tout aussi perdues et découvrant un rapport plus qu'étrange à la sexualité. Mais je m'avance un peu, gardons ça pour plus tard.
De manière générale, l'anime est un pied de nez au genre harem. Le générique lui même balance du fan-service avec la subtilité d'un pelleteur polonais en plein labeur (et du nichon, et d'la fesse, en veux-tu, en voilà). Pour moi, tout ça est 100% intentionnel. C'est une moquerie totale des codes du genre. Le même genre de plans répétés très souvent tout au long de l'anime le confirme : plan sur la partie de peau très sensible entre la jupe et les bas, plan sur les décolletés, plan sur les lèvres. L'absence des parents est un autre élément qui a été poussé à son paroxysme. En fait, School Days, même de part son nom, annonce la couleur. Ça va parler uniquement de lycéens et de leur histoire d'amour. Mais les codes sont poussés tellement loin dans leur retranchement qu'ils en deviennent ridicules (stéréotypes transformés en vices humains, éléments "moe" complètement détournés). Le genre s'auto-parodie et s'auto-critique.
Le thème de la sexualité : une critique sociétale
Last but not least, cette troisième lecture est en rapport direct avec les deux précédentes.
Le retournement des codes permet de poser de réelles questions sociales sur ce genre d'anime, et, plus généralement, sur le rapport à l'amour et à la sexualité des jeunes.
En cela, l'anime peut être considéré comme un poil réactionnaire. Si je succombais à la facilité, je pourrais en conclure que le message est "Le sexe c'est pas bien, ça conduit à la querelle, au mal et à la mort". Mais je crois que c'est plus nuancé que ça. Cet anime interroge réellement sur le rapport à la sexualité des jeunes, dont on a ici des exemples extrêmes : le vice de Makoto qui fait de lui un esclave imbécile de ses propres pulsions, les prises de risques inconsidérées de Sekaï, la frivolité des autres filles, et surtout, la scène de la "chambre de repos". Makoto confond complètement sentiments et désir pulsionnel, mais il n'est pas le seul (à ce titre, je ne pense pas qu'on puisse dire que l'anime est machiste car les vices sont partagés). La question de la sincérité et des rapports sociaux est aussi posée à travers le moyen du téléphone portable, instrument de communication qui sert, tantôt à avouer les choses clairement là où le courage manque, tantôt à laisser des ambiguïtés tout en fuyant ses responsabilités. En fait, cet anime pose (et je m'inspire d'une réflexion vue sur un autre forum pour appuyer cela) la problématique des repères sexuels des jeunes dans les sociétés modernes : débridée, assimilation à de l'amour, absence des parents (voulue évidemment, ça sert le propos), absence de limites, confusion. Ce n'est d'ailleurs pas tant le fait d'avoir des relations sexuelles qui rend la chose malsaine ici, c'est le rapport que Makoto a aux personnes, complètement opportuniste et de plus en plus lassé, ne cherchant que sa satisfaction immédiate et plus rien d'autre. Un rapport à la sexualité peut-être justement influencé par ce genre de jeu dont l'anime est tiré. La boucle est bouclée. Finalement, la chute de ce personnage est vraiment significative de toute la problématique posée, même si sur la fin, l'élément "tragédie" l'emporte sur la réflexion critique.
Malgré de nombreuses imperfections (chara design, bande son juste moyenne, rythme peu équilibré dans la narration, surtout les premiers épisodes), je recommande chaudement cet anime, tout en sachant qu'il ne faut pas s'attendre à y retirer autre chose qu'une tragédie moderne si on procède seulement d'une lecture au premier degré. Il me semble toutefois, comme je l'ai expliqué plus haut, que School Days est plus que ça, c'est une critique du genre, une critique de ce que l'imagerie développée par les eroge peut engendrer, avec tout ce qu'il y a de malsain et de, finalement, assez cruellement réaliste.